Algérie en phase
avec le mouvement du monde
Les Arabes et la quête du savoir:
Un peuple ni pire ni meilleur
Chems Eddine Chitour
Le Pr
Chems Eddine Chitour
Jeudi 25 août 2016
«Si j'étais un dirigeant arabe, je
ne signerais jamais un accord avec
Israël. C'est normal: nous avons pris
leur pays. Il y a eu l'antisémitisme,
les nazis, Hitler, Auschwitz, mais
était-ce leur faute? Ils ne voient
qu'une seule chose: nous sommes venus et
nous avons volé leurs terres.»
David Ben Gourion, le premier chef du
gouvernement d'Israël, le 18 juillet
1948.
Cette affirmation de Ben Gourion est
donnée à dessein pour montrer que la
cause palestinnienne est légitime bien
que le consensus actuel –entendons par
là, les pressions occidentales et en
sous main l’injonction israélienne-
recommande d’abandonner pour que les
Arabes reviennent en grâce auprès de la
communauté internationale –entendons par
là l’Europe, et les Etats unis- De ce
fait la normalisation des pays arabes
aux conditions israéliennes est l’une
des conditions posée par les décideurs
pour la survie des potentats arabs
installés dans les temps morts. Comme on
le voit les pays arabes notamment du
golfe se bousculent maintenant d’une
façon visible au portillon israélien
pour faire allégeance ; Exit la cause
juste des droits des Palestiniens à
vivre en dignité sur la peau sur le
banthoustan en peua de léopard concédé
par Israël.
Après l'hirondelle printanière des
jeux de Rio où nous vîmes la jeunesse,
espérance de l'humanité, s'éclater et
nous indiquer la vraie vie, l'actualité
nous matraque avec son lot de mauvaises
nouvelles et n'était-ce, ce fut à bien
des égards l'hiver de la misère
matérielle, de la mort, du sang et des
larmes qui s'installe dans l'hémisphère
Sud principalement, il faut bien le
dire, dans une région du Proche et du
Moyen-Orient coupable à la fois d'être
musulmane et d'être arabe.
Le Moyen-Orient qui souffrait déjà
depuis près d'un siècle des conséquences
néfastes des accords de Sykes-Picot. La
Grande-Bretagne et la France ont négocié
les restes de l'Empire ottoman sans rien
en dire aux Arabes qui se battaient à
leurs côtés. Les accords qui en ont
résulté symbolisent toujours sur place
la traîtrise occidentale. La suite on la
connaît. Un siècle d'errance et un
nouveau partage après l'implosion de
l'empire soviétique grâce à l'Eglise
conquérante de Jean-Paul II, un
dirigeant utopique avec sa perestroïka-
qui jouait le rôle de l'idiot utile,
récompensé par le hochet du prix Nobel
de la paix- et un Ronald Reagan
adversaire de «l'empire du mal». L'islam
est devenu le Satan de rechange.
En Occident un consensus est martelé
en boucle il y a un choc des
civilisations : la prophétie
auto-réalisatrice de Samuel Huntington
sur le choc des civilisations et le
formatage des Bernard Lewis et tant
d'autres éminences des néo-conservateurs
ont permis à George Bush d'avoir sa
croisade et de tenter le rechapage du
Moyen-Orient Résultat des courses: c'est
le chaos dans les pays arabes. Cela a
commencé souvenons-nous, avec le
laboratoire expérimental de l’islamisme
selon le roi Hassan II, que fut
l'Algérie de la décennie 1990-2000.
Après la perte de 200.000 âmes,
l'Algérie en est sortie exsangue malgré
les interférences de nos adversaires
intimes. Le terrorisme, nous savons ce
que c'est.
Les convulsions actuelles des pays
arabes sont dues à plusieurs facteurs
dont les principaux qui sont
l'instrumentalisation de la religion à
la fois par les pouvoirs en place, mais
aussi par les interférences externes
dans le combat de titans qui oppose
actuellement deux visions du monde: un
monde ancien, celui de l'hyperpuissance
de l'Empire américain avec ses vassaux
anglais et français toujours partants
pour les mauvais coups et les rapines,
comme nous l’avons vu avec
l’Afghanistan, l’Irak , la Lybie, la
Syrie et même le Yémen dernier candidat
à la destruction de sa culture.
Globablement tout est fait pour effacer
de la surface de la Terre l’apport des
civilisations moyen orientales qui
virent à la fois les premières
communautés humaines en villages en
Syrie, les civilisations mythiques
syriennes assyriennes ,mésopotamiennes,
babyloniennes mais aussi les berceaux
des religions révélées. Et ceci de la
main de nations qu’il y a encore un peu
plus de deux siècles n’existaient pas !
En face le nouveau monde multipolaire
empêché d'apparaître ce qui explique que
les tensions actuelles se font sentir
principalement à la limite des plaques
tectoniques au Moyen-Orient et en
Afrique du Nord. Cette hégémonie de ces
puissances est due à la conviction
d’appartenir à la race supérieure,
éclairé par le siècle des Lumières- donc
gardienne des valeurs d’universalité
dont on s’aperçoit avec le temps que
c’était du vent. L’autre raison est plus
simplement à la boulimie énergétique des
uns et des autres qui fait qu’il faut
s’assurer de sources d’approvisionnement
sûres à un prix dérisoire En un mot,
l'ébriété énergétique a de beaux jours
devant elle malgré les kermesses des COP
dont la COP21.
Quelles sont
les victimes de la lutte de ces
puissances?
En fait ces victimes sont toutes
celles qui ne rentrent pas dans le rang,
mais aussi celles qui ont des ressources
minières ou énergétiques. Souvenons doù
du cuivre du chilien et de la mort de
Savador Allende . Dans le domaine de
l'énergie ce sont principalement des
Arabes! Souvenons de Saddam Hussein et
de sa pendaison de Kaddafi et de sa mort
abjecte sous traitée par l'Empire à ses
vassaux Sarkozy et Cameron
Ce cri du coeur du physicien Ahmed
Bensaâda résume plus que 1000 discours
l'état des Arabes: «Depuis un quart de
siècle, le monde arabe vit au rythme des
coalitions. (..)De coalition en
coalition, ce monde n'a connu que les
massacres, les viols, les exodes et les
ruines. De coalition en coalition, le
sang de centaines de milliers d'Arabes a
coulé, abreuvant non seulement la haine
des Arabes entre eux, mais aussi entre
les Arabes et les Occidentaux. Pourtant,
de coalition en coalition, ces mêmes
Occidentaux nous avaient promis de
semer, grâce à leurs armes sophistiquées
et leurs bombes intelligentes, aussi
bien la Démocratie, la Paix et la
Prospérité que les Droits de l'homme et
la Liberté d'expression. (...) Bien au
contraire, de coalition en coalition, de
2002 à 2014, le nombre de morts causés
par des attentats terroristes a augmenté
de... 4500%! »(1)
« De coalition en coalition, on a
réussi à offrir au monde arabe une
saison nouvelle. Bien au contraire,
jamais saison n'a été aussi funeste: 1,4
million de victimes (morts et blessés),
833 milliards de dollars de pertes et un
nombre astronomique de séquelles à tout
jamais gravées dans les corps, dans les
esprits et dans les idéaux. De coalition
en coalition, on a vu des coalisés
s'appliquer à financer le terrorisme,
promouvoir le djihadisme et armer la
dissidence. (...) De coalition en
coalition, des chemins de transhumance
humaine ont été ouverts à travers terre,
jusqu'à des frontières hérissées de
barbelés et à travers mers, jusqu'à une
plage où un petit enfant au chandail
rouge s'est couché, fixant le sable
mouillé, pour ne plus voir la cruauté
des humains. Au temps béni des
coalitions, le monde arabe n'en finit
plus de saigner, n'en finit plus de
pleurer, n'en finit plus de
péricliter...» (1)
Les Arabes,
ces mal-aimés. Qui étaient-ils?
On dit que les Arabes sont un ancien
peuple sémitique dont le barycentre fut
l'actuelle Arabie saoudite. Beaucoup
d'entre nous dans leur jeunesse ont
vibré aux rapsodies et autres «mou'allaquate»
« sortes de poèmes accrochés », où les
joutes oratoires se faisaient à
Oukadh. Cependant le déni d’apport
à la civilisation universelle de l’Islam
a dans une première étape était renié,
ensuite ce apport est du selon certains
révisionnistes à des dimmis
intellectuels brillants ( perses, juifs,
kurdes, maghrébins) mais pas arabes
qi’il faut à tout prix diaboliser
Les
révisionnistes quand à l’apport au
patrimoine de l’humanité
Comment - à l’instar de tout ceux qui
font preuve de contorsion intellectuelle
pour jeter un pont entre la culture
grecque et la culture de la Renaissance
voire des « Lumières »- peut-on nier
huit siècles d’acculturation de l’Europe
par la culture dominante qu’était celle
de la civilisation musulmane ? L’apport
musulman à la connaissance universelle
est indéniable dans tous les domaines de
la connaissance d’autant que beaucoup
d’auteurs plagient sans vergogne sans
naturellement citer les références qui
les excluraient de la paternité de leurs
« œuvres ».
Nasr Boutammina. avance en substance
que le savoir humain, grossièrement
schématisé en Occident dans un parcours
réducteur, aurait pris sa source dans la
Grèce antique et Rome, modèles de
progrès et cités idéales, ensuite fait
un survol de 10 siècles de « néant »
pour rebondir avec La Renaissance et le
Siècle des Lumières comme aboutissement
de la modernité. L’auteur conclut à
l’ingratitude d’un Occident triomphant
face à une altérité ignorée dont, ajoute
l’auteur, « Aucune invention, aucune
création n’a obtenu le "Copyright" de
l’Occident Pour Boutammina, l’Eglise a
attribué injustement la paternité à la
Grèce antique en inventant « une
mythologie historique et une
falsification textuelle en version
latine ou grecque ». L’exemple le plus
éloquent est l’histoire de la médecine
représentée par l’illustre Hippocrate
auquel on a affecté quantité d’ouvrages
médicaux qui lui auraient appartenu,
pour peu qu’on eût voulu prêter foi. Le
Serment d’Hippocrate considéré comme une
contrefaçon du Serment d’Ibn Sina a déjà
fait couler beaucoup d’encre et réagir
des universitaires occidentaux. » (2)
Dans son ouvrage « Aristote au Mont
Saint Michel » Sylvain Guggenheim
attribue la Renaissance de l’Europe à
l’apport d’un obscur abbé Jacques de
Venise, dans l’Abbaye du Mont Saint
Michel et à des Chrétiens assyriens, des
Juifs, des Perses bref tout sauf des
Arabes ! (3)
Plusieurs parmi les historiens dignes
de ce nom on tenu à rectifier cette
assertion qui ne repose sur aucune
preuve. Pour Marwan Rashed « le monde
arabo-musulman n’a pas reçu passivement
le savoir grec, puisqu’un savoir y était
déjà constitué, dont une large partie
n’avait d’ailleurs pas encore
d’équivalent en Occident (comme l’algèbre
ou la médecine). Le besoin de
traductions des textes grecs en arabe ne
s’explique donc que par une volonté d’un
savoir nouveau pour répondre à des
questions déjà posées par les penseurs
arabes. En ce qui concerne la
philosophie, dès le ixe siècle les
théologiens rationnels (les
Mutakallimun) auraient formulés,
selon Marwan Rashed, des théories très
complexes pour penser la compatibilité
de la liberté et de la prédestination,
les limites du possible en métaphysique
et la constitution du monde dans une
physique de la création. (4)
La
suprématie de la langue arabe
Une langue ne s’impose pas quand elle
n’est pas adossée à une production
intellectuelle. C’est tout naturellement
que les savants de l’époque, juifs,
chrétiens assyriens , perses, se sont
mis à l’arabe langue plus fluide . Quand
Maimonide écrivit « Dalil el Haïrine » «
le Livre des égarés », son ouvrage
majeur qui est encore une référence dans
le monde juif, il le fit en arabe, il
aurait pu le faire en syriaque, en
hébreu.
L’Arabe du moyen âge était la vulgate
planétaire, c’était l’anglais du XXe
siècle. « Quand l’arabe a commencé à
s’imposer dans le Croissant fertile,
Dans le Nouveau Testament , les
dernières paroles du Christ ont été
laissés en araméen. A leur lecture : «
Ya ilahi, Ya ilahi, Lima sabactani
?» « O mon Dieu, O mon Dieu,
Pourquoi m’as tu laissé tombé ?que les
Chrétiens occidentaux ânonnent sans
savoir, un locuteur arabe les comprend
parfaitement : « Mon Dieu pourquoi as-tu
pris de l’avance sur moi,- tu m’as
abandonné ? » … (4)
S'agissant justement de la langue
arabe, l'illustre savant Jacques Berque
explique dans Les Arabes et nous que «la
fonction de la langue pour les Arabes
est différente, supérieure à celle
qu'elle remplit pour les Occidentaux. Il
donne un exemple: ainsi, en arabe, les
mots se rapportant à l'écrit dérivent
tous de la racine k.t.b.: Maktûb, maktab,
maktaba, kâtib, kitâb. En français, ces
mêmes mots sont: écrit, bureau,
bibliothèque, secrétaire, livre. Les
mots français sont tous les cinq
arbitraires, mais les mots arabes sont,
eux, «soudés par une transparente
logique à une racine qui seule est
arbitraire». «Alors que les langues
européennes solidifient le mot, le
figent, en quelque sorte, dans un
rapport précis avec la chose, le mot
arabe reste cramponné à ses origines. Il
tire substance de ses quartiers de
noblesse.» (5) (6)
On rapporte que Samaouel, auteur juif
antéislamique, auteur de la célèbre «lamiiatou
Samaouel» « Le poème de Samuel qui
se termine par un mot avec la lettre L
finale » : « Idha el mareou lame
iadnass min louemi ‘irdhouhou , fakoulou
ridaInn yartadihi djamilou », « Si
l’homme ne se souille pas de choses vils
tout vêtement modeste qu’il portera
paraitra beau ».. n'a pas voulu dévoiler
un secret que lui avait confié Antar Ibn
Cheddad mettant en péril de ce fait, la
vie de son fils.. Depuis l'expression «aoufa
min Samaouel» «Plus fidèle - au
serment- que Samaouel- a traversé les
siècles.
N’est ce pas plutôt cette atmosphère
d’abord de Dar El Hikma à
Bagdad – qui était une grande belle
ville alors qu’’à l’époque Londres était
un gros bourg- où on comptait dit-on des
centaines de milliers d’ouvrages ou le
sultan donnait son poids d’or à tous les
traducteurs d’ouvrage ? Cela se passait
au VIIIe siècle Les ministres étaient
juifs Pendant qu’il était interdit aux
juifs d’enterrer leurs morts intra-muros
à Paris , que l’inquisition battait son
plein ? Comment expliquer cette période
que nous fait connaitre par miracle
Sylvain Guggenheim – que constituait
l’Abbaye du mont Saint Michel alors que
l’Europe était à feu et à sang qu’en
pendait les hérétiques qu’on rôtissait
les Juifs ?
Le miracle
de la symbiose du savoir arabe à l’ombre
de l’Islam
Mostefa Lacheraf avance que pour
écrire la Muqqadima « les
prolégomènes » Ibn Khaldoun, le père de
la sociologie a consulté des milliers
d’ouvrages. A Grenade et à Cordoue
l’atmosphère intellectuelle était très
favorable à la floraison des idées, une
liberté de penser en action, qui fait
que les Juifs , Musulmans et Chrétiens
vivaient en harmonie Seul le savoir
était à l’honneur et pouvait discriminer
envers les individus ,ce n’était ni
l’ethnie, ni la religion !
Par la symbiose permise par le Coran,
les Arabes réussirent à fédérer à
l'ombre de l'islam tous les savants
qu'ils soient maghrébins, perses,
kurdes, arabes chrétiens, juifs. Quand
on se rend compte de toute l'étendue des
domaines que ces scientifiques par leurs
pensées et leurs écrits ont développés,
on voit que sans les Arabes, la science
et la philosophie européennes ne se
seraient pas développées à l'époque
comme elles l'ont fait. Les savants
musulmans ne se contentèrent pas de
transmettre simplement la pensée
grecque. Ils en furent les authentiques
continuateurs. La conquête arabe
apportait les éléments d'un nouvel
enthousiasme pour le savoir, une langue
qui se forge et qui s'impose comme un
instrument de communication
internationale; un gouvernement
fortement centralisé; une religion qui
exalte la connaissance.
Avant, à son tour, de se les
approprier et de les enrichir. A force
de diaboliser l’Islam, on a fini par
faire croire en Occident à travers des
médias d’une rare partialité, que les
Arabes et les Musulmans sont des
barbares incultes et que l’héritage
européen est grec.
Il est utile de replacer justement,
le contexte des sources littéraires des
hommes de lettres européens considérés
comme des génies dans leur discipline
par un Occident qui dicte la norme sur
ce que nous devons apprécier et ce que
nous devons rejeter. Cet état de fait
peut être résumé dans l’anecdote
romanesque du célèbre écrivain Anatole
France, quand un de ses personnages
demandait à Mme Nozière, « - Quel était
le jour le plus funeste de l’histoire ?
Mme Nozière ne le savait pas. - C’est,
lui dit-il, le jour de la bataille de
Poitiers, quand, en 732, la science,
l’art et la civilisation arabes
reculèrent devant la barbarie franque. »
(7)
C’est ainsi qu’au IXe siècle le
Calife de Bagdad Haroun Errachid fonde «
Dar El Hikma » ; la « Maison de la
sagesse » : sorte de Grande
Bibliothèque, qui groupera un million de
volumes ! Au Xe siècle la bibliothèque
de Cordoue en rassemble 400.000 et celle
du Caire comprenait 1,6 millions de
volumes dont 6000 ouvrages de
mathématiques et 18000 de philosophie
(8)
On raconte que le Calife Haroun
Errachid offrit, vers 790, une pendule (Clépsydre)
à l’Empereur d’Occident, celui-ci lui
fit cadeau de ... lévriers ! Comme
l’écrit Lamine Kouloughli : « D’un côté
des pendules, les premières horloges du
monde, de l’autre des sloughis... Oui
des sloughis, des chiens ! Non les
Arabes n’étaient pas des Barbares... »
(9).
On rapporte aussi que lors de
l’entrevue que l’Empereur d’Occident
Karl der Gross (Charlemagne) avait
accordé à Aachen à l’ambassadeur de
Bagdad, il aurait été informé sur le
système éducatif en vigueur dans
l’Empire abbasside. Il faut croire que
cet entretien fut édifiant car à la
suite de cela, l’Empereur décida,
prenant exemple sur les terre d’Islam,
de créer l’école et de ce fait attacha
son nom à une création dont il n’a pas
la paternité (10)
L’aristotélisme d’Avicenne et
d’Averroès fut, par exemple, exposé dans
un traité appelé "Lettres Siciliennes"
et adressé par le philosophe Ibn Sabin à
Frédéric II de Hohenstaufen ; Al-Idrisi
nous a légué son « Kitab Rodjer
» ; « le livre de Roger », ouvrage de
géographie écrit pour Roger roi normand
de Sicile (1105-1154) Jusqu’aux XIIIe et
XIVe siècle, le monde musulman conserve
globalement la suprématie
intellectuelle, c’était ce que l’on
appela l’« âge d’or » de l’Islam. Comme
l’écrit M. Lacheraf : « Les historiens
officiels décrivent ainsi le Roi de
France, Charles V, dit le Sage
(1364-1380) : il peut être considéré
comme le fondateur de la Bibliothèque
Nationale, car son père ne lui avait
laissé que vingt volumes. Ces ouvrages
étaient surtout des livres pieux et
n’avaient rien à voir, par exemple avec
les livres dits « profanes » des
sciences.
A cette époque, poursuit Lacheraf : «
Les bibliothèques royales du Maghreb et
du Proche orient contenaient non pas des
centaines de volumes mais des dizaines
de milliers , les bibliothèques privées
ou des universités où se forma et se
documenta et enseigna Ibn Khaldoun à
Tunis, Tlemcen, Bédjaïa, Fès, le Caire,
ne le cédant en rien quant à
l’importance numérique de leurs
manuscrits, à celles des Emirs et
Souverains Nasrides de Grenade,
Mérinides, Abdelwadites, Hafsides et
mamelouks(...) » (11)
A titre d’exemple, La Fontaine,
comme, plus tard, Victor Hugo,
empruntera beaucoup de thèmes et de
personnages de ces régions du monde. En
1664, Le Pouvoir et les Intellectuels ou
Les Aventures de Kalila et Dimna,
d’Abdallah îbn Mouqaffah (mort en 756H)
fait connaître le plus grand ensemble de
fables orientales d’origine indienne,
traduites en persan au VI° siècle, puis
en arabe à Bagdad. Le sujet de la fable
Le Corbeau et le Renard (1,2) est
emprunté au folklore persan et arabe.
Attribué à Esope, Le Villageois et le
Serpent (VI, 13) vient également de
Kalila et Dimna et souligne que les
ingrats peuvent être punis. «
Grippeminaud » ermite vénérable et
respecté, à la manière du « chat » de
l’épisode de Kalila et Dimna intitulé Le
rossignol, le lièvre et le chat, et que
La Fontaine rebaptise Le Chat, la
Belette et le petit Lapin (VII, 16) (12)
Une autre œuvre, La Divine Comédie
de Dante doit beaucoup aux sources
arabes et musulmanes. Dante a commencé à
écrire La Comédie vers 1307, le thèmeLe
poète égaré dans la forêt sauvage du
péché, effectue un voyage imaginaire au
travers de l’Enfer, du Purgatoire et du
Paradis, jusqu’à la découverte de Dieu.
Parmi les sources profanes citons la
plus importante Abou El Ala El Maari
(973-1058) prosateur titanesque, " otage
des deux prisons " écrivait Rissalat El
Ghoufran, « l’Épître du pardon ». La
Divine Comédie a d’une certaine façon
était écrite par El Maâri. Il est établi
que Dante reconnaît explicitement dans
ses oeuvres en prose sa dette envers de
grands philosophes comme Al-Kindi, Al-Farabi,
Ibn Sina, Al-Fargani, Ibn’Arabi et biens
d’autres mais ne cite pas El Maäri
précurseur principal de son « œuvre ».
Georges Corm:
un constat d'actualité sans complaisance
Sur la situation actuelle des Arabes
Georges Corm, écrivain, ancien ministre
libanais de l'Economie écrit: «Nous
sommes en face de deux thèses et on
trouve des penseurs arabes dans les deux
camps. Il y a d'abord la thèse
anthropologique essentialiste qui est
une thèse d'autoflagellation soutenant
que nous avons en nous-mêmes des défauts
depuis l'Antiquité, notamment le
tribalisme, ou que nous avons une vision
étriquée de la religion qui n'est pas
ouverte et tolérante; et donc le
problème est chez nous et pas dans les
agressions extérieures. Qu'est-ce qui a
fait que les Arabes, les Berbères en
Andalousie, notamment, sont sortis de
l'histoire? Malheureusement, nous
essayons de dépasser nos problèmes en
parlant d'arabo-islamisme. Il est vrai
que les Arabes sont à 95% musulmans.
(..) » (13)
Le nationalisme arabe à l'origine à
cet enfermement est, poursuit Goerges
Corm, une thèse défendue par les
orientalistes occidentaux. Ceux-ci ont
voulu faire du nationalisme une affaire
des chrétiens du Machraq (..) On a
remplacé Ibn Khaldoun par Max Weber. On
a remplacé les grands philosophes Ibn
Rochd et Ibn Sina par Hegel. (...)
L'indépendance de l'esprit arabe a été
kidnappée par la culture orientaliste
européenne. (...) Quand Obama est venu
au Caire, il a parlé de la protection
des minorités comme s'il parlait des
pandas! «les défis d'aujourd'hui». Ce
sont la science et la technique, et pas
la métaphysique. Nous étions ouverts sur
toutes les cultures. C'était l'âge d'or.
Nous étions producteurs des
sciences(...)» (13)
Pourquoi, alors admettre comme parole
d’évangile la doxa occidentale qui prend
sa source dans l’orientalisme dont le
regretté Edward a dit tout le bien dans
son ouvrage magistral « l’Orientalisme »
, Eric Geoffroy Younes professeur à
l’université de Grenoble les Orientaux
s’interroge sur ce qui empêcherait les
intellectuels de porter un regard
critique sur la production
intellectuelle occidentale en pratiquant
par réciprocité "l’occidentalisme" (al-istighrâb),
pour donner le change aux orientalistes
et à leur orientalisme ? (14).
Les
ingérences occidentales composantes du
malheur arabe
Il est indéniable que les puissances
occidentales n'ont jamais cessé de
diviser les Arabes en jouant sur les
sensibilités ethniques et religieuses.
Ainsi les médias main stream ne
s’arrêtent de se lamenter sur le sort
des Chrétiens d’Orient qui souffrent à
la fois de la folie intégriste echappée
de la boite de Pandore ouverte par
l’Occident qui en venant avec ses grands
sabots et son napalm venir faire voler
en éclat des équilibres millénaires
entre ethnies entre religions entre
cultes différents au sein de l’Eglise.
Pour rappel la clé du Saint Sépulcre
remise par Salah Eddine Al Ayoubi a été
remise une famille palestinienne depuis
plus de 800 ans qui la garde et la remet
aux différents rites nestoriens grecs
arméniens lors de la visite de l’Eglise
de la nativité chacun à son tour.
Hayat al Huwik Atia, journaliste
libanaise de confession maronite,
interpellant le pape lors de son voyage
en Israël déclare: «L'église d'Orient
refuse d'être entraînée dans le
processus de judaïsation de l'Occident
chrétien. (...)Votre Sainteté le pape,
sachez que je suis une chrétienne arabe!
(...) Par conséquent, cela ne m'empêche
pas de vous rappeler ma fierté
d'appartenir à cette terre arabe. Cette
terre est le berceau de toutes les
Religions et de toutes les Révélations
monothéistes. (...) La deuxième raison
est que c'est l'Occident qui agit depuis
des décades contre le Monde arabe pour
saper cette cohésion sociale et
religieuse dans le Monde arabe. (..) En
conséquence, sachez que nous - Arabes
chrétiens - ne sommes une minorité en
aucune façon, tout simplement parce que
nous étions des Arabes chrétiens avant
l'Islam, et que nous sommes toujours des
Arabes chrétiens après l'Islam. La seule
protection que nous cherchons est
comment nous protéger du plan occidental
qui vise à nous déraciner de nos terres
et à nous envoyer mendier notre pain et
notre dignité sur les trottoirs de
l'Occident.» (15)
Accepter les
valeurs de l'Occident ou végéter: Albert
Memmi dixit
Que doivent faire les Arabes pour
sortir des temps mort ? Albert Memmi
écrivain connu pour son «Portrait du
colonisé» a la solution . IL pense qu’il
faut une séparation nette de la religion
et de l'Etat: «(...) En ce qui concerne
le monde arabe, il en va différemment.
Il existe à l'origine une forte culture;
mais elle est fossilisée. Chaque fois
que vous parlez avec un intellectuel
arabe, il vous cite Averroès, qui est du
XIIe siècle! Alors qu'il faudrait
aborder courageusement la modernité;
alors qu'il y a, au contraire, des
ruptures à réaliser les intellectuels
arabes n'ont pas su, ou pas voulu,
prendre radicalement leurs distances
avec le système. (...) En Europe, Il a
fallu une séparation nette de la
religion et de l'Etat. Le lien entre la
religion et la société est ancré dans
les mentalités et l'inconscient arabes.
Sans esprit critique, vous ne pouvez pas
avoir devant la nature la liberté de
pensée indispensable pour pouvoir la
maîtriser ». (16)
« Vous connaissez, poursuit Albert
Memmi la fameuse phrase de Pasteur,
grand catholique: «Quand j'entre dans
mon laboratoire, je laisse mes
convictions au vestiaire.» On verse au
compte de la civilisation arabe ce qui
fut en réalité une symbiose réussie
entre conquérants et conquis. Cette
donnée explique en partie pourquoi cette
culture a culminé en un «âge d'or», mais
n'a pas pu durer. Puisqu'il y a eu deux
sociétés mythiques, l'Andalousie et
Baghdad, dans lesquelles tout est,
rétrospectivement, supposé parfait, il
suffit de s'en réclamer. (...)
L'aventure de l'Europe n'a pas été
commode: elle est passée par les bûchers
et la condamnation de Galilée. Mais, en
fin de compte, l'Europe a triomphé de
ses propres démons. Même si la
colonisation a constitué un scandale
économique, politique et culturel, les
peuples du tiers-monde, y compris les
peuples arabes, n'ont pas d'autre choix
que d'accepter les valeurs de
l'Occident.» (16)
Albert Memmi dit vrai: «Nous vivons
dans le passé, nous surfons sur des
vagues qui ne nous appartiennent pas.»
Ainsi, la mort de Ahmed Zewail, seul
prix Nobel de Chimie arabe américain né
égyptien est passée inaperçue passe
encore dans les médias occidentaux-
c’est de bonne guerre- mais surtout dans
les médias arabes encore soumis
intellectuellement à la grille de
lecture occidentale des évènements et de
l’information occidentale Ce qu’il
faudrait peut être ajouter est que la
solution réside aussi dans la non
ingérence occidentale
Cependant, les choses ne sont pas
simples, le malheur des Arabes est le
pétrole qui, en attisant les convoitises
permet aux nations occidentales de
maintenir le statu quo à demeure avec
des dirigeants aux ordres. Les printemps
arabes n'étaient que du vent et seule
une révolution endogène basée sur
l'éducation et le savoir permettra de
rattraper le train de la science. C'est
globalement le consensus admis.
Conclusion
Barbarie, Fatalisme, Archaïsme,
Terrorisme. Autour de quelques idées
fortes en -isme-, la représentation
occidentale des musulmans semble figée à
travers les temps. La responsabilité
sarrasine est évoquée déjà par la
Chanson de Roland. Ce texte fondateur de
la littérature française d’un épisode
qui se serait déroulé à Ronceveaux dans
la moitié du septième siècle a été «
conçu au XIIe siècle dans le sillage de
l’atmosphère des croisades – cinq
siècles après-, a figé dans le marbre le
regard porté sur l´Islam. Pourtant il a
été admis par la suite, que on sait que
Roland a été tué par des Basques.
Il en résulte un discours empreint de
préjugés millénaires. De l´expression «gentem
perfidam sarracenorum» (la nation
perfide des sarrasins), utilisée dans la
première moitié du VIIIe siècle en
Occident à l´étiquette «les Arabes,
peuple brigand» écrit par Montesquieu
dans «De l´esprit des lois», les Arabes
synonymes de musulmans chez les
Occidentaux, sont perçus comme étant un
danger pour le monde chrétien. Plusieurs
siècles après, ce discours n´a pas pris
un pli. Le sarrasin est remplacé par le
terroriste.
La civilisation islamique a sa place
parmi les grandes civilisations. Ceux
qui l’ont portée aux nues étaient
musulmans, mais aussi juifs,
zoroastriens, chrétiens. Bref des
arabes, des assyriens, des perses, des
phéniciens et palestiniens qui se sont
épanouis à l’ombre de l’islam et d’une
langue qui a connu ses heures de gloire.
Les Arabes n’étaient qu’une composante
mais le miracle de la langue arabe est
qu’elle a été la langua franca
pendant des siècles. Un seul bémol le
sort actuel des peuples arabes n’est pas
du ni à la langue encore moins à l’islam
mais à leur dirigeants qui se sont
installés dans les temps morts, pour
l’éternité avec la complicité active de
l’Occident mais ceci est une autre
histoire
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16..Albert Memmi : Les Arabes
Interview par Christian Makarian
LíExpress du 14/06/2004
Article de référence
http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur
_chitour/248467-un-peuple-ni-pire-ni-meilleur.html
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-dz
Publié le 25 août
2016 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
Le sommaire du Pr Chems Eddine Chitour
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