Religion
Les valeurs de
l’Islam : éviter les amalgames
Chérif Abdedaïm
© Cherif
Abdedaïm
Vendredi 21 juillet 2017
L’homme du XXI e
siècle, en quête d’authenticité,
est amené à suivre un chemin bien
particulier qui lui permet de côtoyer
des éléments issus des grandes
Traditions du Sacré, mais qui bien
souvent ne lui permet pas d’approfondir
une voie bien définie. Le paysage
apparaît confus et fracturé : toute
chose semble possible, les
sollicitations et les méthodes sont de
plus en plus diverses et nombreuses,
mais le but final - qui vise à l’unité
de l’être intérieur - devient de plus en
plus difficilement accessible.
Contrairement à une
idée maintenant largement répandue, ce
qui menace aujourd'hui le plus
l'équilibre des relations
internationales n'est pas un
hypothétique « clash des
civilisations », mais plutôt
l'affrontement des ignorances ou des
intégrismes entrant dans une relation
conflictuelle ininterrompue d'actions et
de réactions.
En effet, la
dénonciation d’un péril terroriste
entretenu par des réseaux dits
« islamistes » bénéficie d’un
gigantesque effet « caisse de
résonance » : à force de répéter que ces
réseaux sont représentatifs d’un courant
important, ils deviennent
incontournables, suscitent une peur
généralisée et parviennent à multiplier
un peu partout leurs actions lâches et
spectaculaires, ce qui les rend donc
d’autant plus effrayants et plus
omniprésents dans les médias.
Certains peuvent se
laisser aller à penser que cet
« islamisme » n’est en fait que la
partie émergée de l’iceberg et que c’est
l’Islam tout entier qui est à considérer
comme un fléau pour les valeurs
démocratiques et le progrès de
l’humanité.
Pourtant, si l’on
se penche sur les textes fondateurs de
l’Islam, une quelconque assimilation
entre l’Islam et cet « islamisme » ne se
justifie pas.
Cette vue des
choses, extrêmement simpliste et
superficielle, ne résiste pas à
l’analyse objective d’une Tradition
millénaire qui a permis l’éclosion de
chefs d’œuvres dans tous les domaines
d’excellence du génie humain : arts,
littérature, sciences, sapience,
architecture, urbanisme, institutions,
éducation ou médecine. L’Islam a été
garant depuis toujours, et avec une
remarquable continuité, du respect des
pluralités culturelles, religieuses ou
ethniques et a façonné des codes de vie
basés essentiellement sur l’hospitalité,
la générosité et la courtoisie. Si tout
cela a été possible, et l’est encore
aujourd’hui, au sein des peuples
musulmans de tous les continents, c’est
qu’il y a, au cœur de l’Islam, une
lumière qui permet aux hommes et aux
femmes de faire émerger le meilleur
d’eux-mêmes, de s’élever au dessus de
leur simple condition et d’accéder à
l’absolu.
Aussi, les
conditions de ce début du XXIe siècle
sont cependant peu favorables pour que
cette lumière brille de tout son éclat.
En effet, les désordres, ressentis à
l’échelle mondiale, sur les plans
identitaire, démographique,
socio-politique ou économique occupent
de plus en plus les esprits et rendent
difficile l’accès, pour nos
contemporains, aux trésors spirituels
qui sont contenus dans toutes les
Traditions authentiques, et notamment au
sein de l’Islam.
Dans un tel
contexte de confusion, quelques
individus, qui ne représentent
qu’eux-mêmes, puisent dans une
interprétation complètement erronée et
manipulatrice des principes de l’Islam,
afin de justifier leurs actes tout à
fait arbitraires. Ils sont en fait
uniquement désireux d’imposer aux
autres, par tous les moyens, leur vision
des choses étroite et mégalomaniaque,
alors que, dans le même temps, certains
sont peut-être aussi les instruments de
manœuvres politiques particulièrement
perfides.
Vis-à-vis des
valeurs de l’Islam, il s’agit là d’une
imposture manifeste qui ne trompe que
certains de ceux et de celles qui n’ont
malheureusement pas une connaissance
suffisante de la subtilité avec laquelle
chaque musulman doit veiller sur tout
être vivant et doit réfléchir aux
conséquences de ses propres actes.
Le corollaire de
cette vision simpliste des évènements
récents est que l’on pourrait se croire
à l’orée d’une inévitable confrontation
de civilisation entre l’occident et
l’Islam, au cours de laquelle il
faudrait rapidement choisir son camp et
être prêt à riposter contre l’agresseur.
Les valeurs
véritables de l’Islam s’opposent
résolument à toute action criminelle qui
est une négation profonde du droit sacré
de l’Homme à la vie. Une parole du
Prophète, paix et bénédiction de Dieu
sur lui, affirme que : « Le vrai
musulman est celui qui ne fait pas de
tort à son prochain, ni par la parole,
ni par les actes ».([1])
Le Coran incite
aussi clairement à la connaissance de
l’autre, notamment dans ce verset : «
Nous vous avons créés à partir d’un
homme et d’une femme, et nous vous avons
constitués en nations et en tribus
diverses afin que vous vous connaissiez
entre vous » ([2]).
Ainsi se trouve résumé le plus haut
degré des rapports entre les
civilisations.
En langue arabe et
en langue française, l’origine
étymologique du terme désignant la
notion de civilisation, ainsi que le
concept philosophique qui se lit en
filigrane à travers lui offrent
d’intéressants parallèles : le mot arabe
« madaniya », de même racine que «
madina » - la traditionnelle médina
grouillante de vie et d’activités - fait
écho au « civitas » latin qui a donné «
cité » et « civilisation ». Dans son
essence, cette dernière, au même titre
que la madaniya, est porteuse d’un
dialogue égalitaire, respectueux des
différences, d’un pays à un autre pays,
d’une cité à une autre cité.
De plus, selon
l’idée platonicienne, l’habitant de la
cité, le citoyen, participe à la vie
sociétale en un modèle démocratique qui
n’est pas sans rappeler l’incitation
coranique à organiser de larges
consultations avant de prendre les
décisions importantes sur les affaires à
traiter ([3]).
Ce modèle trouve
également son pendant à Médine, en l’an
623, dans la constitution de la première
administration musulmane qui incluait
des réformes très hardies pour les
sociétés tribales de l’époque : le libre
droit de culte, l’égalité de tous -
juifs, bédouins et musulmans - devant la
loi de la cité, la promulgation de
droits nouveaux pour la femme et
l’enfant, ou encore l’entraide des
diverses communautés en cas de conflit([4])
.
L’idéal
démocratique occidental apparaît-il si
éloigné des principes de consultation,
de dialogue, de solidarité et de justice
prônés par les sources de l’Islam ?
Le fracas de
l’actualité immédiate ne serait-il pas
trompeur et les sociétés musulmanes
contemporaines qui ont, au gré de
l’histoire, oublié certains
enseignements issus de la Révélation et
ont cédé à des tentations autocratiques
et misogynes, sont-elles vraiment
représentatives des valeurs de l’Islam ?
En contrepartie,
l’exemple donné par plusieurs centaines
de millions de musulmanes et de
musulmans, des rives de l’Atlantique
jusqu’en Chine, qui, vivent leur foi
avec discrétion et sérénité, est-il
réellement négligeable ou bien
révèle-t-il au contraire que l’Islam est
intrinsèquement religion de paix et
d’amour ?
C’est dans ce
contexte où les valeurs traditionnelles
traversent une crise profonde que se
présente la possibilité de concilier
dans l’intimité de sa vie personnelle le
domaine relevant du « religieux » et
celui relevant du « spirituel ». C’est à
dire les aspects intérieurs et les
aspects extérieurs, le sens de la
communauté et la réalité de son
évolution intime, la participation à un
ensemble de rites qui fonde le lien
entre l’humanité et ce qui la dépasse et
l’attention portée à nos propres
perceptions qui, à leur niveau, sont le
reflet - plus ou moins obscurci - de la
Vérité universelle.
Une telle période
de crise et d’incertitudes peut-elle
cependant augurer de la naissance d’une
citoyenneté plus généreuse et mieux
informée ? Même si elles sont encore
limitées et parfois confuses, les
initiatives qui contribuent à
l’approfondissement et au rapprochement
du meilleur des cultures deviennent
aujourd’hui infiniment précieuses.
Dans cette
perspective, loin de devoir par postulat
être rejeté du débat, l’Islam peut au
contraire apporter une dimension de
sagesse et de réflexion dont notre monde
a le plus grand besoin. Le soufisme,
cœur de la spiritualité islamique, est
en cela une porte pour une véritable
communication d’âme à âme. Il incarne
une chance à saisir pour relever un des
défis majeurs du XXIe siècle : établir
une meilleure compréhension réciproque
entre le monde musulman et l’Occident,
condition préalable à la paix entre les
peuples.
En effet, loin
d’être naïve ou idéologue, la vision
soufie du monde considère que les
changements et les réformes ne se
décrètent pas, mais qu’ils représentent
le couronnement d’un travail en
profondeur agissant sur la vie
intérieure des gens, avec toutes les
répercussions qu’un tel travail peut
avoir sur le comportement et la vie en
société.
Pour les sages de
l’Islam, seule la transformation de
l’individu peut permettre la pleine
réussite de toute transformation
sociale, le particulier étant alors en
harmonie avec l’universel. Cette
transformation individuelle passe
notamment par la promotion de valeurs
éducatives en rupture avec les concepts
égoïstes de vie facile et de recherche
du pouvoir, pour lesquels les apparences
extérieures et le profit immédiat sont
les critères principaux. Elle procure la
prise de conscience de sa propre part de
responsabilité dans l’enchaînement des
événements qui nous touchent et qui sont
en lien direct avec notre environnement.
Afin de susciter
l’émergence d’une conscience
mondialisée, l’humanité se doit d’être à
l’écoute de la globalité des points de
vue et d’intégrer les sources
spirituelles de l’Islam. Ces sources
sont comme un écho de cette sagesse
éternelle qui demeure, intacte, à l’abri
des soubresauts de l’actualité.
Vivre pleinement le
« spirituel » en harmonie avec le «
religieux ». Se fondre dans le «
religieux » afin de faire grandir en soi
le « spirituel ». Sacraliser chaque acte
de la vie quotidienne et ancrer dans son
quotidien les rituels issus de la
mémoire de la présence du Sacré au sein
de l’Humanité.
Cela dit, certaines
personnes sont aveuglées et incapables
de voir la lumière. Elles ont méprisé
les vérités de l’Islam et ont jugé les
Musulmans à partir des œuvres de
certains déviants et innovateurs, sans
accomplir une recherche minutieuse de la
vérité.
[1] Propos recueilli et authentifié
par Ahmed Ibn Hanbal (781-856)
[2] Coran (S. 49, V.13)
[3] Coran (S. 3, V. 159) et Coran
(S.42, V.38)
[4] Voir la « charte de Médine » in
A.-L. de Prémare, Les fondations de
l’Islam : entre écriture et histoire,
Seuil
Source :
La Nouvelle République
Le sommaire de Cherif Abdedaïm
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