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Cirepal
Un
dimanche sanglant : l’exemple de l’ordre américano-sioniste
au Liban
Photo IRIN
30 janvier
2008
En mémoire des martyrs tombés pour que ce pays, collé à la
Palestine, demeure digne dans sa résistance
Le massacre
commis dans l’après-midi du dimanche 27 janvier dans la
banlieue sud de Beirut, par des éléments de l’armée
libanaise, soutenus par des miliciens, contre la population désarmée,
descendue dans la rue pour protester contre les fréquentes et
incessantes coupures d’électricité, représente un tournant décisif
dans la guerre menée par l’alliance américano-sioniste contre
la résistance et son public au Liban.
Sept
martyrs (Ahmad Hamzi, Yusuf Chqaïr, Ahmad Al Ajuz, Mahmud Hayek,
Hassan Ali Maatuk, Mustafa Ali Amhaz, Mahmud Abdel Amine Mansur)
et des dizaines de blessés sont le bilan de cette journée
effroyable vécue par les habitants d’un quartier pauvre, sortis
dans la rue pour protester contre le gouvernement et ses
institutions dont l’insouciance et le mépris sont devenus une
marque déposée. Les habitants du quartier Shiyah sont privés de
cette source d’énergie qui leur permet de s’éclairer et de
se chauffer, en ce rude mois d’hiver. Plus de 10 heures de
coupure par jour, c’est plus que ne peut supporter cette
population, lorsque la plupart des quartiers de la capitale et les
autres régions du pays n’en sont privées que quelques heures,
ou pas du tout. C’est le mépris affiché par certains membres
du gouvernement Sanioura, gouvernement illégitime maintenu de
force par les forces mondiales de l’oppression, qui est
responsable de cette tuerie.
Susciter une
guerre civile
Les multiples
déclarations des responsables de ce gouvernement, qu’il
s’agisse du chef lui-même ou des responsables des partis
politiques, ne laissent plus aucun doute sur leur volonté de
faire de toute revendication sociale, un enjeu confessionnel, prélude
à une guerre civile. Il en a été ainsi lors de la grève générale
annoncée et exécutée par les syndicats du transport et des
agriculteurs, une semaine plus tôt. Dès l’annonce de cette grève,
les alliés locaux des forces mondiales de l’oppression se sont
dépêchés de mettre en doute la volonté revendicative des
syndicats, accusant l’opposition de vouloir susciter des
troubles confessionnels, et n’ont pas hésité à lancer des
menaces, comme celles du chef milicien Geagea, des Forces
libanaises, qui a promis aux manifestants que ses forces étaient
prêtes à faire face à tout mouvement populaire de la rue.
Le récent
discours de Sheikh Naïm Qassem, vice secrétaire général du
Hizbullah, a répondu aux manœuvres et menaces de l’équipe au
pouvoir :
« Il
faut distinguer entre notre position envers le gouvernement illégitime
et l’équipe au pouvoir d’une part, et entre les
revendications des gens, et leur faim d’autre part. Nous avons
maintes fois déclaré que nous avons le courage de dire que nous
revendiquons tel ou tel mouvement populaire, lorsque c’est le
cas. Nous ne nous cachons pas derrière les revendications des
gens. Lorsque nous participons aux revendications, nous disons ce
sont les revendications des gens et nous les soutenons. Lorsque
nous descendons dans la rue pour des revendications politiques,
nous dirons ce qu’il en est…. Nous avons le courage de le
proclamer, et grâce à Dieu, nous n’abritons pas parmi nous un
menteur qui a menti, pendant 25 ans, à son public (il s’agit de
Jumblatt qui a déclaré récemment qu’il a menti pendant 25 ans
pour se protéger de la Syrie)…. Cessez vos menaces… et nous
disons au monde entier : « Nous sommes là et nous ne
nous cachons derrière personne, ni derrière les Nations-Unies,
ni derrière les Etats-Unis, ni derrière quelques déshérités,
car (lorsque nous décidons de bouger) nous serons aux premiers
rangs et nous nous exposerons à toutes les implications d’un
affrontement, quels que soient les sacrifices ».
Les buts des
alliés locaux sont clairs : face à la misère croissante de
la population, il s’agit de lever l’arme de la division
confessionnelle, ce qui réduit énormément la portée de ses
revendications. Face à la néglicence éhontée de l’Etat
envers les quartiers et les régions les plus pauvres du pays, il
suffit de menacer par la guerre civile pour entâcher de
confessionnalisme toute revendication nationale. Face aux
revendications légitimes du public de la résistance dont les
maisons et quartiers entiers ont été détruits par l’agression
israélienne de juillet et août 2006, le gouvernement illégitime
qui a avalé les millions de dollars réservés à ces quartiers lève
les slogans confessionnels du genre « quartiers sécurisés du
Hizbullah » pour refuser toute contribution à la
reconstruction et aux compensations, voulant punir une population
entière pour avoir résisté à l’agression sioniste.
La guerre
civile à laquelle se préparait Geagea et ses amis consistait à
susciter des troubles entre quartiers, shi’ite musulman et chrétien,
à partir de l’intervention armée contre la population. C’est
d’ailleurs ce qui a été vite mis en relief lorsque les médias
de ce sinistre milicien ont commencé à parler de troubles suscités
par la population de Shiyah, dans le quartier de Ayn Remmaneh,
quartier chrétien, suite à la répression sanglante des
manifestants. Or, il s’est vite avéré que ces informations étaient
infondées, mettant en échec le plan conçu. La déclaration du
chef spirituel maronite va également dans le même sens, lorsque,
suite au massacre, il dénonce les manifestants et les troubles
dans la rue, au lieu de condamner la tuerie. La classe politique
au pouvoir se disputera l’honneur ou plutôt le déshonneur de
parler en termes méprisants des manifestants, remettant en cause
leurs motivations, soutenant même la tuerie qu’ils ont subie,
et que « sans l’intervention de l’armée, tout Beirut se
serait embrasé » (selon les termes du sinistre milicien).
L’armée
libanaise : une armée nationale ?
Il a été établi,
au lendemain de la tuerie, que l’armée libanaise est lourdement
impliquée dans les événements. Ce sont des soldats et des
officiers de l’armée libanaise qui ont tiré sur les
manifestants, à bout portant ou de loin, soutenus cependant par
des miliciens, probablement des Forces Libanaises, qui avaient
pris position sur les hauteurs de quelques immeubles, dans le
quartier voisin de Ayn Remmaneh, comme l’ont montré quelques
prises de vue de certains journalistes présents ce jour-là.
Depuis
l’intervention de l’armée libanaise contre le camp
palestinien de Nahr el-Barid, de nombreuses questions se posent,
au sein de la population, sur cette armée dont le rôle national
avait été salué lors de l’occupation sioniste du pays, mais
qui semble, de plus en plus, impliquée dans un rôle de répression
interne beaucoup plus que de rempart national contre les ambitions
sionistes.
Il est vrai
que l’armée libanaise représente la seule institution
nationale du pays, où les soldats et officiers sont recrutés
dans les régions les plus pauvres du Liban, le sud, le nord et la
Békaa. Elle a réussi à préserver une unité de façade dans un
pays éclaté entre plusieurs appartenances, confessionnelles,
locales, nationales, régionales et internationales.
Depuis la libération
en mai 2000 d’une grande partie du sud du pays, l’armée
libanaise est devenue un enjeu international : faut-il
maintenir son rôle national ou en faire un outil de répression
interne, comme la plupart des armées arabes ? L’armée
libanaise est restée une exception dans ce monde arabe, où les
armées sont lourdement équipées non pour faire face à l’Etat
sioniste, mais pour mener des guerres contre les voisins arabes ou
musulmans, et contre les peuples et leurs mouvements de
revendication lorsque cela s’avèrerait nécessaire pour la
protection des régimes.
Le processus
d’américanisation des armées arabes s’est fortement accentué
après le onze septembre 2001 et la décision américaine de mener
la guerre à ce que les US qualifient de « terrorisme ».
C’est ce même processus qui a conduit aux tentatives de
refondation des forces palestiniennes de la sécurité, en
Cisjordanie (plan Dayton et Quartet), faisant d’elles des
supports à l’armée sioniste, contre les résistants
palestiniens. L’armée libanaise, elle, a été empêchée de
s’équiper, tant qu’elle affirmait une volonté de défense
nationale.
Après
l’agression israélienne de juillet-août 2006, l’alliance américano-sioniste
et ses pions locaux ont cherché à détourner son rôle. Le
premier épisode fut la guerre de destruction du camp palestinien
de Nahr el-Bârid, où elle a été impliquée, malgré sa
direction, dans un conflit auquel elle n’était pas préparée.
Rappelons que c’est suite à un massacre perpétré contre des
soldats, campés aux alentours du camp, pendant qu’ils
dormaient, que l’armée est intervenue. Au lieu de demander des
comptes à la classe politique dirigeante et aux forces sécuritaires
qui lui sont liées, qui l’ont impliquée dans la guerre contre
le camp, l’armée s’est sauvagement vengée sur une population
civile, dont le seul tort est d’être composée de réfugiés
palestiniens, sans défense. Elle a presque entièrement détruit
le camp, laissant jusqu’à présent plus de 30.000 Palestiniens
dans des abris de fortune, sous le prétexte de lutter contre
Fateh al-Islam. C’est sa capacité à mener ce combat qui va déterminer
si les US et ses alliés vont pouvoir s’appuyer ou non sur
l’armée libanaise pour un rôle de répression interne, contre
la résistance essentiellement. Et le second épisode a eu lieu en
ce dimanche sanglant.
La nomination
du chef de l’armée à la présidence de la république, en tant
que candidat unitaire, par l’équipe au pouvoir et par
l’opposition, a lourdement exacerbé la tension autour et dans
l’armée. Si son chef est élu président de la république, qui
le remplacera à la tête de l’armée ? Quel rôle
devra-t-elle jouer ? Quelle instance politique la dirigerait,
le président ou le chef de gouvernement ? Comment
sera-t-elle équipée, par un armement pour une guerre interne
(comme le souhaitent les Etats-Unis) ou un armement capable de défendre
le pays contre les incessantes agressions sionistes ?
Les pions américano-sionistes
ont voulu précipiter les choses pour couper court à toute
discussion : en faisant intervenir l’armée contre les
manifestants, en donnant l’ordre (qui ?) de tirer, en
voulant provoquer une réaction de la population en direction
d’autres quartiers (en tirant à partir de ces quartiers), le
tout accompagné d’une campagne médiatique orchestrée
remettant en cause l’opposition et soutenant le rôle répressif
de l’armée, au détriment de son rôle national.
C’est
pourquoi la réaction du Hizbullah, du mouvement Amal, les
principaux intéressés, mais aussi de tous les partis de
l’opposition est de réclamer une enquête pour déterminer les
responsables de cette tuerie, qu’ils soient à l’intérieur ou
à l’extérieur de l’armée.
Sheikh Naïm
Qassem, vice secrétaire général du Hizbullah, a clairement précisé
les revendications du parti et de l’opposition, mettant en garde
contre le fait de considérer « cet effroyable massacre »
comme un fait ordinaire : le parti réclame « une enquête
sérieuse, le dévoilement de tous les assassins et comploteurs,
ceux qui ont incité (au massacre) et les responsables, quels
qu’ils soient ou quelles que soient leurs positions, car les
choses ne sont pas si obscures pour pouvoir être camouflées. Il
y a des scènes et des faits qui confirment que certains peuvent
être immédiatement dénoncés, et pour les autres, il est nécessaire
de mener des recherches. Nous considérons que l’armée
libanaise assume l’entière responsabilité pour découvrir la vérité,
car elle était sur le terrain. Il y avait des manifestants sans défense,
et en face, l’armée libanaise. Est-ce que certains se sont cachés
derrière l’armée ou bien est-ce des éléments et des
officiers de l’armée qui ont commis certains actes ? Ce
sont des questions que nous ne déciderons pas avant les résultats
de l’enquête. En face, cependant, il y a des martyrs et des
blessés…
Aujourd’hui,
nous réclamons quatre choses, liées les unes autres autres :
d’abord, une enquête menant à des résultats, c’est-à-dire
qui définit les auteurs, les criminels, ceux qui sont cachés et
ceux qui sont impliqués. Deuxièmement, que cette enquête soit
menée le plus rapidement possible. Troisièmement, que la réalité
soit déclarée aux gens, nous ne voulons pas agir dans les
coulisses, avec personne. Les gens doivent connaître les
responsables. Quatrièmement, nous suivrons cette affaire
jusqu’au bout, aux côtés des familles des martyrs et des blessés,
nous ne les abandonnerons pas. La question aujourd’hui est
devenue de notre ressort et de celui du mouvement Amal, même si
les manifestations sont sorties, indépendamment de nos
mouvements. Mais après ce qui s’est passé, nous sommes concernés
pour donner des réponses aux gens, pour soulager leurs douleurs. »
Au moment même
où sheikh Naïm Qassem faisait cette déclaration, le chef de
l’armée rencontrait Nabih Berri, président du mouvement Amal
et Sayyid Hassan Nasrullah, secrétaire général du Hizbullah,
pour présenter ses condoléances et promettre une enquête rapide
sur ce dimanche sanglant.
C’est cette
enquête et son sérieux qui détermineront si Sulayman, chef de
l’armée, restera le candidat unitaire à la présidence de la république,
s’il y aura élection ou non, s’il y aura un gouvernement
unitaire ou non. Ni les pressions arabes, ni les pressions françaises
ou américaines, en faveur de l’équipe au pouvoir ne pourront
la sauver, si une enquête sérieuse, indépendante de tous les
partis, du pouvoir ou de l’opposition, n’amène une réponse
claire aux questions des gens et notamment aux familles des
victimes : pourquoi une manifestation revendicative, dans la
banlieue sud, a été réprimée dans le sang ? Qui sont les
tueurs et qui a donné l’ordre de tuer ?
Ce n’est pas
la première fois que les forces sécuritaires du pays tirent sur
une population sans défense, et notamment dans la banlieue sud.
Il y a an, le ministre de l’intérieur, par intérim, Fatfat,
connu pour avoir donné l’ordre d’accueillir et d’offrir le
thé aux soldats sionistes dans la caserne de Marjeyoun, en pleine
agression de juillet-août 2006, donnait l’ordre aux forces de
la sécurité de tirer sur des manifestants qui protestaient
contre leur expulsion et la destruction de leurs maisons, dans un
quartier déshérité, faisant là aussi plusieurs victimes.
Le choix des
petits pions de l’alliance américano-sioniste n’est plus à démontrer :
du thé aux sionistes et des balles tueuses aux foules déshéritées
qui protègent et soutiennent la résistance.
Centre d'Information sur
la Résistance en Palestine
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