Syrie
Syrie : abandon progressif de la
légalité internationale
François Belliot

© François
Belliot
Mercredi 21 septembre 2016
Geopolintel
Le titre de cet
article fera sans doute sourire les
connaisseurs du sujet, tant la légalité
internationale a été constamment bafouée
dès le
début dans
cette guerre en Syrie qui n’en finit
plus. En utilisant l’expression
d’ « abandon progressif », je veux
souligner que dans les premiers temps,
les puissances qui œuvrent à la
destruction de la Syrie, au nombre
desquelles on peut compter (liste
restreinte) : la France, le Royaume-Uni,
les États-Unis, la Turquie, Israël,
l’Arabie Saoudite, le Qatar, ont eu le
souci, au moins
en apparence,
de respecter cette légalité, et que les
années passant, et le « régime syrien »
résistant encore et toujours, ces
puissances ont été contraintes de
piétiner de plus en plus ostensiblement
les règles du jeu, fait très inquiétant
puisqu’il indique que ces puissances
semblent déterminées à renverser au
besoin l’échiquier s’il s’avérait
qu’elles puissent ne pas gagner la
partie, même après avoir enfreint
systématiquement toutes les règles du
jeu pendant plus de cinq ans.
C’est ainsi qu’on assiste, pour être
précis depuis le tournant du tir à
l’arme chimique du 21 août 2013, à un
abandon progressif de la légalité
internationale de la part des puissances
œuvrant à la déstabilisation de la
Syrie.
Rappelons quatre événements-clés
(liste non exhaustive) marquant cette
évolution, en précisant qu’aucune
puissance alliée de la Syrie (Iran,
Russie) ne s’est rendue coupable
entre-temps de violations comparables du
droit international.
- Le 6 septembre 2013, en marge du
sommet du G20 de Saint-Pétersbourg,
11 chefs d’état et représentants des
pays de ce groupe (Australie, Arabie
saoudite, Canada, Corée du sud,
Espagne, États-Unis, France,
Royaume-Uni, Italie, Japon, Turquie)
se déclarent prêts à une
intervention en Syrie sans l’aval de
l’ONU, suite au tir à l’arme
chimique dans la banlieue de Damas
le 21 août 2013, dont ces pays
accusent, sans nuances et avant
toute enquête, l’armée syrienne de
l’avoir perpétré [1].
- 20 septembre 2014 : suite à
l’expansion foudroyante de Daech en
Irak et dans l’est de la Syrie, à
partir du mois de juin, et eu égard
aux gravissimes exactions commises
par ses combattants, est mise en
place une « coalition
internationale » pour lutter contre
Daech en Irak. Cette coalition, dans
laquelle on retrouve la plupart des
pays précités, est légitimée le 20
novembre 2015 par le vote de la
résolution 2249 de l’ONU [2]
qui autorise les états membres à
recourir à « tous les moyens
nécessaires [3] »
pour contrer Daech non seulement en
Irak, mais également en Syrie. Les
avions de la coalition à partir de
là vont pouvoir mener des frappes en
Syrie, prétendument pour éradiquer
Daech, sans avoir besoin de l’accord
des autorités syriennes qui se
plaignent de ce qu’elles considèrent
d’autant plus comme une ingérence
dans leurs affaires, que les membres
de la coalition refusent en même
temps de façon catégorique tout
appui au sol de la part des troupes
syriennes.
- 22 août 2016 : Les USA
transmettent un communiqué au
gouvernement syrien et à l’autre
coalition anti-terroriste, (composée
de la Russie, de l’Iran, et du
Hezbollah libanais), quant à elle
appuyée au sol par les troupes
syriennes. Les USA y font savoir
qu’ils ont prélevé à leur usage une
bande du territoire syrien, qu’ils
entendent occuper militairement en y
maintenant des troupes, des forces
d’opérations spéciales, des
conseillers, des mécaniciens et des
unités de soutien ; ils ont
également établi une zone
d’exclusion aérienne (« no fly
zone ») et averti qu’ils
abattraient tout avion syrien ou
russe qui survolerait cet espace
réservé. Les autorités syriennes
protestent vigoureusement contre ce
qu’elles dénoncent comme une
atteinte à la souveraineté de la
Syrie.
- 17 septembre 2016 : l’aviation
des États-Unis bombarde une position
tenue par l’armée syrienne
surplombant l’aéroport de Deir El
Zor, causant la mort de plus de 80
soldats syriens [4].
La position est aussitôt reprise par
l’organisation EI qui assiège cet
aéroport depuis 2 ans. Cette grave
« bavure » met gravement en péril
l’accord de cessez-le-feu conclu
après de longues et âpres
négociations entre John Kerry et
Sergueï Lavrov le 13 septembre. La
Russie en riposte convoque
immédiatement une réunion d’urgence
du conseil de sécurité qui se réunit
le jour-même de la frappe (17
septembre). Samantha Powers, la
représentante des USA à l’ONU
reconnaît la responsabilité de
l’armée de son pays, mais en
minimise la gravité en rappelant,
sans donner de détails et avec les
éléments de langage anti Assad
traditionnels, que le régime « frappe
volontairement des cibles civiles
avec une régularité effrayante
(…) et a torturé des milliers de
prisonniers.] » La diplomatie
russe, très remontée, y voit un « mauvais
présage ». L’incident est
d’autant plus grave que la Russie et
les USA sont les principaux garants
de l’accord de cessez-le-feu du 13
septembre, et que John Kerry et
Sergueï Lavrov doivent s’entretenir
mercredi 21 pour annoncer une
reprise des pourparlers, dans la
foulée de l’accord de cessez-le-feu
signé une semaine plus tôt.
La veille de la conclusion de
l’accord de cessez-le-feu à Genève par
Kerry et Lavrov, le 13 septembre
dernier, l’envoyé spécial de l’ONU pour
la Syrie, Staffan de Mistura, s’était
montré d’un optimisme inhabituel, qui a
pu convaincre certains observateurs que
nous serions enfin à l’aube d’un
règlement politique de la crise
syrienne. Après une semaine de multiples
violations du cessez-le-feu par les
« rebelles », avec en point d’orgue ce
bombardement « par erreur » de l’armée
syrienne, sur le front contre Daech,
force est de nous rendre à l’évidence
que ce nouvel accord de cessez-le-feu
est en train de s’inscrire dans le même
schéma dynamique que les précédents qui
ont jalonné la crise. On songe en
particulier à l’accord de cessez-le-feu
du 27 février 2016, et à celui du 21
avril 2012, premier du genre, à la fin
de la première année de la crise.
La grosse « bavure » étasunienne
contre l’armée syrienne près de
l’aéroport de Deir El Zor n’est pas de
même nature que le massacre de Houla du
25 mai 2012, qui avait réduit à néant ce
premier accord de cessez-le-feu mais
elle intervient dans un contexte
comparable. Le massacre de Houla a été
honteusement exploité à l’époque par les
pays « amis de la Syrie » pour expulser
dans le même tempo tous leurs
ambassadeurs [5],
mais il ne s’agissait pas d’une
violation flagrante de la légalité
internationale. De même, après le tir à
l’arme chimique du 21 août 2013, des
états clés « amis de la Syrie », comme
les États-Unis et la Grande-Bretagne
pouvaient encore sembler soucieux de
demeurer dans une forme de légalité en
sollicitant le vote de leurs parlements
respectifs avant toute attaque en dehors
du cadre de l’ONU.
Depuis, comme on l’a vu, les puissances
hostiles aux autorités syriennes, ont
progressivement abandonné le cadre de la
légalité internationale, la dernière des
violations, le bombardement meurtrier de
l’armée syrienne sur une position
stratégique sur son propre sol, de loin
la plus grave à ce jour, n’étant que la
conséquence de cette première violation
qu’était la mise en place de la
coalition « internationale » contre
Daech en septembre 2014.
Autre différence notable avec la
séquence d’avril/mai 2012 : après cinq
années de guerre, tous les acteurs,
affirmés, ou cachés, de cette crise de
portée mondiale, se trouvent à présent
impliqués directement et en pleine
lumière sur le sol syrien, évoluant
comme des éléphants dans un magasin de
porcelaine, et accroissant les risques
de confrontation directe pouvant servir
d’étincelle au déclenchement d’un
incendie incontrôlable.

Au moment où je termine cet article (20
septembre), je découvre qu’un convoi
humanitaire chargé d’acheminer de l’aide
à Alep à été pris pour cible par un
bombardement, dès le lendemain de la fin
de la trêve de 7 jours, 12 employés du
croissant rouge trouvant la mort. Les
grands médias français rapportent sans
surprise, immédiatement, comme un seul
homme et avant toute enquête , qu’il ne
peut s’agir que d’un forfait de l’armée
russe ou de l’armée syrienne, sans doute
pour faire contrepoids, dans l’opinion
publique, à l’effet produit par ce
bombardement meurtrier des États-Unis
contre l’armée syrienne sur son propre
sol, en dehors de toute légalité
internationale.
Notes:
[1] Voici
par exemple ce qu’a déclaré François
Hollande en cette occasion : « Sur
l’intervention, si elle devait avoir
lieu dans le cadre de l’ONU ou hors
du cadre de l’ONU si le conseil de
sécurité était bloqué, la France
serait prête à prendre cette
responsabilité. La France
s’associerait à une coalition qui va
se former dans cette perspective ».
Nous renvoyons également aux
auditions de John Kerry au Sénat les
jours précédents, au cours
desquelles il décrit la mise en
place de cette coalition, qui serait
intégralement financée par les
monarchies du Golfe. Voir par
exemple :
http://www.rts.ch/info/monde/5181155-john-kerry-a-defendu-une-intervention-en-syrie-devant-le-senat.html/
extrait de l’intervention de Kerry :
« Quant aux pays arabes proposant
de supporter les coûts et
l’assistance [d’une intervention
militaire en Syrie], la réponse est
profondément oui, ils y sont
disposés. Cette offre est sur la
table (…). Et bien, nous ne
savons pas dans quelle action nous
sommes engagés en ce moment, mais
ils ont été assez explicites, je
veux dire, très explicites. En fait,
certains d’entre eux ont dit que si
les États-Unis sont prêts à aller
faire le boulot, de la façon dont
nous l’avons fait par le passé en
d’autres endroits, ils supporteront
le financement. »
[3] Cette
expression renvoie au chapitre 7 de
la charte de l’ONU. Il s’agit d’un
euphémisme ouvrant la voie au
déclenchement de guerres
d’ingérence, comme ce fut le cas
après le vote la résolution 1973 de
l’ONU, qui fut suivie d’une campagne
de frappes aériennes contre la
Libye, avec en point d’orgue la
capture et le lynchage du président
libyen Mouammar Kadhafi.
[5] Je
renvoie à une intervention de
Jean-Michel Vernochet donnée les
jours suivants l’événement. Cette
analyse à chaud n’a pas pris une
ride. Entrer sur youtube :
« Massacre à Houla, Crise
diplomatique, vérité & mensonges ».

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