Chronique
Entre mythe et réalité
Chérif Abdedaïm

© Chérif
Abdedaïm
Lundi 7 avril 2014
Comment peut-on aujourd’hui se réclamer
à la fois de la démocratie et d’un monde
sans frontières qui intégrerait tout
dans son infini démesure ? N’est-ce pas
l’essence même de la mondialisation, que
l’on veut imposer à coups de bombes,
dans la douleur et dans le sang, que
d’anéantir les boucliers des autonomies,
des souverainetés ? Boucliers qui ne
font que freiner cette circulation
hégémonique des valeurs morales
corrompues, des capitaux travestis, des
modèles de consommation abrutissant
toujours plus. Cette mondialisation, qui
n’a de cesse d’uniformiser la servitude
des peuples, ne cherche qu’à s’étendre
en abolissant toutes les frontières
jusqu’à sa dictature universelle.
Et pourtant, un monde sans frontières
n’est plus un monde. De fait, c’est un
néant. D’où la vacuité du statut
autoproclamé de «citoyen du monde»,
pauvre pirouette poétique éculée.
Curieusement, il suffit que l’on parle
de «frontières», pour que
certains extirpent non pas leur
revolver, mais tout au moins leur fiel
bilieux.
C’est que le mot figure en bonne place
au registre des mots interdits, où l’on
retrouve également des terminologies
aujourd’hui élevées au rang d’insultes,
comme par exemple «patrie»,
«nation», «pays réel»,
etc. Faut-il le rappeler aux oublieux,
la «nation» n’est pas l’Etat-nation.
Mais celui ou celle qui ose placer le
mot «frontières» dans la conversation
aura tôt fait d’être taxé de «fasciste»,
un mot magique qui permet la propagation
de la connerie sans limites.
Le premier paramètre garantissant un
pouvoir égalitaire au sein d’une
communauté n’est-ce pas sa démarcation ?
Elle cerne le lieu du pouvoir et oblige
ceux qui s’y trouvent à le partager. La
frontière s’entend alors comme outil de
désignation, de cohésion et
d’organisation. Elle exprime le droit
pour un groupe d’être souverain chez
lui, ce qui est la condition élémentaire
de son indépendance. Cette démarcation
n’isole pas du monde extérieur, elle
coexiste au contraire avec d’autres
territoires, favorisant en fait la
rencontre, le dialogue, l’échange, le
partage et l’association.
De l’Athènes antique à nos jours, il en
a toujours été ainsi pour marquer le
territoire de la démocratie. Pénétrer
l’enceinte bornée, c’est être concerné
par ce qui s’y passe. Les règles du lieu
de vie, qu’il soit temporaire ou
définitif, sont établies dans un intérêt
commun à tous. Franchir la frontière,
c’est signer le contrat démocratique,
partager le pouvoir avec les autres.
Le premier pas de la démocratie ne
s’incarne-t-il pas au niveau local. Si
le pouvoir est détenu par une poignée
d’hommes, par quelques représentants à
la solde des grandes fortunes ou d’une
communauté religieuse particulière,
c’est qu’il n’appartient donc pas à
tous. En ce sens, la démocratie est le
pouvoir immanent de chacun, qui dans
l’intérêt d’un pouvoir collectif,
propose et instaure les règles morales,
sociales et politiques de l’endroit où
l’on vit.
Ce serait jouer au rigolo que de
pratiquer avec les fossoyeurs de mémoire
qui cherchent à mystifier les notions de
frontière et de souveraineté. Face à ce
genre de chiens de garde, quand ils
auront fini d’aboyer leur horreur de la
démarcation territoriale, il faut alors
leur demander, l’air de rien, s’ils sont
favorables à la création d’un Etat
palestinien… Effet garanti !
Chérif Abdedaïm
Article publié sur
La Nouvelle République
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