Monde
Viktor Orbán, Premier ministre hongrois
et nouveau visage de l’Ennemi
selon Washington
F. William Engdahl
Sergueï
Lavrov, ministre russe des Affaires
étrangères (à gauche), et Viktor Orbán,
Premier ministre hongrois (à droite),
lors d’une rencontre à Budapest.
© RIA Novosti/Eduard Pesov
Mercredi 26 novembre 2014
Le refus du Premier ministre Viktor
Orbán et de son parti dirigeant, Fidesz,
de se joindre à la nouvelle Guerre
froide menée contre la Russie par les
États-Unis et l’Europe — d’abord en
acceptant la traversée de son territoire
par le gazoduc paneuropéen South Stream,
mais aussi à travers sa politique
cinglante contre les banques et
compagnies énergétiques étrangères — a
déclenché toutes les alarmes dans les
capitales occidentales. Pour F. William
Engdahl, la question qu’il faut
désormais poser est la suivante : la
Hongrie sera-t-elle la prochaine cible
d’une tentative de changement de régime
financée par les USA et l’Union
européenne ?
Depuis quelque temps,
la Hongrie et son Premier ministre
populiste et nationaliste Viktor Orbán
sont dans la ligne de mire des élites
politiciennes de Washington. Quel péché
a donc commis M. Orbán ? Ne pas avoir
courbé l’échine sous les diktats souvent
destructeurs de la Commission
européenne ; et chercher à définir une
identité nationale hongroise. Mais le
plus grave de ses péchés est son
rapprochement croissant avec la Russie
et sa méfiance envers Washington,
matérialisés par un accord conclu avec
Gazprom pour laisser passer par la
Hongrie le gazoduc South Stream,
qui doit relier la Russie à l’Union
européenne.
Orbán lui-même a parcouru un long
chemin politique depuis 1998, année où
il devint Premier ministre de Hongrie,
l’un des deux plus jeunes que ce pays
ait élus à cette fonction. À cette
époque, il avait supervisé, malgré
l’opposition de la Russie, l’entrée de
la Hongrie dans l’Otan — en même temps
que la Pologne et la République tchèque
— et dans l’Union européenne. Durant ce
mandat de Premier ministre effectué en
des temps où l’économie de l’UE était
beaucoup plus prospère qu’aujourd’hui,
Orbán réduisit les impôts, abolit les
droits d’inscription à l’université pour
les étudiants qualifiés, augmenta les
allocations maternelles et attira
l’industrie allemande avec une
main-d’œuvre hongroise bon marché. L’un
de ses « conseillers » états-uniens
était James Denton, lié à Freedom House,
une ONG de Washington impliquée dans les
révolutions colorées [1].
Orbán était alors le chouchou des
néoconservateurs de Washington. En 2001,
il reçut le « prix de la Liberté » de
l’American Enterprise Institute [2],
un groupement néoconservateur [3].
Pourtant, en 2010, après avoir passé
six ans dans l’opposition, Orbán fit son
retour, doté cette fois d’une majorité
retentissante par l’intermédiaire du
Parti hongrois d’union civique (connu
sous le nom abrégé de Fidesz). Dans les
faits, Fidesz disposait d’une majorité
de 68 % au Parlement, ce qui lui
assurait tous les votes nécessaires pour
modifier la Constitution et adopter de
nouvelles lois, ce dont il ne se priva
pas. Ironiquement, dans une logique
typique de paille et de poutre,
l’administration Obama et le Parlement
européen lui reprochèrent d’avoir doté
Fidesz d’un pouvoir excessif. Orbán fut
accusé par Daniel Cohn-Bendit et les
Verts européens de prendre pour modèle
le Venezuela du président Hugo Chávez [4].
Le moins qu’on puisse dire est qu’il ne
respectait pas le cahier des charges
bruxellois à l’usage des hommes
politiques européens obéissants. Dans
l’Union européenne, on se mit à
diaboliser Fidesz et Orbán, faisant
passer le premier pour la version
hongroise du parti Russie unie et le
second pour le Poutine magyar. C’était
en 2012.
Et maintenant, la situation devient
réellement préoccupante pour les
atlantistes et l’UE, car Orbán vient de
passer outre aux exigences européennes
d’interrompre la construction du grand
gazoduc russe South Stream.
Le projet
du gazoduc russe South Stream, destiné à
acheminer le gaz naturel russe jusqu’en
Europe par la mer Noire
Le gazoduc russe South Stream
et le gazoduc germano-russe Nord
Stream garantiraient à l’Union
européenne un approvisionnement en
gaz tout en contournant le conflit
en Ukraine, ce à quoi Washington
s’oppose farouchement, pour des
raisons évidentes.
En janvier 2014, le gouvernement
de M. Orbán a annoncé un accord
financier de 10 milliards d’euros
avec la Société nationale russe
d’énergie nucléaire pour rénover
l’unique centrale nucléaire de
Hongrie, située à Paks. Conçue selon
la technologie russe, cette centrale
avait été construite sous l’ère
soviétique [5].
Cette annonce éveilla l’attention
de Washington. Il en fut de même à
l’été 2014, lorsque Orbán critiqua
les États-Unis, observant qu’ils
avaient échoué à résoudre la crise
financière mondiale qu’ils avaient
eux-mêmes provoquée par le
truchement de leurs banques. Il fit
à cette occasion l’éloge de la
Chine, de la Turquie et de la
Russie, qu’il considérait comme des
modèles plus positifs. En des termes
assez proches de ceux que j’ai
souvent employés, il déclara que les
démocraties occidentales « risquent,
dans les prochaines décennies, de se
révéler incapables de conserver leur
compétitivité, et paraissent vouées
au déclin à moins qu’elles ne
parviennent à se transformer
profondément » [6].
Non content de cela, Orbán est
parvenu à libérer la Hongrie de
plusieurs décennies d’une
catastrophique mise sous tutelle par
le Fonds monétaire international. En
août 2013, le ministre hongrois de
l’Économie déclara qu’il avait
réussi, au moyen d’une « politique
budgétaire disciplinée », à
rembourser les 2,2 milliards d’euros
que le pays devait au FMI. Finies
les privatisations forcées et les
conditionnalités exorbitantes
exigées par le FMI ! Le président de
la Banque centrale hongroise exigea
alors du FMI la fermeture de tous
ses bureaux à Budapest. En outre, et
comme l’avait aussi fait l’Islande,
le Procureur général de Hongrie
assigna en justice les trois
Premiers ministres des gouvernements
précédents en raison du niveau
criminel d’endettement dans lequel
ils avaient plongé la nation.
C’était un précédent qui ne manqua
pas de provoquer des sueurs froides
dans quelques capitales, à
Washington ou à Wall Street [7].
Mais l’alarme la plus
retentissante fut sonnée pour de bon
lorsque Orbán et son parti Fidesz,
en même temps que leurs voisins
autrichiens, donnèrent le feu vert à
la construction du gazoduc russe
South Stream sans se soucier des
protestations de l’Union européenne,
qui avançait que ce projet était
contraire à ses lois. Es lebe die
österreichisch-ungarische
Energiemonarchie ! (Vive la
monarchie énergétique
austro-hongroise ! »), proclama
Orbán lors d’une rencontre avec
Horst Seehofer, ministre-président
de Bavière, le 6 novembre à Munich [8].
Il n’en fallait pas plus pour que
les élites états-uniennes
déclenchent immédiatement l’alerte.
Le New York Times, soutien
très zélé de l’establishment, fit
passer en « une » un éditorial
intitulé « Le glissement dangereux
de la Hongrie ». « Le gouvernement
du Premier ministre hongrois Viktor
Orbán, y déclarait-on, dérape vers
l’autoritarisme et défie les valeurs
fondamentales de l’Union européenne
— et tout le monde le laisse
faire. »
En ces termes, le Times
révélait la véritable raison de
cette panique à Washington et à Wall
Street : « Encore une fois, la
Hongrie a témoigné de son mépris
pour l’Union européenne en faisant
passer, lundi dernier, une loi
autorisant la traversée du
territoire hongrois par le gazoduc
russe South Stream. Cette
nouvelle loi est une violation
flagrante de l’ordre donné en
septembre dernier par l’Union
européenne à tous ses États membres
de refuser la construction de
South Stream, ainsi que des
sanctions économiques imposées par
l’Union européenne et les États-Unis
contre la Russie à la suite des
actions de ce pays en Ukraine. Au
lieu de protester du bout des lèvres
contre ces mesures
antidémocratiques, l’Union
européenne ferait mieux d’ordonner
elle aussi des sanctions contre la
Hongrie. Et Jean-Claude Juncker,
président de la Commission
européenne, devrait user de son
pouvoir pour obliger M. Navracsics à
démissionner » [9].]
Tibor Navracsics vient d’être nommé
à Bruxelles commissaire européen à
l’Éducation, à la Culture, à la
Jeunesse et aux Sports, fonction
dont on cherche en vain le rapport
avec les gazoducs.
Et maintenant, nous pouvons nous
attendre à voir le National
Endowment for Democracy [10]
et les ONG de service soutenues par
les États-Unis trouver une bonne
excuse pour organiser des
manifestations de masse contre
Fidesz et Orbán afin de punir
ceux-ci de leur crime
impardonnable : chercher à délivrer
la Hongrie de la situation démente
qu’ont créée les États-Unis en
Ukraine.
Traduction
Sophie Brissaud
Source
Kopp (Allemagne)
[1]
« Freedom
House : quand la liberté n’est qu’un
slogan »,
par Thierry Meyssan,
Réseau Voltaire,
7 septembre 2004.
[2]
"Orbán
Address at Receiving Freedom Award",
American Enterprise Institute, 1er mai
2001.
[3]
« L’Institut
américain de l’entreprise à la
Maison-Blanche »,
Réseau
Voltaire,
21 juin 2004.
[4]
"Hongrie :
Daniel Cohn-Bendit compare Viktor Orban
à Chavez et Castro",
RTBF.be, 18 janvier 2011.
[5]
"Strange
Bedfellows : Hungary Leans Toward Russia",
Brent Ranalli,
The Globalist,
10 mars 2014.
[6]
"Prime
Minister Viktor Orbán’s Speech at the
25th Bálványos Summer Free University
and Student Camp",
Site internet du gouvernement hongrois,
30 juillet 2014.
[7]
"Hungary
Sheds Bankers’ Shackles",
Ronald L. Ray, AFP, 23 août 2013.
[8]
"Seehofer
receives controversial Hungarian State
Chief",
Britan
Today, 6
novembre 2014.
[9]
“Hungary’s
Dangerous Slide”,
Équipe éditoriale,
The New York Times,
5 novembre 2014.
[10]
« La
NED, vitrine légale de la CIA »,
par Thierry Meyssan, Оdnako
(Russie),
Réseau Voltaire,
6 octobre 2010.
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