France/Liban
Georges
Ibrahim Abdallah,
plus vieux prisonnier politique d’Europe
Emmanuel Haddad
Lundi 25 novembre 2013
Le militant
communiste propalestinien est incarcéré
depuis près de trente ans. Or une simple
signature du ministre français Manuel
Valls suffirait à rendre au Libanais de
62 ans sa liberté.
«Je suis ici,
Messieurs, pour vous demander simplement
de bien vouloir laver vos mains maculées
de notre sang et du sang de nos mômes,
avant de prétendre nous juger, car celui
qui accepte de fouler aux pieds le sang
de vingt-cinq mille morts tombés au
Liban lors de l’invasion impérialo-sioniste
de 1982 ne peut qu’être le complice
direct de Reagan et de Begin dans leur
guerre d’extermination contre notre
peuple.» Ces paroles, Georges Ibrahim
Abdallah les a prononcées le 26 février
1987, lors du procès qui allait conduire
à sa condamnation à perpétuité par la
cour de justice de Paris, pour
«complicité d’assassinats» en tant que
leader supposé de la Fraction armée
libanaise révolutionnaire (FARL),
responsable des meurtres du
lieutenant-colonel Ray, attaché
militaire adjoint des USA en France, et
de Yacov Barsimentov, conseiller à
l’ambassade d’Israël.
A l’époque, ce militant communiste et
pro palestinien a vécu les affres de dix
années de guerre civile au Liban. Il
vient d’assister impuissant au massacre
des Palestiniens réfugiés dans les camps
de Sabra et Chatila en septembre 1982
par les phalangistes chrétiens libanais,
sous les yeux de l’armée israélienne,
tandis que la Force multinationale
venait d’escorter dix mille combattants
palestiniens hors du Liban. Un massacre
jusqu’à ce jour impuni.
Un avocat
barbouze
Vingt-neuf ans après son arrestation à
Lyon le 24 octobre 1984, le Libanais
désormais âgé de 62 ans est, lui,
toujours enfermé en France, lui donnant
le statut peu enviable de plus vieux
prisonnier politique d’Europe. Paradoxe:
plus sa détention se prolonge, plus les
preuves sur l’opacité de son inculpation
s’accumulent, au même titre que le
nombre de personnalités de tous bords
qui réclament sa libération.
Arrêté au départ pour possession d’un
faux passeport algérien, Georges Ibrahim
Abdallah est condamné une première fois
en 1986 à quatre années de détention
pour détention d'armes et d'explosifs.
Un an plus tard, lorsqu’il comparaît à
nouveau, la France vient d’être le
théâtre d’une vague d’attentats
meurtriers, faisant treize morts et plus
de trois cents blessés, revendiqués par
le Comité de solidarité avec les
prisonniers politiques arabes (CSPPA),
qui exige la libération d’Anis Naccache,
de Varoudjian Garbidjian et de Georges
Abdallah.
Sauf que, entre les deux procès, la
Direction de la surveillance du
territoire (DST) découvre soudain l’arme
utilisée dans les attentats de Charles
Ray et de Yacov Barsimentov, dans un
appartement parisien loué par Georges
Abdallah. L’avocate Isabelle Coutant-Peyre,
alors membre de l’équipe de sa défense,
s’étonne: «Le tribunal n’a pas hésité à
condamner notre client à la prison à
vie, malgré les protestations de
l’équipe de la défense que les preuves
contre lui n’étaient pas incluses dans
le procès initial et aient été
fabriquées plus tard pour le faire
condamner rétroactivement», livre-t-elle
au quotidien libanais al-Akhbar.
Une condamnation à vie d’autant plus
dure à avaler que son premier avocat,
Jean-Paul Mazurier, n’est autre que la
taupe qui a renseigné la DST contre son
propre client pendant plusieurs années:
«Le plus grand danger que j’ai connu,
c’est de me retrouver seul après une
rencontre avec Abdallah, pas fier de
moi. C’est affreux d’exploiter la
conscience d’un homme, de berner
l’autre», se repentit-il en 1987 dans le
livre L’agent noir du journaliste de
Libération Laurent Gally, ouvrant la
porte à une possible annulation de la
procédure judiciaire.
Autant d’anomalies qui font aujourd’hui
sortir de sa réserve le patron de la DST
de l’époque, Yves Bonnet: «J’ai un
problème de conscience dans cette
affaire», déclare-t-il en 2012 à La
Dépêche du Midi en parlant de «vengeance
d’Etat». Alors que Georges Abdallah
entame sa trentième année derrière les
barreaux, Yves Bonnet rappelle que des
trois condamnés à perpétuité dont la
libération était réclamée par le CSPPA,
seul Abdallah est encore sous les
verrous. Un malaise d’autant plus
prononcé qu’Abdallah devait être échangé
contre Gilles Sidney Peyroles, Français
pris en otage à Tripoli, au Liban, par
les FARL en 1985. Seul l’otage français
a été libéré. «La France a trahi la
parole donnée et on a voulu faire croire
qu’à l’époque, Bonnet avait négocié tout
seul», dénonce-t-il, amer.
Détenu
exemplaire
«Il possède une aura impressionnante. Il
tempère beaucoup les ardeurs des autres
détenus, il les influence beaucoup dans
le bon sens du terme», témoigne un
surveillant pénitencier à La Semaine des
Pyrénées, qui côtoie depuis quinze ans
Georges Abdallah dans la prison de
Lannemezan. Selon l’article 720-4 du
code pénal français, «lorsque le
condamné manifeste des gages sérieux de
réadaptation sociale, le tribunal
d’application des peines peut (...)
décider qu’il soit mis fin à la période
de sûreté prévue par l’article 132-23 du
code pénal». Une largesse qui n’a pas
été accordée au détenu 2388/A221, malgré
son comportement «exemplaire».
Mais l’article 132-23 en question
plafonne à dix-huit ans la période de
sûreté pour un condamné à perpétuité,
au-delà desquels une libération
conditionnelle est envisageable. Passé
cette période, la défense de Georges
Abdallah a déposé neuf demandes de
libération conditionnelle. Mais rien n’y
fait. Quand la demande n’est pas rejetée
en 2003, le parquet fait appel et la
libération accordée par le tribunal de
Pau est annulée.
Le 21 novembre 2012, le tribunal
d’application des peines accepte une
nouvelle fois la demande de liberté
conditionnelle et rejette cette-fois
l’appel du parquet. L’espoir renaît. «Au
Liban, il y a eu des feux d’artifice et
des fêtes organisées pour l’attendre.
Dans la prison de Lannemezan, une soirée
a été organisée avec les surveillants de
prison. Et finalement rien. A partir du
moment où la commission nationale
d’observation a déclaré qu’il était
exemplaire, ce qui a poussé la justice à
le libérer, le maintenir en prison
devient une séquestration. Sauf à dire
que le pouvoir se fout de la justice en
France», s’insurge Soraya Chekkat,
membre du comité de soutien à Georges
Abdallah, qui lui rend visite en prison
depuis bientôt dix ans.
Pressions de
Washington
Car la décision du tribunal est prise
«sous réserve qu’il fasse l’objet d’un
arrêté d’expulsion du Ministère de
l’intérieur» à destination du Liban, où
les autorités sont prêtes à
l’accueillir. «Mais cette expulsion-là,
pour une fois, Manuel Valls hésite à en
donner l’ordre», ironisent le
journaliste Daniel Schneidermann et
l’écrivaine Chloé Delaume, auteurs d’un
livre d’autofiction autour de la guerre
civile au Liban, Où le sang nous
appelle. Chloé Delaume n’est autre que
la nièce du militant propalestinien, son
seul lien de parenté en France, et qui
pourtant n’a pas obtenu le droit de
visite. Pourquoi un tel acharnement
contre ce détenu sans problème, dont la
libération a même été demandée par des
sénateurs et des députés de gauche, dans
une lettre ouverte au président de la
République le 23 octobre 2013?
«Nous savons tous que la situation des
prisonnier-e-s révolutionnaires n’est
que formellement fonction des décisions
judiciaires; ce sont toujours les
instances politiques qui en délimitent à
la fois le contenu et le pourtour»,
écrit Georges Abdallah en 2004 à
l’adresse des membres de son comité de
soutien. «Ce n’est pas la justice
française qui le maintient enfermé.
Chaque fois qu’il est libérable, il y a
un coup de fil des Etats-Unis», abonde
Soraya. Un constat opéré tant par son
avocat Jean-Louis Chalanset, qui parle
de «discussions d’Etat à Etat», que par
les signataires de la lettre ouverte à
François Hollande, qui demandent «de
mettre un terme à cette injustice et de
prendre les mesures, quelles que soient
les pressions étrangères», sans nommer
les Etats-Unis, qui sont partie civile
dans le procès du militant
propalestinien.
«Nous avons des inquiétudes légitimes
quant au danger qu’un M. Abdallah libre
représenterait pour la communauté
internationale», a en effet réagi le
porte-parole du Département américain à
la suite de l’annonce de sa libération
possible le 21 novembre 2012. Une
annonce suffisante pour faire trembler
la main de Manuel Valls au moment de
signer l’arrêté d’expulsion?
Pourtant, si Soraya reconnaît
qu’Abdallah «ne déroge pas à ses
valeurs», notamment à coups de «grèves
de la faim en solidarité avec les
prisonniers palestiniens ou turcs», la
militante et juriste qui le rencontre
tous les mois voit mal quel «danger» il
pourrait représenter: «Quand il sortira,
il va rentrer boire du thé auprès des
siens et puis voilà! A part en faire un
héros et un martyr je ne vois pas ce que
fait la France en le maintenant ainsi
enfermé.»
Le
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