Chronique
La dernière blague
Chérif Abdedaïm
© Chérif
Abdedaïm
Mercredi 24 février 2016
Connaissez-vous la dernière « blague
» saoudienne ? Les Saoudiens sont
évidemment paniqués de la tournure que
prend le conflit syrien et tentent de
jouer leur va-tout afin de soutenir
leurs petits protégés qaédistes et peser
sur l’après-guerre.
Seul problème pour les grassouillets
cheikhs, plusieurs Etats membres de la
fameuse alliance des 34 pays ne sont
apparemment pas au courant ! Liban,
Pakistan Indonésie, Malaisie… la liste
est longue des pays pris de court par
l’initiative saoudienne et qui se
retrouvent inclus d’office dans une
coalition dont ils n’avaient même pas
entendu parler. Pour l’Indonésie par
exemple, c’est niet.
Une pitrerie ne venant jamais seule,
l’alter ego de la maison des Seoud, la
république bananière de Turquie, est
obligée de manger son chapeau. Nous
avons mentionné précédemment
l’incursion/invasion du nord de l’Irak
par une colonne militaire turque. La
réaction outrée de l’Irak et sa saisie
du Conseil de sécurité de l’ONU menaçait
de faire encore perdre aux Etats-Unis un
allié dans la région. Que les Américains
opposent leur véto, ils perdent
définitivement l’Irak. Qu’ils votent
pour ou s’abstiennent, ils lâchent la
Turquie, décrédibilisent l’OTAN et
envoient un signal très négatif à tous
leurs alliés.
Apparemment, Washington a vite
compris le danger. Les appels se sont
multipliés – Biden y est aussi allé de
son petit couplet – appelant les Turcs à
retirer leurs troupes. Encore un désaveu
pour le sultan qui a finalement dû
accéder à ces demandes pressantes. On
imagine son aigreur ; après le fiasco
syrien, encore un plan néo-ottoman qui
tombe à l’eau. Il n’a plus que ses yeux
pour pleurer…
Par ailleurs, comme chaque année, la
séance marathon de questions/réponses de
Poutine avec la presse a donné lieu à
force commentaires, yeux écarquillés ou
rires d’incrédulité. On s’attendait à ce
que la Turquie soit à l’honneur et on
n’a pas été déçus. Si le sultan a
regardé le show dans l’hypothétique
espoir d’un mot d’apaisement, il en est
ressorti sonné…
Premier direct du droit : « La
Turquie voulait lécher une partie
du « corps » américain, je ne sais pas
si c’était une bonne idée. La mâchoire
d’Erdogan a dû se décrocher de stupeur.
Il semble d’ailleurs que la presse
turque n’ait pas rapporté ces paroles
fleuries afin de ne pas porter atteinte
à l’image du Grand Leader. Pour être
tout à fait honnête, Vladimirovitch
exagère peut-être un peu ici ; il n’est
en effet pas du tout sûr que les
Etats-Unis y soient pour quelque chose
dans cette affaire, témoin leur réaction
plus que mitigée vis-à-vis de leur allié
otanien.
L’uppercut suit peu après : Les
avions turcs violaient sans cesse
l’espace aérien syrien. Qu’ils viennent
maintenant… L’avertissement est on
ne peut plus clair. Les S-400 sont en
place et couvrent la majorité du
territoire syrien. Est-ce un hasard si
les bombardements turcs (et américains
!) se sont soudain arrêtés en Syrie ?
Plaignons l’avion turc qui dépasserait
d’un millimètre la frontière.
Les YPG kurdes, maintenant assurées
sur leurs arrières, ont désormais toute
latitude pour faire mouvement. Le sultan
avait décidé d’une ligne rouge à ne pas
franchir pour les Kurdes syriens :
l’Euphrate, au-delà duquel les avions
turcs n’hésiteraient pas à les
bombarder, ce qui est arrivé plusieurs
fois. Le piquant de l’affaire est que
ces mêmes YPG sont sensés être les
alliés des Etats-Unis, eux-mêmes alliés
de la Turquie. Bref, un accordéon sur
lequel Poutine joue comme dans du
velours (…) Ce qui se profile à
l’horizon est un mouvement en tenaille
entre les « Kurdes est » franchissant
l’Euphrate et les « Kurdes ouest », le
tout protégé par les fameux S-400 russes
qui vont abattre comme des mouches les
avions turcs qui s’aventureraient dans
la région.
Moscou vient semble-t-il de donner le
feu vert et Ankara risque de regretter
longtemps, très longtemps son coup de
folie avec le Sukhoi. L’incident a
totalement changé la donne en Syrie où
la Turquie est maintenant hors-jeu. A
tel point qu’un intéressant article d’un
journaliste réputé affirme que c’était
ni plus ni moins un piège tendu par les
Russes. Si nous ne sommes pas forcément
d’accord avec les conclusions de
l’auteur, le fait méritait d’être cité.
Dans sa folle fuite en avant, Ankara
s’en prend carrément maintenant au
député qui, dans une interview à RT, a
accusé le gouvernement d’avoir fourni le
sarin de 2013. Ce n’est une surprise
pour personne. Surtout, dans un
classique réflexe de recherche d’unité
nationale par les armes, le sultan
intensifie sa campagne contre le PKK
kurde dans le sud-est du pays qui est
maintenant au bord de la guerre civile
(notons que l’analyste était très
prudent jusque-là). Les deux camps
recommandent d’ailleurs à la population
civile de quitter des villes et mêmes
des districts entiers, ce qui ne trompe
pas.
La Turquie, qui s’ingérait en Syrie
pour y semer le chaos, se retrouve
maintenant aux prises avec un conflit
ouvert sur son propre territoire. Si
Assad accepte (et dans sa position, il
ne peut rien refuser aux Russes), les
Kurdes syriens vont, sous le bouclier
des S-400, sceller la frontière qu’ils
contrôlent déjà en grande partie.
A terme, c’est potentiellement une
formidable base arrière pour leurs
frères du PKK qui, pouvant dorénavant se
ravitailler en Syrie, sera capable de
soutenir une guérilla sans fin. Soit
exactement ce que Daech et Al Qaïda font
en Syrie avec la complicité d’Erdogan.
Encore une fois, Poutine retourne la
situation et châtie le sultan par où il
a péché. Le maître du Kremlin est en
passe d’obtenir un levier de pression
presque infini sur Ankara. Pas étonnant
qu’il se permette moquer le sultan
lécheur…
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