Opinion
Contre les envahisseurs et l’oppression
:
Les chants de résistance des Algériens
Chems Eddine Chitour
Le Pr
Chems Eddine Chitour
Vendredi 22 avril 2016
«Le
patriotisme c'est l'amour des siens. Le
nationalisme c'est la haine des autres.»
Romain
Gary
L'histoire de l'Algérie est celle
d'un pays qui a connu plusieurs
envahisseurs qui ont tous été expulsés.
Ce ne fut pas simple et chaque région de
ce vaste pays, un peu comme la surface
de l'Europe, a lutté pour la liberté et
l'indépendance. C'est de notre point de
vue un hommage à rendre à l'Algérienne
et à l'Algérien d'avoir chacun à sa
façon lutté avec les armes, avec
l'esprit, avec ses dispositions
physiques, avec ses affinités
artistiques ou sportives.
Dans cette contribution, nous voulons
mettre l'accent sur la poésie et le
chant qui ont accompagné les heurs et
les malheurs de l'Algérie.
En règle générale, les poèmes et les
chants étaient des hymnes à la liberté
en décrivant la douleur des vaincus,
mais on trouve, pourquoi ne pas le dire
et ceci sans porter de jugements de
valeur des aèdes, des troubadours pour
chanter les exploits des envahisseurs.
On sait que l'armée d'invasion ira
jusqu'à susciter et encourager ce type
de chants tout à sa gloire.
Parmi les chants qu’il m’a été donnée
de consulter le plus ancien, à ma
connaissance est celui dit-on de la
Johannide un poème de Corripus
mazigh ? faisant l’éloge du général
byzantin Jean Troglita.
Pour la période précédant l’invasion
coloniale de 1830 , et décrivant la
période ottomane, Venture de Paradis en
1894 rapporte un chant algérien du
XVIIIe siècle, composé à l'occasion du
bombardement d'Alger par les Danois en
juillet 1770. Il immortalise la gloire
des Algériens face aux Danois. Les vers
composant ce chant chantent la victoire
de l'armée du sultan face aux ennemis,
aux chrétiens et aux infidèles.
Quacidate de
Salah bey : « Galou el arab galou » «
les arabes ont dit ».
L’une des qacidas qui raconte en
creux la période ottomane et les
révolutions du palais qui se terminent
mal pour ceux qui présument de leur
force est la fameuse qacida dédiée à
Salah Bey ottoman aimé de ses sujets
constantinois et qui eut un destin
tragique
« Voilà un bey, écrit lle docteur
Boudjemaa Haichour tant aimé par sa
communauté puis haï ou trahi par les
siens. Il s’agit de Salah Bey Ben
Mostefa né à Smyrne en 1771 et mort à
Constantine le lundi 20 août 1792 (Moharem
1207). Au-delà de ce chef-d’œuvre de la
poésie populaire, jamais une aussi belle
pièce du terroir n’a pu envoûter les
mélomanes et les hommes politiques que
celle de la qaçida Galou el Arab Galou,
chanté dans le répertoire de l’école de
Constantine dans le mode mahzoun zeidane,
en fait une oraison funèbre (marthia)
écrite en hommage à celui qui fut Bey de
Constantine durant 22 ans, soit le plus
long règne des beys qui se sont succédé
dans le Beylicat de l’Est . La chanson
de Galou el arab galou est liée
comme tant d’autres qaçidate locales à
des événements vécus par la population
l’oraison funèbre dédiée à Salah Bey et
dont les meilleurs interprètes sont El
Hadj Mohamed-Tahar Fergani Raymond
Leyris » (1)
« Galou El Arab Galou Lanaâti
Salah wala malou
Saqma taqtalou Wa eytihou el arkab ala
el argab
Hamlatni ya raqiq an nab Rouhou al darou
ya zayara
« Les Arabes ont dit
Nous ne livrerons ni Salah ni ses biens
Nous nous livrons à une bataille pour sa
cause
Même si nous voyons s’accumuler des
têtes et des cadavres. Tu m’as délaissé,
ô toi sans parole. Allez chez lui ô
visiteurs !
« Gal al arbi gal Sidi salah bey ach
houa yaqtal
Midhi min allah jaât allah yahram man
kan hadhara Rouhou al darou ya zayara
« L’Arabe a dit: Pourquoi on l’a tué C’est
donc sa destinée
Puisse Dieu procurer miséricorde
à tous les présents Allez chez lui ô
visiteurs. » (…)
« Ya hamouda ya oulidi at’hala
feddar Matloumouche allia Ya kbadi addat
babana
Law arfat hakda yadjrali Manasqoun el
bouldane Nabni kheima ala awladi Wa
anâchar el Arbane Youma fin houa Baba
Rayah wala harban
« O Hamouda mon fils Prends soin de la
famille Ne m’en voulez pas O mes
enfants.
C’est la coutume de notre père Si je
savais que cela aller m’arriverer
Je n’aurais fréquenté les villes
J’aurais planté une tente à mes fils Et
j’aurais vécu parmi les ruraux Maman !
ou est passé mon père ? Est-il partant
ou en fuite ? »
« Hamouda ya wlidi Danag Maâ Diwan
Hain Ataoulou Tasbih Waâtaoulou lamam
Galou lou lat Khaf Ya Salah hadha Amr
esoltane »
« O Hamouda mon fils Prends soin du
cabinet. Après lui avoir formulé un
rosaire
Et lui donner assurance et réconfort. On
lui a dit : O Salah n’aie crainte C’est
un ordre du Sultan « (1)
« La Qaçida de Galou el arab
Galou se termine poursuit l’auteur,
par un khlas intitulé Alkhaoua Ya
Alkhaoua. c’est ainsi que prend fin le
règne de Salah Bey. Il est enterré au
fond de Sidi El Katani dont les
autorités de la wilaya ont commencé
depuis quelques mois la restauration. La
date de sa mort est inscrite sur une
plaque de marbre portant le mois de
Moharem 1207.
« Je ne saurais conclut le docteur
Haichour terminer cette étude sans
rappeler l’inscription portée sur le
fronton de la mosquée Sidi Lakhdar dont
voici la traduction d’A. Cherbonneau : «
Les splendeurs du bon augure sont
descendues des sublimes régions de la
félicité. Afin de consacrer une mosquée
érigée pour le bien public et elles ont
inondé le firmament de leur lumière.
C’est le Bey de l’époque qui l’a bâtie,
c’est le glorieux Salah. Ce prince si
zélé pour les bonnes œuvres, et qui les
amasse comme un trésor pour le jour du
jugement dernier. Dieu lui réserve une
place dans le paradis avec bien d’autres
avantages. Si tu veux savoir ô lecteur
la date du monument, prononce les mots
suivants : cette mosquée est destinée au
culte de Dieu. » (1190 Hégire-1776 de
J.C) » (1)
Abdelmadjid Khaouah décrivant la
longue complainte faite de poésie et de
chant pour raconter le calvaire des
Algériens sous le joug colonial écrit :
« La poésie algérienne a été longtemps
une parole de l'opprimé. Si elle a du à
un moment historique emprunter sa langue
au colonisateur, elle s'est manifestée
avant tout comme le ferment d'une
identité On peut dire, sans se tromper
qu’aussi loin remonte la mémoire, le
Verbe a rythmé avec constance les drames
et les allégresses de l’Algérie. Dans sa
dimension orale, sa posture savante,
tant dans les campagnes que dans les
cités, la Parole poétique ne s’est point
dérobée aux rendez-vous de l’histoire.
Et même quand elle fut contrainte à
user, ruser, se saisir et prendre
possession d’un vocabulaire étranger,
elle a entretenu les braises, avivé
l’espoir, et récuser narguer
l’oppression. Ténue, délicate ou
virulente et éclatée, multiple, cette
Parole est à l’image de nos tapisseries.
Aux heures de l’extrême péril, il y a
toujours un Meddah ou un Guwal pour
prendre la parole. Depuis les temps
reculés dans le Maghreb, la poésie a
occupé une place centrale dans la
société. Que ce soit en pays
berbérophone ou dans les régions où
prédomine la langue arabe les conteurs "Guwwalin"
(diseurs) et les meddahs (aèdes) ont
perpétué les antiques traditions et les
hauts faits des tribus. Leurs œuvres
allient la louange et la satire. A ce
propos, Jean Amrouche indique que "le
poète est celui qui a le don d'asefrou,
c'est à dire de rendre clair,
intelligible ce qui ne l'est pas… Ces
clairvoyants et ces clairchantants ne
sont ni des mages ni des prophètes. Ils
vont aux champs comme les autres ou
vendent leur pacotille dans les villes.
Ils ne font pas métier de chanter. Ils
restent dans le corps du peuple pourtant
ils plongent dans son âme. De là une
autre mérite : les œuvres, achevées
comme des pierres taillées, restent
prises dans la vie la plus quotidienne
».(2)
« Ces œuvres poétiques poursuit
l’auteur s'insèrent dans un panorama
riche en traditions orales, en contes et
légendes, en dictons et proverbes qui
concentraient l'âme d'un peuple
confronté à une succession historique
d'invasions et de conquêtes et qui
développèrent en lui, selon Jacques
Berque "la faculté de quant à soi" qui
se traduit par l'intériorité. La
confrontation avec l'Autre, au travers
des heurts de l'histoire laisseront non
seulement "des reliefs archéologiques et
sociaux mais une trace mentale
indélébile" (Berque). Dans ces
conditions, le poète ne pourra pas se
départir d'un rôle social et civique. Il
est conduit à assumer le rôle de héraut
de la résistance. La conquête française
de 1830 qui a ébranlé la société
algérienne polarisera l'inspiration
poétique » (1).
Dans un premier temps, il s'agira
d'élégies nostalgiques sur le paradis
perdu, pour ensuite tendre vers le
relèvement moral. Elle fut
essentiellement le fait des poètes
populaires. Jean Déjeux dans son essai
sur La poésie algérienne de 1830 à nos
jours écrit : "Les lettrés et les
notables gardèrent le silence ».
D'aucuns avancent qu'ils ne voulaient
pas faire enregistrer par la langue
classique les affronts subis et les
humiliations. (…) "La parade est donc
venue des poètes populaires dans les
dialectes arabes et berbères qui se
firent les porte-paroles du petit
peuple. Leurs sources d'inspiration
proviennent du fonds ancestral
arabo-musulman. Le but est de raviver la
fierté et honneur gravement atteints
après la conquête. Aux soirées et aux
fêtes familiales, durant le Ramadhan,
les poètes récitent des pièces épiques,
les ghazawat, gloire de la geste
arabo-musulmane. Dans les pièces, la
civilisation occidentale était
personnifiée par le ghoul, l'ogre. Dans
les poésies élégiaques le poète exhale
l'humiliation de la prise d'Alger, comme
dans L'entrée des Français à Alger par
le Cheikh Abdelkader » (1).
"Repentez-vous, demandez pardon
au Maître,
Voici la fin des temps, elle nous
atteint
Elle apporte les épreuves et tous les
malheurs ;
Dorénavant plus de tranquillité"
En fait, écrit, A. Khaouah ces
poésies constituent un long chapelet de
lamentations et d'exhortations au fur et
à mesure de la progression de la
colonisation à l'intérieur du pays et
participent à susciter les foyers de
rébellion et de sédition sporadiques
durant tout le XIX° siècle et le début
du XX°. Nostalgie de l'ancien ordre,
lamentation sur les gloires passées, sur
la liberté perdue face à l'intrusion par
la violence d'un nouvel ordre qui impose
ses innovations "impies". Les larmes du
poète se voudront une forme de
résistance » (2).
Nous allons dans ce qui suit décrire
les expressions artistiques de révolte
du peuple à travers trois chants qui ont
été des marqueurs indélébiles de la
colonisation de peuplement qui non
seulement a mis en coupe réglée en
clochardisant la société algérienne mais
aussi en lui prenant sa sève pour en
faire de la chair à canon sur tout les
théâtres d’opération où l’esprit
belliqueux de la France l’a amené. Ce
sont surtout des complaintes qui
reviennent d’une façon aimantée vers la
mère aimante seule référence quand tout
est perdu
Le chant du
désespoir suite aux enfumades du Dahra
Après l'invasion tragique un matin de
juillet 1830, comment «oublier» de
rendre hommage à toute une tribu,
symbole de l'héroïsme. Les enfumades du
Dahra furent l'objet d'un documentaire
rehaussé par le témoignage de Hadja
Zohra, arrière-petite-fille d'une
survivante.Nous lisons ce
témoignage poignant repris de bouche en
bouche comme une chose sacrée qui devait
se transmettre pour ne rien oublier
devant Dieu et les hommes : « Le
lendemain du crime, Mohamed Ben Mohamed
inspecte les lieux à cheval et retrouve
deux survivants, deux miraculés de
l'enfer: un homme, Bouhraoua et Aïcha
Bent M'hamed. Le sauveur se marie avec
la survivante Aïcha. De cette union
naissent les grands-parents de Zohra qui
récitent des poèmes populaires relatant
le massacre des anciens ». (3)
Dans le même ton, la culture
populaire transmise de génération en
génération a permis à Guerine Abdelkader
de publier un recueil de poèmes «La
Brûlure - Les enfumades de la
Dahra» qui raconte par le biais d'un «Goual»
ou troubadour, allant de hameau en
hameau, de souk en souk porter les
bonnes et les mauvaises nouvelles. Ce
troubadour, faisant parfois des rêves
prémonitoires, dépêche sa personne chez
les Ouled Riah pour leur porter la
mauvaise nouvelle représentée par
l'invasion de leur pays et localité par
la soldatesque française, un certain 5
juillet 1830. Quelques passages du
livre:
«Que veulent-ils chez nous?
Que vont-ils faire de nous? se
demandèrent bruyamment et nerveusement
les uns et les autres...»
«Ils veulent poser des lois roumi
auxquelles l'Arabe est bien soumis,
« Ils sont en route et seront là,
Pour faire l'enfer de l'au-delà.
« Ils veulent la terre et le
bétail, Et toi l'esclave qui obéit,
Les bêtes qu'ils veulent et la
volaille, Et toi, étranger dans ton
pays.»
«Nous étions mille et une
personnes, Avides de paix jusqu'à
l'aumône,
« Coincées dedans les vieilles
grottes, Cernées d'une force qui porte
des bottes,
Nous étions mille et un cadavres,
Virés du temps d'une vie macabre,
Brûlés vivants d'un feu banal, A
l'ordre bref du général.»
Les crimes contre l’humanité sont
dit-on imprescriptibles Nous avons là
encore après ceux de l’invasion un vrai
crime contre l’humanité pour laquelle la
justice attend d’être enfin, rendue
depuis près de 170 ans On comprend dés
lors, le jugement sans concession de
Victor Hugo à l’endroit de ce maitre d’oeuvre
de l’horreur :: «Armand Jacques dit
Achille Leroy de Saint-Arnaud avait les
états de service d'un chacal.» (3)
L'écrasement
de la Révolte de 1871
Comme nous l’avons souligné les
Algériennes et les Algériens meurtris
sans leurs chairs ont essayé de
témoigner de mémoire en mémoire d
grands-mères en grands-mères pour
attester de l’horreur de cette horde
sauvage qui au nom du droit du plus fort
est venue violenter la société
algériennes pour en faire comme disait
Jules Cambon un de ses gouverneurs : de
l’Algérien « une poussière d’individu »
Après l'écrasement de 1871 écrit
Salem Chaker, la poésie kabyle va être
marquée pendant des décennies par un
pessimisme profond: le monde ancien
s'écroule, les valeurs sociales
ancestrales s'effondrent et l'on assiste
impuissant à une totale inversion des
hiérarchies morales et sociales. Les
collaborateurs ont les faveurs des
Français qui leur confient
l'administration de leurs concitoyens...
Comme l'a écrit si bien Mammeri (1968),
nul mieux que le grand poète Si Mohand
(v.1845-1906) n'incarne mieux cette
période de désespérance. Par sa
personnalité d'abord, son village
originel fut rasé en 1857 lors de la
campagne du maréchal Randon, sa famille
subit de plein fouet la répression de
1871. Son père fut fusillé, son oncle
déporté en Nouvelle Calédonie. Tous
leurs biens furent saisis. Il devient
poète errant menant une vie de vagabond.
Il sombra dans la drogue et l'alcool.
Bien qu'en rupture avec son milieu, sa
poésie sera reconnue. Il est le poète
des vaincus. Comme nous dit Mammeri, sa
poésie est celle d'une faillite
irrémédiable, de l'universel Naufrage:
«Je jure que de Tizi Ouzou - jusqu'à l'Akfadou-
Personne ne me dictera sa loi - Mieux
vaut se briser que de plier-Mieux vaut
la malédiction - Que (de vivre) là où
les chefs sont des proxénètes - L'exil
est inscrit sur mon front -Par Dieu nous
quitterons le pays - Plutôt que
d'encourir la punition divine parmi ces
porcs.» (4)
Aux origines
de la chanson «El Menfi»
Nous connaisosns tous la suite de la
révolte de 1871 des milliers de morts et
de blessés des amendes que les tribus
mettront plus de vingt ans à payer .
Spoliation des meilleures terres et
banissement des chefs et de leurs
familles au bagne de Nouvelle Calédonie
où ils allèrent retrouvés les bannis de
la Commune avec une certaine Louise
Michel déportée en 1873 et qui se lia
d’amitiés avec « les Arabes de Nouvelle
Calédonie en enseignant, et en
enseignants aux enfants de déportés
(notamment des
Algériens de Nouvelle-Calédonie),
puis dans les écoles de filles.
L'anthropologue Melica Ouennoughi
dans un ouvrage sur la Nouvelle
Calédonie a ressuscité un pan de cette
douloureuse histoire à la fois sur le
plan anthropologique et sur le plan
agricole avec ce «marqueur» qu'est le
palmier dattier. L'histoire commence par
une révolte, une de plus contre les
hordes coloniales. Ce qui est
remarquable chez les peuples qui ne
veulent pas mourir, c'est la lutte
contre l'acculturation en tenant à leurs
repères; la France les a dépossédés,
ruinés, déportés, tondus, mais elle n'a
pas pu, malgré toutes les manoeuvres,
les intégrer en les désintégrant.
Arrachés à leur terre natale, séparés de
leurs proches, déportés par convois
successifs vers les bagnes du Pacifique,
les déportés devaient aussi lutter
contre l'acculturation, pour ne pas
perdre leur âme et leurs coutumes. Les
descendants ont créé, en 1969/1970, une
«Association des Arabes et des amis des
Arabes» pour prendre en charge
l'histoire et perpétuer la mémoire
collective de leurs ancêtres. Les filles
de déportés ont perpétué pieusement la
mémoire: «Notre mère était une grande
femme; elle était une fille rebelle
aussi; elle voulait toujours nous
éduquer avec la coutume algérienne. Elle
maîtrisait bien la langue de son père.
Il fallait toujours qu'on soit réunis.
Elle nous parlait quelques mots d'arabe.
Elle avait une grande admiration pour
son père. Elle en était fière et c'est
comme si elle avait ce rôle de
transmettre la coutume des anciens:
c'était une femme autoritaire», «Chacune
à leur manière avait le devoir de
transmettre la tradition», à travers
notamment «le port du foulard berbère,
les plats traditionnels, les récits et
les mots à consonance arabo-berbère...»
(5)
La chanson «El Menfi» (le Déporté)
interprétée magistralement par le
chanteur Akli Yahyaten était chantée en
Nouvelle-Calédonie au XIXe siècle par
les déportés algériens, On ne peut
parler justement des déportés sans citer
quelques paroles douloureuses de la
chanson interprétée magistralement par
Akli Yahyaten - que Dieu lui prête
longue vie - pour avoir su nous faire
vibrer:
«Aw ki dawni le tribunal,
jadarmiya kbaar wisghaar, aa wissensla
tewzen qantar, darbouni aâm wa n'haar,
3ala dakhla haffouli raas, wa aâtaouni
zawra ou payas, goulou lommi matebkeesh
yal menfi waldek rabbi mayy khalleesh.»
«Quand ils m'ont amené au
tribunal, les gendarmes grands et
petits, m'ont mis une chaîne qui pèse un
quintal, Ils m'ont condamné à un an et
un jour, ils m'ont rasé la tête et m'ont
donné une couverture et une paillasse.
Dites à ma mère de ne pas pleurer, Dieu
n'abandonnera pas ton fils»
Cette supplique revendique deux
repères: la religion et la mère. Cette
mère, dernier lien ombilical qui lui
reste et qu'il doit tenter de rassurer.
Cette mère est en fait, notre mère,
cette Algérie souffrante de voir ses
meilleurs fils lui être arrachés pour
l'inconnu, sans espoir de retour.»(5)
Haj Guioum:
la chanson comme instrument de guerre
Dans un entretien, le réalisateur et
producteur Ali Beloud parle de «La
résistance du peuple algérien par la
poésie et la chanson». Pour le
réalisateur Ali Beloud qui a remis à
l'honneur deux chansons de la
résistance, la première chanson est peu
connue par le public, mais elle est
présente et appréciée par les
historiens, elle s'intitule Kif n'aâmalou
(comment faire) de Hadj Guioum, du nom
de Guillaume II, empereur d'Allemagne,
exilé à la fin de la Grande Guerre, qui
est en sorte la prémice de l'une des
plus grandes catastrophes que l'humanité
ait connues. C'est-à-dire, celle qui a
commencé en 1914 et s'est terminée en
1945. (...) Elle a été rédigée en 1931
par un troubadour algérien qui s'appelle
Houari Hanani, pratiquement inconnu du
grand public qui a repris sa musique
jusqu'à nos jours sans le savoir, mais
sous une version raï où les paroles sont
totalement détournées qui ont dénaturé
la chanson révolutionnaire de ce
militant nationaliste A chaque fois que
ces chanteurs raï interprètent Shab
El Baroud, ( Ceux qui savent faire
parler la poudre) ils insultent le
Mouvement national et insultent cet
homme qui a passé sa vie à lutter contre
le colonialisme. Dans l'esprit de Hanani,
cette chanson venait à contre-courant du
centenaire et non pas seulement de
l'exposition coloniale de 1931. Il le
dit dans la chanson. Le centenaire de
l'Algérie 1830-1930, marquait pour la
colonisation, le succès définitif d'une
prise de territoire et l'asservissement
d'un peuple, d'une manière irréversible.
Cette année-là, la rue reprit sa fronde
face aux manifestations insultantes des
Français. Shab el Baroud de Houari
Hennani vient comme une réaction géniale
contre cet esprit de suffisance.» (6)
«Kif naâmlou est une chanson
tragi-comique populaire produite pour
persiffler l'ennemi.
Elle visait particulièrement la France
coloniale. Son auteur est le peuple,
anonymement et collectivement
responsable d'un acte symbolique
d'alliance avec l'Allemagne, contre la
Triple Entente. (...) Repris par les
Français, qui par tous les moyens
essayèrent d'en «corrompre» les paroles,
le texte résolument ironique a fermement
résisté pour mettre à l'honneur, El-Hadj
Guillaume, le Kaiser allemand qui
s'opposa à la France et à ses alliés
(...) Le texte a résisté à tous les
chocs en se manifestant comme une
première affirmation nationaliste, ce
qui en fait un document exceptionnel.»
(6)
Dans le même ordre de cette chanson,
l'historien, Joseph Desparmet, publie en
1932 une chanson, vulgarisée à Alger et
aux provinces limitrophes. Desparmet
analyse le rôle joué par la chanson de
geste chez les «indigènes». C'est un
moyen de consolation du peuple abattu
par la guerre et la présence coloniale.
Cette consolation se fait à travers la
glorification des exploits des héros de
l'Islam au temps des guerres de
religion.
«Eh! Français que t'imagines-tu?
Alger n'est pas ton bien!
L'Allemand vient qui te
l'enlèvera.
Il est fatal qu'elle redevienne
ce qu'elle était jadis.
Refrain: Aie, Aie, que faire
contre lui, Hadj Guillaume, son bonheur
(son étoile) monte.»
Les chansons répandues dans
l'Algérois pendant la Grande Guerre
racontent sur le même air, les
évènements d'actualité qui arrivent de
l'autre rive de la Méditerranée, parce
que les Algériens y étaient enrôlés.
«Quand nous prîmes notre fusil et
nos armes, Chacune de nos mères pleura
et se lamenta, disant: Aie! Quand
aurais-je quelque répit?
Mon fils m'a laissé à l'abandon
(refrain): Aie! Aie! Aie! que faire
contre eux (les Allemands). Les Français
voient abattre leur drapeau.»
«Nous avons laissé nos femmes
enceintes, Pour les beaux yeux du
général Joffre. (Même refrain)»
«Quand nous fûmes montés dans le
train, On nous compta comme des moutons,
Pendant que nos parents pleuraient sur
nous.
Mon Dieu! qu'est- ce que cette
affliction? Aie, aie! aie pour ces
Allemands! On nous a emmenés, Enfants et
jeunes hommes, dominer toutes les
nations européennes.» (7)
En Kabylie Si Mohand ou Mohand
voudrait avoir "des larmes de granit à
cause de ce siècle sans pudeur". Au
début du XX° siècle, la première guerre
mondiale qui voit la mobilisation des
autochtones, suscite des poèmes
satiriques ou des chansons au sens
ambigu où l'Europe est narguée et où
s'étale la misère subie. On entend à
cette époque une pièce foncièrement
politique contre la guerre : (2)
"Mon seigneur Dieu
Qu'avons-nous fait
Mon fils et moi
Je l'ai élevé moi-même
Un Etat roumi me l'a pris"
Dès lors tout en "s'opposant à toute
assimilation mécanique" (Mohamed Harbi)
et après un long moment d'hésitation, de
larges couches de la population ont
saisi l'intérêt à se rapprocher d'une
culture étrangère. "Notre peuple, écrit
Bachir Hadj Ali, adopta par rapport à la
langue française une attitude lucide,
révolutionnaire et à la longue rentable"
en l'utilisant comme "moyen
d'investigation du passé, de conquête du
savoir et de libération". (…) Mais il
faudra attendre 1934 pour voir la
parution du premier recueil relevant
d'une véritable poésie algérienne :
Etoile secrète de Jean Amrouche, que
l'on peut considérer comme le précurseur
de la poésie algérienne de langue
française. (…) Sa double filiation
culturelle a été à la fois une source
d'inspiration et de déchirement (…) En
faisant revivre l'épopée d'un résistant
à la domination romaine, il s'emploie à
déchiffrer le message de l'Eternel
Jugurtha dont l'un des traits de
caractère est la "passion pour
l'indépendance qui s'allie à un très vif
sentiment de la dignité personnelle".
(2)
"A l'homme le plus pauvre à celui
qui va demi-nu sous le soleil dans le
vent la pluie ou la neige à celui qui
depuis sa naissance n'a jamais eu le
ventre plein On ne peut cependant ôter
ni son nom ni la chanson de sa langue
natale. Aux Algériens on a tout pris la
patrie avec le nom le langage avec les
divines sentences de sagesse qui règlent
la marche de l'homme" (1)
« Pour Jean Amrouche, Il s'agit
désormais d' "habiter" un "nom" pour "ne
plus errer en exil / dans le présent
sans mémoire et sans avenir". (…) La
complainte(…) … est un réquisitoire
contre la misère et l'indifférence de la
société coloniale et bien-pensante.
L'acte de naissance le plus probant de
cette littérature de combat est signé
par le roman visionnaire de Mohamed Dib,
L’incendie, un an avant l'embrasement du
1er- novembre » (1)
« "Nous les ancêtres, nous vivons
au passé
« Nous la plus forte des multitudes
« Notre nombre s'accroît sans cesse
« Et nous attendons du renfort
Pour peser d'un poids subtil sur la
planète
Et lui dicter nos lois",
écrit Kateb Yacine dans Le cadavre
encerclé. (…) Mais soumise aux
impératifs idéologiques, la création
littéraire peut être galvaudée si elle
se résout à n'être que le relais d'un
discours politique. Kateb Yacine avait
déjà mis en garde en 1958 sur l'impasse
qui menaçait la littérature à abdiquer
ses droits à la critique face à
l'instance politique (…) Parole de
l’urgence accablée souvent par un
immédiat tragique, la poésie algérienne
a reflété les enjeux de son époque et
parfois anticipé sur son avenir ». (2)
Le chant
outil de mobilisation pendant la
révolution
Le chant patriotique a accompagné la
Révolution et lui a donné un contenu
épique. «Min Djibalina (De nos
montagnes), écrit Lamine Bechichi ancien
ministre, que les Scouts musulmans
algériens ont exécuté le 8 Mai 1945 à
Sétif, comportait entre ses lignes et
ses refrains un «défi des plus audacieux
au - Régiment de Sambre et Meuse - qui
inspira sa musique», Le texte littéraire
de ce chant a été écrit en 1931 par le
poète algérien Mohamed Laïd Al Khalifa.
Le chef scout Hassen Belkired avait
chanté, en 1942 à Constantine,
«Min Djibalina Talaâ Saout El
Ahrar»
« Younadina lilistiklall »
« De nos montagnes s'est élevée
la voix des hommes libres »
« Qui nous appelle à nous battre
pour l’indépendance »
« (...) Les chants patriotiques
algériens sont des poèmes, chants
populaires et parfois chansons musicales
qui ont été chantés, scandés par les
combattants algériens et la population
algérienne pendant et après la Guerre
d'Algérie. Ils font aujourd'hui partie
du patrimoine culturel et musical
algérien. On peut diviser ces chants en
trois catégories(6).
Les poèmes, écrits par de grands
poètes notamment Moufdi Zakaria, avec le
très connu hymne algérien Kassaman.
On peut citer aussi Messali Hadj et
enfin Abdelhamid Ben Badis qui a écrit «Chaabou
el Djazairi muslimoun wa ila al ûrubati
yantassib». « Le peuple algérien
est musulman et il est lié à l’arabité »
(8)
Citons aussi le chant algérien «A
Thamourth». ( O mon pays) ; Les
chansons, écrites par des chanteurs
algériens pour signifier l'amour de la
patrie juste après l'indépendance.» (7)
Pendant la guerre les lycéens
n’hésitaient pas aussi à chanter le
chant des partisans français qui se
battaient contre l’Allemagne, conçus par
Maurice Druon et Joseph Kessel sur une
musique d’Anna Marly
« Ami, entends-tu le vol noir des
corbeaux sur la plaine?
Ami, entends-tu le bruit sourd du
pays qu'on enchaîne?
Ce soir l'ennemi connaîtra le prix du
sang et des larmes.
C'est nous qui brisons les barreaux des
prisons, pour nos frères,
La haine à nos trousses, et la faim qui
nous pousse, la misère.
Ami, si tu tombes, ami sort de l'ombre à
ta place…. »
Nous de pouvons conclure sans citer
cet hymne à la liberté chanté en kabyle
«Ayama a'zizen ourathrou.»
«Ma mère qui m'est chère ne
pleure pas.»
Et cette chanson fabuleuse de Farid
Ali est d'une valeur inestimable. Matoub
l'a reprise et a eu un très grand
succès. Parmi Les autres chansons de la
Révolution citons sans être exhaustif
celle de Ali Maâchi qui est une perle,
en ce sens elle fait l'unanimité du fait
qu’elle reprend des chansons spécifiques
à chaque région:
«Ya nass a mahou houbi el akbar,
ya nass a mahou houbi el a3dham,
law tas'alouni nafrah ou nabchar
(bis),
wen koul biladi el djazaïr»
«O gens quel est mon plus grand
amour?
O gens quel est mon plus cher
amour ?
Si vous m'interrogez je serais
content de vous annoncer la bonne
nouvelle ( refrain)
En vous disant c'est mon pays
l'Algérie!»
Ali Maâchi est né à Tiaret en 1927.
Au déclenchement de la guerre de
libération, les musiciens de la troupe
Saffir Ettarab qu'il dirige, s'engagent
dans la révolution. Ali Maâchi fut
lâchement assassiné le 8 juin 1958. Il
fut pendu, en même temps les pieds en
pleine place publique Carnot à Tiaret.
Nous pouvons conclure sans être
exhaustif avec Slimane Azem et son beau
poème
«Ffegh ay ajrad tamurt iw»´»
« Criquet, sors de ma terre! ».
«Criquet, sors de ma terre! Le
bien que tu y avais trouvé a été gommé à
jamais».
Après l’indépendance, chacun de nous
a en tête, la chanson de El Hadj Mthamed
El Anka
« El hamdou lillah ma bqach
isti’mar fi bladna »
« Grace à Dieu le colonialisme
est sorti d notre pays »
Nous devons en définitive nous
souvenir ! Je me souviens est
une plaque minéralogique au Canada Nous
devons nous souvenir à chaque
anniversaire de nos douleurs. En effet
il n'y a pas de jours dans l'année où
l'on ne commémore pas une tragédie de
sang et de larmes. La lutte pour la
liberté a été une constante des
Algériens et des Algériennes et, de mon
point de vue, il serait juste et
légitime d'associer à cette indépendance
dans la douleur, tous ceux qui pendant
132 ans ont lutté et souffert et ont
témoigné de différentes façons dans la
chanson. La Révolution de Novembre
appartient aussi à tous ceux qui d'une
façon ou d'une autre, et pas seulement
par les armes, ont permis
l'indépendance. Ils sont nombreux ceux
qui se sont battus sans m'as-tu vu, sans
rien demander en échange convaincus
qu'ils ont fait leur devoir.
1. 1.Dr Boudjemaâ Haichour
http://www.memoria.dz/d-c-2014/contribution/mahzoun-zeidane-salah-bey-dans-galou-el-arab-galou-les-arabes-ont-dit
2. Abdelmadjid Kaouah
http://forumdesdemocrates.over-blog.com/2014/06/poesie-algerienne.html
La longue chaine des Clairchantants Le
don d'asefrou
3.
http://www.legrandsoir.info/Algerie-1845-un-jour-de-mai-Il-etait-une-fois-les-enfumades.html
4. Salem Chaker: La période noire
1870-1940) Revue du monde musulman et de
la Méditerranée Volume 51 N°1 pp. 11-31
Année 1989
5.Mélica Ouennoughi: Les déportés
maghrébins en Nouvelle-Calédonie et la
culture du palmier dattier (1864 à nos
jours) Casbah Editions 2008.
6.Entretien réalisé par Belkacem
Rouache
http://www.letempsdz.com/index.php/178449-le-r%C3%A9alisateur-et-producteur-ali-beloud-%C2%ABd-anciennes-chansons-engag%C3%A9es-ont-%C3%A9t%C3%A9-d%C3%A9natur%C3%
A9es%C2%BB
7. Les chansons de geste de 1830 à
1914 dans la Mitidja, Joseph Desparmet,
dans
http://bu.univ-ouargla.dz/Theses%20DOCTORAT/Safa-Ouled-Haddar-Doctorat.pdf
8.
http://www.constantine-aps.dz/spip.php?page
=imprimer&id_article=14276
Article de référence
http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur_
chitour/240059-les-chants-de-resistance-des-algeriens.html
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique
enp-edu.dz
Publié le 22 avril
2016 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
Le sommaire du Pr Chems Eddine Chitour
Le
dossier Algérie
Les dernières mises à jour
|