Opinion
Azu Zoa : Dieudonné au sommet de son art
Christophe Oberlin
Dimanche 9 février 2014
A la suite de l’interdiction de son
spectacle le Mur, Dieudonné jette
l’éponge. Il abandonne la polémique, ne
parlera plus des sujets sensibles. Il
l’avoue dans une conférence de presse
qui ne laisse aucun doute : il capitule
et accepte de se cantonner désormais au
rôle de bouffon qui sied à son état :
habillé en roi nègre sur fond de faune
africaine, il tourne la page.
Le Mur est mort, vive le Mur !
Son nouveau spectacle Asu Zoa, est en
subtilité. Avec une culpabilité feinte,
Dieudonné nous livre par petites touches
son message : même s’il nous affirme que
son spectacle « entre strictement dans
le cadre de la liberté d’expression »,
on comprend bien vite que la verve de
« l’ex humoriste » selon la formule de
France Inter, reste intacte.
Et c’est autour d’un sobre mur en ruine
que Dieudonné évolue pendant une heure
trente. Les thèmes sont divers. S’il y a
bien les piques en direction de la
classe politique, notamment la
bien-pensante gauche auto-proclamée,
Dieudonné aborde des sujets aussi variés
que le millénarisme, ou l’adoption pour
tous.
Le dialogue entre un fabricant de bébés
installé en Afrique et un couple
d’acheteur laissera des traces au même
titre que les dessins de Claire
Bretécher dans les années quatre-vingt.
Le petit chef d’entreprise qui règne sur
quatre étages de production d’enfants a
une large gamme de produits, depuis le
préadolescent des deux sexes jusqu’au
fœtus de trois mois, voire six
semaines ! « Il y a donc une clientèle
pour ça, questionne le couple
acheteur ? » Il faut alors voir l’œil
gourmand de Dieudonné : « Oui, les
Japonais » ! Que les Japonais se
rassurent : c’est du deuxième degré,
puisqu’il semble que ce type d’humour
ait été oublié.
Et puis il y a une découverte. On sait
que Dieudonné a « un organe », une voix
grave qu’il utilise à merveille quand il
prend l’accent de son grand père
camerounais pour lequel il garde une
tendresse non feinte. Mais on ne
connaissait pas le Dieudonné chanteur de
jazz. Une magnifique voix grave, avec ce
rien de raucité genre crooner italien.
Une mélopée d’une lenteur extrême
s’élève et nous envoûte, Dieudonné ferme
les yeux, son corps se recroqueville, il
est possédé par son chant même. Le thème
est simple, comme les mots : la douceur
d’un fruit glacé dans la chaleur
tropicale : « frais, frais, frais
ananas… ». Le public retient son
souffle. Un moment de grâce.
Et puis il y a la critique acerbe de la
télé-réalité dans ce qu’elle a de plus
violent : montrer à la télévision un
enfant atteint d’un cancer en phase
terminale. Alors, bien entendu, il y a
un prétexte, une fausse bonne idée : une
association demande à un enfant qui se
sait condamné « la personnalité qu’il
souhaiterait rencontrer, même s’il
s’agit du pape, d’un champion sportif ou
du président des Etats unis . Nous
ferons tout pour exaucer ce vœu
ultime ». L’alibi humaniste du
voyeurisme le plus sordide. Mais voilà
contre toute attente que l’enfant
demande à voir Dieudonné ! Stupeur : on
n’a pas ça au catalogue » ! Mais
l’enfant est venu, Romain est monté sur
scène, il a dansé pour le public devant
Dieudonné. Ils se sont placés tous les
deux des deux côtés du mur, si proches
et bientôt si loin l’un de l’autre : le
mur est devenu le miroir de Cocteau. On
passe du rire aux larmes. Il l’a fait,
du grand Dieudonné. Chapeau l’artiste !
La liberté d’expression de Dieudonné,
c’est notre liberté de penser, d’aimer,
de rassembler. Il y a des collèges et
lycées Georges Brassens ou Michel
Colucci. Il y aura un jour des lycées
Dieudonné Mbala Mbala.
Par Christophe
Oberlin
Paris, 9 février 2014
Christophe Oberlin est Chirurgien des
hôpitaux et professeur de médecine à la
faculté Denis Diderot à Paris. Il est
l’auteur notamment de :
Survivre à Gaza, en
collaboration avec Jacques-Marie
Bourget, la biographie de Mohamed
Rantissi, (Encre d’Orient 2009)
Gaza au Carrefour de
l’Histoire, traduction française du
livre de Gerald Butt sur l’histoire de
Gaza (Encre d’Orient 2011)
Chroniques de Gaza (Demi-Lune
2011)
La Vallée des Fleurs –
Marj El Zouhour (Erick Bonnier 2013)
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