Palestine
Quatre questions au Ministre de la santé
de Gaza
Christophe Oberlin
Vendredi 28 juillet 2017
Le docteur Bassem Naïm a repris la
fonction de Ministre de la santé qu’il
occupait déjà il y a dix ans à Gaza.
L’occasion de faire un bilan et aussi de
pousser un cri d’alarme.
Publié le 27 juillet 2017 dans le blog
de Christophe
Oberlin Christophe
Oberlin*: Pouvez-vous vous présenter ?
Bassem Naïm : J’ai 55 ans.
Après des études de médecine en
Allemagne débutées en 1982, j’ai été
diplômé en chirurgie générale en
Jordanie puis chirurgien à Gaza pendant
dix ans, de 1996 à 2006, puis Ministre
de la santé de 2006 à 2012. J’ai ensuite
été pendant deux ans et demi Conseiller
pour les affaires internationales. J’ai
quitté le gouvernement lorsque s’est
constitué un gouvernement d’union
nationale. Depuis mars 2017 je suis à
nouveau en charge de la santé, des
affaires sociales et de l’environnement.
Si vous comparez le niveau de la
santé publique lorsque vous étiez
ministre il y a 10 ans et maintenant
quels sont les points noirs et les
aspects positifs ?
Le point négatif le plus important
est lié au siège. En principe nous avons
un bon système de santé dont la mise en
place a couté des milliards de dollars,
infrastructure, formation des médecins
et du personnel paramédical, formation
continue… Nous avons aussi un personnel
très impliqué qui aime son métier, au
service de la famille et de la
population. Il y a dix ans, sans
l’investissement de son personnel le
secteur santé aurait implosé. Mais à
cause du siège, le résultat n’atteint
pas ce que nous attendons. Nous avons
néanmoins été capables d’envoyer plus de
150 médecins compléter leur formation en
Égypte, en Jordanie, au Qatar, en
Turquie, au Soudan et certains aussi en
Europe. Ils sont revenus et ceci a eu un
impact très positif. Nous avons aussi
été très fortement soutenu par la venue
régulière d’une expertise étrangère dans
le cadre de services très spécifiques.
Et ceci a été l’occasion d’un grand
progrès : cardiologie, chirurgie
cardiaque, urologie, chirurgie des nerfs
périphériques. Nous avons aussi beaucoup
progressé dans la collecte des données
et dans leur analyse, dans le système
d’évaluation. Nous avons aussi fait de
grands progrès dans la transparence des
financements et le contrôle de la
corruption.
Malgré le siège nous avons été
capables d’augmenter le nombre de lits
d’hospitalisation, le nombre de membres
du personnel, le nombre et la qualité
des services, l’offre de soins en
général. En 2006 je crois que nous
n’avions qu’un seul scanner aujourd’hui
nous en avons plusieurs dizaines, des
I.R.M. le cathétérisme cardiaque etc. La
chose la plus importante, nous avons été
capables de maintenir le système de
santé primaire. La couverture vaccinale,
par exemple, est de de 99,6 %,
comparable à celle de certains pays
européens.
On sait que Ramallah approvisionne
Gaza par des donations régulières de
médicaments, de matériel à usage unique,
d’équipements etc. Constatez-vous
aujourd’hui des modifications ?
L’Autorité Palestinienne avant 2006
était basée à Gaza, elle est maintenant
à Ramallah et responsable de la totalité
du territoire palestinien. Avant 2006
l’Autorité Palestinienne fournissait
tout ce qui était nécessaire au système
de santé, y compris le personnel, dans
une proportion de 40 % pour Gaza et 60 %
pour la Cisjordanie. À partir de 2006
elle a restreint progressivement les
relations avec Gaza. Ainsi à partir de
2007 aucun nouvel employé n’a été
recruté par l’intermédiaire de Ramallah.
Ils ont payé beaucoup d’entre eux à
condition qu’ils quittent leur travail
et restent à la maison. Et nous parlons
ici de milliers de fonctionnaires de
l’administration et en particulier du
secteur de santé. Ils touchent leur
salaire maintenant depuis plus de 10 ans
sans travailler. Plus récemment, depuis
le début 2017 une action très agressive
a été entreprise à l’encontre de Gaza.
L’approvisionnement de Gaza en fioul
nécessaire à l’unique centrale de
production d’électricité a été stoppé.
Gaza n’a plus que trois à quatre heures
d’électricité par jour.
Les dotations ont été réduites dans
tous les secteurs, incluant les
médicaments, le matériel jetable, et
même le lait pour les nouveau-nés !
L’interruption est totale depuis le
début du mois de mars. À cause de ces
restrictions des milliers de patients
doivent être transférées en Cisjordanie,
à Jérusalem, en Israël parfois, en
Égypte, pour être traités. Nous envoyons
ordinairement les demandes de transfert
à Ramallah pour accord de financement.
Et ensuite nous envoyons la demande aux
Israéliens pour l’accord de leurs
services de sécurité. Habituellement
cela prenait du temps, des semaines
avant d’avoir le permis israélien.
Beaucoup de patients sont morts en
attendant ce permis. Aujourd’hui même
nous ne recevons plus aucun accord
financier de Ramallah et nous avons plus
de 2500 patients en attente. Nous avons
documenté le décès de douzaines de
patients en attente, y compris des
enfants, des patients atteints de
cancer. Au cours de ces derniers jours
Ramallah a décidé d’envoyer des milliers
d’employés du secteur de l’éducation et
de la santé en retraite anticipée. Hier
il y a eu un nouveau paquet de 6145
mises en retraite anticipée dans les
deux secteurs de la santé et de
l’éducation. Nous parlons ici des
employés qui reçoivent leur salaire de
Ramallah, dépendant du ministère de la
santé il y en a 3500. Toute personne qui
a plus de 50 ans, ou a travaillé plus de
20 ans : ils envoient en retraite des
gens relativement jeunes, 45 ans
parfois, les plus expérimentés des
médecins, des infirmières et des
techniciens. Ils sont menacés : s’ils
continuent à travailler leur revenu sera
coupé complètement.
Pendant la guerre de 2014 vous
avez envoyé un appel depuis Gaza à la
suite de l’attaque de l’hôpital de
rééducation el Wafa qui a finalement été
complètement détruit par les
bombardements. Quelle est la situation
aujourd’hui, l’hôpital a-t-il été
reconstruit, qu’en est-il du personnel,
des médecins des kinésithérapeutes et
finalement des patients ?
Cet hôpital était le seul hôpital
spécialisé en rééducation de la bande de
Gaza. Les patients étaient des victimes
de guerre, des blessés crâniens ou
médullaires. C’était l’un des meilleurs
hôpitaux de la région, qui répondait à
un besoin très important. Cet hôpital a
été détruit en 2014 en dépit de tous les
appels, de toutes les interventions
comme celle de la Croix-Rouge
Internationale. Maintenant nous avons
loué un petit bâtiment dans le centre de
Gaza mais avec une capacité réduite et
des services limités. L’Hôpital el Wafa
avait fait l’objet de millions de
dollars d’investissements, non seulement
dans l’équipement, le matériel, des
piscines de rééducation, différentes
pièces pour différents types de
rééducation. Ce que nous avons
aujourd’hui est beaucoup plus simple,
une rééducation courante, avec un
personnel limité. La possibilité d’y
placer des patients a été réduite car le
coût de cette structure, privée, est
élevé. Il y avait par le passé une
importante aide humanitaire en
provenance des pays arabes et d’autres
pays étrangers, qui a chuté de manière
dramatique. Aucun des patients n’est
en mesure de payer son hospitalisation,
environ 100 $ par jour. Ce n’est à la
portée d’aucun habitant de Gaza, même
relativement riche. Les durées
d’hospitalisation sont souvent longues :
un mois, six mois, voire davantage. Ce
n’est pas facile pour les familles de
prendre certains patients très lourds à
la maison. C’est un dilemme, même pour
moi comme Ministre de la santé. Que
faire ? Ils ne peuvent pas être renvoyés
à la maison et nous ne pourrons pas
payer pendant des années. J’espère que
nous allons pouvoir trouver des
donateurs ou des fondations qui
pourraient soutenir l’hôpital el Wafa et
lui redonner le rôle qu’il a tenu par le
passé.
Propos recueillis par Christophe
Oberlin le 9 juillet 2017
* Chirurgien opérant à Gaza trois
fois par an depuis 2001
Source : LE
BLOG DE CHRISTOPHE OBERLIN
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