Opinion
L'année où les BDS sont devenus la
préoccupation numéro un des Juifs
américains
Debra Nussbaum
Cohen
Un
étudiant pro-BDS assistant à la première
conférence tout public
de Hillel à Harvard, en octobre 2014.
Photo : Gili Getz.
Lundi 29 décembre 2014
Quoi qu'en disent les organisations
sionistes américaines : le mouvement BDS
est incontournable et progresse bel et
bien, comme le démontre cette enquête du
journal Haaretz.
NEW YORK – 2014
a été l'année où le mouvement Boycott,
Désinvestissement et Sanctions (BDS)
s'est retrouvé au cœur même de l'agenda
de la communauté juive américaine.
Alors que les efforts de la campagne BDS
ont débuté voici plus d'une décennie et
que leur niveau d'impact aux États-Unis
n'a pas été similaire à celui atteint en
Europe, les partisans des BDS affirment
qu'il y a eu du progrès.
Au cours de cette année académique, «
nous avons été confrontés à la
campagne la mieux organisée jamais vue
en vue de diaboliser Israël et de s'en
prendre aux étudiants soutenant Israël
», écrivait Eric Fingerhut, CEO de
Hillel, dans une lettre du 22 décembre
adressée aux membres du comité de Hillel
International. « Nous nous y étions
préparés », écrivait-il encore,
faisant allusion au travail réalisé par
Hillel sur les campus avec près de 250
professionnels en communication et
autres disciplines ainsi qu'au projet de
Hillel d'envoyer un grand nombre de
personnes en Israël en janvier.
Les milieux académiques constituent une
cible majeure, du fait des résolutions
BDS présentées aux conseils des
étudiants et aux syndicats des étudiants
universitaires, ainsi qu'aux
associations des professeurs
d'université. Une prochaine tentative
visera la conférence annuelle de
l'Association américaine des historiens,
qui compte 14.000 membres et qui se
réunira à New York en janvier.
Les BDS sont devenus une préoccupation
importante, pour la communauté juive
américaine organisée, qui les perçoit
comme une menace à long terme. Cette
année, de nouvelles coalitions se sont
constituées et les efforts pour les
combattre se sont intensifiés via des
interventions visant à contredire les
conférenciers hostiles à Israël ainsi
qu'en organisant sur les campus
universitaires des activités avec
d'autres conférenciers favorables à
Israël. Un nouvel ouvrage comprenant
quelque 35 articles, « The Case
Against Academic Boycotts of Israel
» (La cause des opposants aux boycotts
universitaires d'Israël), vient d'être
édité et publié par Cary Nelson et
Gabriel Noah Brahm.
En partie pressés par la guerre à Gaza,
l'été dernier, «
nous avons certainement assisté à un
accroissement des activités contre
Israël au début du semestre mais, dans
un même temps, nous avons également
assisté à une recrudescence de
l'activisme en faveur d'Israël. Jamais
le mouvement n'a été aussi large et
aussi fort », a déclaré Jacob Baime,
directeur exécutif de la Coalition
pour Israël sur les campus. «
Nous suivons de près au moins quatre ou
cinq activités pro-israéliennes pour
chaque activité anti-israélienne.
L'activisme pro-israélien surclasse de
loin les activités anti-israéliennes,
dans l'ensemble. Pour chaque
conférencier hostile à Israël, il y en a
des tonnes qui sont pour Israël »,
sur les campus, a-t-il ajouté.
L'une des rares résolutions BDS à
rallier du soutien dans une organisation
universitaire l'a fait à l'Université de
Californie. Le 10 décembre, les membres
du syndicat des étudiants universitaires
y ont adopté une résolution appelant
l'organisation de l'université même et
le Syndicat international uni des
travailleurs de l'automobile « à
refuser d'investir dans les compagnies
impliquées dans l'occupation et
l'apartheid israéliens ». Le
syndicat compte 13.000 membres
travaillant en qualité d'assistants
enseignants et tuteurs sur les neuf
campus de l'Université de Californie.
Un peu plus de la moitié des 2.100
membres du syndicats à avoir voté
personnellement ont pris l'engagement de
ne participer à aucune forme de
recherche, ni à des conférences,
activités ou programmes d'échange
sponsorisés par des universités
israéliennes.
De même, en mai dernier, à l'Université
catholique DePaul, à Chicago, la
campagne de désinvestissement a été
approuvée à l'issue d'un référendum
parmi les étudiants.
Par contre, une proposition dans le même
sens a été rejetée par le syndicat des
étudiants de l'Université de la Ville de
New York.
Aux États-Unis, les opposants aux BDS
prétendent que « la campagne BDS
s'est soldée par un échec complet. Ils
ne sont pas parvenus à convaincre qui
que ce soit, hormis une poignée
d'étudiants et certains professeurs, que
cela puisse contribuer d'une façon ou
d'une autre à la paix ou améliorer le
sort des Palestiniens ». Ce sont
les propos mêmes de Mitchell Bard,
directeur exécutif de l'Israeli-American
Cooperative Entreprise, un groupe qui
achemine des universitaires israéliens
vers les campus américains.
« Au niveau des campus, le boycott a été
un colossal échec »,
a-t-il ajouté. « Il y a en gros
2.000 universités de cycle complet aux
États-Unis et, lors de la dernière année
académique, 16 ou 17 résolutions de
désinvestissement ont été proposées et
une douzaine au moins ont été rejetées.
Andrew Kadi, un professionnel en IT
d'origine palestinienne et opérant à
Washington, D.C., est vice-président de
la Campagne américaine contre
l'occupation israélienne. Dans une
interview, il a contesté les propos de
Bard. « Si ç'a été un échec complet,
pourquoi a-t-on investi tant d'argent à
essayer de la contrer ? Toutes les
organisations juives explicitement
sionistes du pays semblent investir des
tas de millions pour s'opposer aux BDS »,
a-t-il déclaré.
« Je ne vais pas m'installer ici
pour tenter de dire du boycott qu'il a
été le plus grand succès de cette année.
C'est un processus de longue haleine. Il
a fallu entre dix et quinze ans pour que
ce type de campagne contribue à mettre
un terme à l'apartheid en Afrique du
Sud, et c'est le temps qu'il faut pour
que ces campagnes aient un effet au
niveau politique. »
Kadi a reconnu que les BDS ont eu
beaucoup plus d'influence en Europe. «
Aux États-Unis », a-t-il dit, « nous
avons encore un long chemin à parcourir.
»
La mort à
petit feu
Les organisations juives américaines
sont occupées à changer de stratégie
afin d'opérer un changement à long terme
et d'en arriver à établir des relations
avec des partenaires potentiels, plutôt
que de réagir quand apparaît une
nouvelle initiative
BDS. « Tous les responsables de
notre communauté croient que nous devons
étendre nos efforts. Nous croyons tous
que ce n'est pas qu'une affaire juive,
mais une affaire américaine », a
déclaré Baime. « Nous voyons
actuellement des étudiants
pro-israéliens actifs en politique se
faire de nouveaux alliés à l'extérieur
des cercles pro-israéliens habituels.
»
Le Projet David, par exemple, développe
un programme qui, à la fin de cet hiver,
va emmener un étudiant pro-israélien et
deux ou trois leaders non juifs de
campus dans un voyage en Israël. Cette
année, le projet concerne 32 campus.
L'an prochain, explique Philip Brodsky,
directeur exécutif du groupe, ils
prévoient d'en impliquer 40.
« La communauté s'est quelque peu
sophistiquée en comprenant que chaque
combat ne doit pas se livrer au niveau
nucléaire », a déclaré Bard. «
Il faut se servir d'outils très divers.
»
« Il y a lieu de s'inquiéter du
désengouement croissant pour Israël, de
s'inquiéter du fait que, même si nous
avons du soutien aujourd'hui, laissez
passer dix ans encore et nous aurons un
problème plus grave », a déclaré
Geri Palast, directrice de l'Israel
Action Network. Son réseau, qui
soutient le travail pro-israélien de
Hillel, du JCRC et de groupes non juifs
comme certaines églises et organisations
noires et latino-américaines, est un
partenariat entre les Fédérations
juives de l'Amérique du Nord et le
Centre juif des affaires publiques
(JCPA) et il a un budget annuel de
1,5 million de dollars.
D'ici dix ans, « y aura-t-il encore
aux États-Unis une communauté aussi
progressiste que celle qui soutient
Israël aujourd'hui, du fait que ces gens
ont grandi dans cet environnement? C'est
à cela qu'il faut penser – et non à la
résolution même. »
« C'est la mort à petit feu »,
a déclaré Bard. « Les gens ont
l'impression qu'il nous faut céder du
terrain partout, de sorte qu'ils n'ont
plus pied ou qu'ils n'ont plus la
confiance qui leur est nécessaire pour
réussir. »
Ethan Felson, vice-président du JCPA,
l'organe des relations communautaires de
la communauté juive organisée, a déclaré
qu'il devrait y avoir une concentration
positive sur les efforts contre les BDS.
« Nous essayons de développer un
mouvement de soutien de la paix incarné
par deux États pour deux peuples, et non
de combattre une espèce de croquemitaine
», a-t-il ajouté.
Felson suite à la trace les efforts de
propagation des BDS parmi les églises
chrétiennes et explique qu'il prévoit
que des résolutions de désinvestissement
semblables à celles adoptées en juin par
l’Église presbytérienne des États-Unis
seront proposées à peu près
dans chaque église protestante au cours
de l'année à venir.
Le point
d'entrée dans les universités
Les promoteurs des
BDS déclarent que leurs efforts ont été
couronnés de succès, cette année.
« Les efforts en faveur des BDS ont
été grandement efficaces », déclare
Sydney Levy, directeur de la promotion
de la Voix juive pour la paix,
qui se décrit comme faisant partie du
mouvement BDS. La décision de
Durham, en Caroline du Nord, d'annuler
un contrat de 1 million de dollars avec
G4S, une multinationale de la sécurité,
en raison de la collaboration de la
société dans les prisons et check-points
sécuritaires israéliens, est l'un des
reflets de ce succès. »
Un autre succès réside dans la décision
de SodaStream de transférer son usine
d'un parc industriel de Cisjordanie vers
une ville du sud d'Israël. Le fabricant
d'appareils à gazéification maison a
déclaré en novembre qu'il allait
s'implanter ailleurs pour des raisons
strictement commerciales. Mais, a
déclaré Levy à l'adresse de Haaretz,
le fait de « quitter une colonie
prouve le succès de la campagne BDS
».
Hormis cet exemple, peut-être, le combat
des BDS n'influence pas la politique
israélienne, a déclaré Felson, du JCPA.
« Même si les Israéliens sont
conscients du mouvement BDS, celui-ci
n'est pas un catalyseur. Les dirigeants
israéliens prennent des décisions et les
électeurs israéliens prennent des
décisions qui s'appuient sur des
facteurs bien plus tangibles comme la
sécurité, leurs intérêts économiques et
les problèmes politiques. Ils sont
habitués à l'isolement international.
Ils sont habitués à ce que l'ONU d'un
côté et l'UE de l'autre leur disent de
s'en aller. »
Les BDS n'ont pas eu non plus d'impact
sur la perception d'Israël par les
Américains. Dans les groupes cibles
comprenant des Américains non juifs et
influents, « personne ne savait ce
qu'étaient les BDS », a déclaré une
source, qui a refusé qu'on la cite
nommément. « Cela consomme beaucoup
de notre énergie, mais cela n'a guère de
portée. Nous pensons que le monde entier
est BDS. Cela ne va pas jusque-là.
»
Un domaine où les partisans des BDS ont
connu un succès notoire cette année, ce
sont les milieux académiques, où se dire
favorable au boycott et au
désinvestissement est quasiment devenu
une condition préalable pour être
catalogué de progressiste digne de foi.
« Nos contacts sur les campus sont
particulièrement inquiets de la façon
dont le problème palestinien est mis en
exergue comme point d'entrée pour les
personnes voulant se profiler comme
défenseurs des opprimés », explique
Gideon Aronoff, CEO d'Ameinu, une
organisation libérale sioniste qui a
lancé « The Third Narrative » (TTN – la
troisième alternative = deux États, paix
et justice pour les Israéliens et les
Palestiniens) en 2013. "Cette année,
TTN a initié un forum à l'adresse des
universitaires qui s'opposent à la fois
à l'occupation et au boycott des
universités israéliennes. »
"Sa capacité à se muer en une sorte
de label pour être vraiment à gauche est
très embarrassante. Quand une telle
chose se mue en une question idéologique
de cette importante, il devient de moins
en moins possible de la contrer par des
éléments factuels. Cette transition a eu
lieu cette année », a ajouté
Aronoff.
Le prochain
combat ?
Lors de la conférence de l'Association
américaine des historiens (AHA –
14.000 membres), qui doit se tenir le
mois prochain, il y aura tout un débat
d'historiens sur la « critique de la
politique israélienne », a déclaré
l'un des organisateurs, Van Gosse, et
deux résolutions de condamnation
d'Israël seront proposées lors de la
réunion d'affaires.
Historians Against the War (HAW –
Historiens contre la guerre), un
groupe apparu en 2003 et s'opposant à
l'occupation de l'Irak par les
États-Unis, essaie de faire figurer
l'occupation israélienne à l'agenda de
l'AHA.
Ses résolutions comportent des
condamnations des « actes de
violence et d'intimidation de la part de
l’État d’Israël contre les chercheurs
palestiniens et leurs collections
d'archives, actes susceptibles
d'anéantir le sentiment palestinien
d'identité historique ainsi que la
consignation même des données
historiques », et ce « en
interdisant à des étudiants de Gaza de
se déplacer en vue de poursuivre des
études supérieures à l'étranger, et même
dans les universités de Cisjordanie »,
ainsi que raison de sa « politique
d'interdiction d'accès à des étrangers
désireux de promouvoir le développement
de l'éducation dans les territoires
palestiniens occupés ».
« Si vous faites bouger un groupe
important comme l'AHA, qui a vraiment du
poids, cela modifie la conscience et
l'opinion », explique Gosse,
professeur associé d'histoire au Collège
Franklin et Marshall de Pennsylvanie et
membre des HAW et de l'AHA. « Si
nous stimulons le débat sur ces
questions, c'est ce que nous essayons en
fait de faire », a ajouté Gosse
qui, personnellement, a donné de
l'argent à JVP.
L'AHA ne s'est pas penché sur des
questions internationales ces quatre
dernières années, c'est-à-dire depuis
qu'il est directeur exécutif, déclare
Jim Grossman mais, précédemment, elle
avait pris position à propos de la
liberté des savants en Russie. Grossman
a refusé en ces termes de dire s'il
était juif ou pro-israélien : « Mes
opinions à ce propos n'ont aucune
importance. S'il y a des historiens dont
les droits en tant qu'intellectuels et
la liberté académique subissent des
pressions, dans ce cas, nous nous
exprimerons en leur nom ».
L'AHA rallierait plusieurs autres
associations académiques qui ont fait
figurer des résolutions contre Israël à
leur agenda au cours de l'année écoulée,
bien que l'AHA soit de loin la plus
importante sur le plan du nombre
d'affiliés. L'Association des études sur
le Moyen-Orient a adopté le mois dernier
une politique permettant à ses 2.700
membres de boycotter Israël.
L'Association des études américaines,
avec ses 5.000 membres, a approuvé en
décembre 2013 une résolution décidant de
boycotter les universités et
institutions israéliennes et ce, bien
que, cette année, des intellectuels
israéliens aient eu l'autorisation de
participer à sa conférence.
L'Association anthropologique américaine
a rejeté un mesure anti-boycott lors de
sa conférence annuelle, le mois dernier,
au lieu de désigner une task-force
censée adresser des recommandations à sa
conférence de 2015. L'Association des
langues modernes, qui compte près de
24.000 membres, a rejeté une motion de
boycott d'Israël lors de sa conférence,
en juin.
Certains historiens pro-israéliens parmi
ses membres ont déclaré qu'ils
travaillaient en coulisse pour tenter de
contrecarrer les efforts de l'AHA en
faveur du boycott.
« L'idée prétendant que l'AHA
pourrait avoir quelque effet sur la
politique d'Israël en Cisjordanie ou
qu'elle pourrait encourager les parties
à des négociations est ridicule »,
a déclaré David Greenberg à l'adresse de
Haaretz. Greenberg est professeur
associé en histoire, en journalisme et
en études des médias à l'Université
Rutgers du New Jersey. « Il y a
actuellement une campagne mondiale de
délégitimation d'Israël. Chaque petite
pièce fait la différence. En soi, elle
n'est pas importante mais, dans la
mesure où elle contribue à l'idée
qu'Israël devrait être catalogué comme
État voyou, c'est une mauvaise chose.
C'est mauvais pour l'AHA, puisque ça lui
aliène ses membres juifs et que cela
crée des divisions. »
Les points de vue des jeunes
intellectuels concernant les BDS peuvent
menacer leurs perspectives de carrière,
a-t-il ajouté.
« Les gens qui sont ne serait-ce que
des supporters mitigés d'Israël occupent
une position qu'on pourrait qualifier de
délicate, dans le monde académique. Si
vous êtes étudiant en terminale ou un
jeune professeur sans titularisation,
vous devrez réellement affronter un
violent climat anti-israélien dans
quantité de départements et votre avenir
pourrait se retrouver compromis »,
a ajouté Greenberg. « Ce n'est pas
un secret que de dire qu'il n'y a
quasiment pas de conservateurs, dans la
profession d'historien. Le soutien à
Israël a été mis sur le même pied qu'une
position conservatrice. Toute personne
qui soutient Israël, même de loin, est
confrontée au problème logique d'avoir à
en souffrir, par conséquent. »
« On ne devrait pas pouvoir dire que
je suis sioniste et que j'ai toujours ma
titularisation, et les gens ne devraient
pas s'occuper de ce genre de chose. Cela
ne devrait pas affecter l'appréciation
de votre érudition. C'est pourtant ce
qui arrive. »
Publié le 27 décembre 2014 sur
Haaretz.
Traduction pour le site de la
Plate-forme Charleroi-Palestine : JM
Flémal.
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