Corse
L’Etat à la manœuvre
François Alfonsi
Mercredi 8 juin 2016
Le gouvernement a
décidé de dépêcher une noria
ministérielle en Corse. Braillard, celui
des sports, début mai pour panser les
plaies de la tragédie de Furiani,
Boistard, celle des personnes âgées,
pour inaugurer le nouvel EHPAD à
Cargèse, Pinville, celle de l’artisanat,
pour apporter un peu d’oxygène aux TPE
insulaires, ont déjà fait leur tour de
piste.
Certes, pour
l’instant, le casting fait un peu penser
aux « Inconnus », mais Ségolène Royal
viendra à son tour parler PPE et énergie
à la fin de la semaine. Jean Michel
Baylet suivra pour parler Collectivité
Unique. Même Bernard Cazeneuve fait
preuve de disponibilité en acceptant de
recevoir Maxime Beux, défiguré par un
tir de flashball lors d’une opération de
police à la sortie du match
Reims-Bastia, ce qui a donné une issue
rapide, et à vrai dire inattendue, au
mouvement de grève de la faim lancé par
Jean Baptiste Castellani, porte parole
des supporters du club à Bastia.
En politique il n’y a pas de « loi des
séries » qui pousserait des ministres
plus ou moins connus à prendre l’un
après l’autre un avion pour la Corse. Il
y a donc un mot d’ordre,
vraisemblablement coordonné par
Matignon.
Ce mot d’ordre
consiste à prendre le contre-pied de la
démarche de l’Assemblée de Corse,
aujourd’hui portée par la majorité
nationaliste. A la « proposition globale
» co-officialité, statut de résident,
statut fiscal et réforme
constitutionnelle, à laquelle le
gouvernement a décidé d’apporter une fin
de non recevoir, on essaie d’opposer une
politique des « micro-pas », version
minimaliste des petits pas, qui consiste
à mettre en avant le moindre point
positif, pourvu qu’il ne recèle aucun
risque pour le statu quo institutionnel.
La mise en scène
est alors la même pour tous : photo tout
sourire avec les élus de la Corse, et
discours convenu sur « l’Etat qui
n’abandonne pas la Corse ». Sous-entendu
: « même si elle a voté nationaliste ».
Et, au troisième degré : « à condition
qu’elle ne recommence pas ! ».
Dans tous les cas,
la démonstration qui est faite consiste
à exprimer que les élus nationalistes
sont là pour la photo. Santé : c’est
l’Etat qui tient les cordons de la
bourse des hôpitaux en quasi-faillite.
Fiscalité des TPE : c’est l’obscure
Martine Pinville qui annonce la
modification du crédit d’impôt qui
passera de 20 à 30% pour les TPE
investissant en Corse. Ségolène Royal
fera de même avec les investissements en
matière de production électrique et
Baylet énoncera les ordonnances de la
loi NOTRe sans avoir retenu aucune des
propositions, ou presque, de la
Commission ad hoc de l’Assemblée de
Corse. Le message est simple : le cœur
du pouvoir reste à Paris, même si les
nationalistes sont à la tête des
institutions de la Corse.
C’est aussi une
façon d’affirmer que « l’autonomie ce
n’est pas pour demain », ou encore que
la Collectivité Territoriale de Corse
est et reste une simple collectivité
locale. Et que ceux qui sont à sa tête
sont des « élus locaux » sans dimension
politique particulière.
Cette dimension
politique il faut donc la gagner
autrement et surtout ne pas compter sur
l’Etat pour y parvenir.
Cela passe d’abord
par l’exercice plein et entier des
compétences consenties à la CTC,
notamment sur les dossiers emblématiques
qui font l’actualité, déchets ou
transports.
Et cela se
construira surtout en réussissant à
situer la question corse au delà du tête
à tête avec Paris. Dans le délai très
court qui reste, six mois après
l’élection victorieuse de décembre
dernier, et un an avant l’avènement
d’une nouvelle majorité à Paris, suivi
de nouvelles élections en Corse, le
meilleur moyen de s’affirmer sera
d’associer la question corse aux autres
démarches nationalistes en Europe,
particulièrement avec la Catalogne dont
l’antagonisme avec Madrid rejoint celui
de la Corse avec Paris. Ce qui sera fait
là sera entièrement au crédit de la
majorité nationaliste de l’Assemblée de
Corse : jamais un Paul Giacobbi ou un
Camille de Rocca Serra ne pourront
prétendre le faire à notre place.
Et cela donnera aux
Corses une perspective d’avenir tout à
fait autre, celle d’un peuple et d’un
territoire qui s’inscrivent ailleurs que
dans le cadre voulu par l’Etat, celui
dans lequel l’avenir de la Corse se
décide depuis les couloirs des
ministères parisiens.
François ALFONSI
Le
dossier Corse
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