Comment je vois le
monde
Rwanda : Un génocide oublié
Chems Eddine Chitour
Le Pr
Chems Eddine Chitour
Mardi 15 avril 2014
« Dans ces pays-là, un génocide, ce
n'est pas trop important »
Mitterrand s'adressant au journaliste,
Patrick de Saint-Exupéry
Patrick de Saint-Exupéry, journaliste au
Figaro, a assisté en spectateur
privilégié à cette folie meurtrière. Il
a vu les charniers, parlé avec des
Tutsis en fuite et des Hutus en chasse.
Il a côtoyé l'armée française lorsque
François Mitterrand décida finalement de
la déployer pour des «buts
humanitaires». Il est rentré en France,
hanté par ce qu'il avait pu voir, mais
décidé à comprendre pourquoi la France a
soutenu jusqu'au bout le régime
génocidaire. Il publie le fruit de ses
réflexions «L'Inavouable. La France au
Rwanda».
Cette semaine justement à propos du
Rwanda, les médias occidentaux dans la
plus pure hypocrisie se souviennent
qu'il y a vingt ans, la vie a été ôtée
au vu et au su de tout le monde à
800.000 Tutsi sur une période de 100
jours avec une cadence macabre de 8000
morts par jour soit encore 330 morts par
heure ou encore 6 morts par seconde.
Pour arriver à ce chiffre inégalé même
pendant les fours crématoires nazis pour
éliminer les tziganes, les russes et les
juifs, il a fallu une intendance et une
planification diabolique pour que la
machine tourne sans accroc devant
l'indifférence générale. Comment l'ONU
et les biens-pensants les Occidentaux,
les gardiens de la morale ont été
indifférents à cette tragédie?
Les historiens estiment que le génocide
a pu être commis avec une telle rapidité
parce que dans les années précédentes
s'étaient mis en place à la fois un
conditionnement des esprits et un
encadrement serré du pays. Il y avait un
projet génocidaire datant de plusieurs
années, et finalement exécuté par les
extrémistes hutu de l'entourage du
président Habyarimana. Que faisait la
«Communauté internationale» je veux dire
les principaux pays occidentaux qui se
proclament ainsi? Il y eut un petit
génocide, une sorte d'entraînement
macabre avant le grand,avec
l'indifférence des uns et la complicité
tacite des autres.
Les racines de la haine
Tout commence avec la colonisation et le
mythe européen des races supérieures
exporté en Afrique pour attiser les
haines et régner. Nous lisons dans
l'Encyclopédie Wikipédia: «Au début
du XXe siècle, les colonisateurs
allemands, dans le sillage des
préoccupations ethnologiques de
l'époque, croient percevoir une
supériorité génétique des Tutsis sur des
bases raciales et morphologiques. Selon
eux, les Tutsis se distingueraient par
leur intelligence et la finesse de leurs
traits, contrairement aux Hutus qu'ils
considèrent comme inférieurs. Les
Belges, qui héritèrent de cette colonie
assumèrent la situation qu'ils
trouvèrent en s'installant et s'en
remirent aux Tutsis pour assumer
l'autorité sous la tutelle de
l'administration coloniale, même dans le
nord-ouest du Rwanda où régnait une
monarchie dominée par des agriculteurs
hutus, plus ou moins soumise à la
dynastie royale d'éleveurs tutsis du
reste du Rwanda. (1)
Les Tutsis ont donc seuls accès aux
études et à la gouvernance, tandis que
les Hutus et la petite composante des
artisans twas sont cantonnés à des
activités subalternes. Il convient de
noter que les missionnaires catholiques
et protestants ouvrirent progressivement
des écoles pour tous les enfants
africains, comme ils l'avaient fait au
Congo belge. (...) En 1931, une carte
d'identité ethnique est mise en place
par l'administration belge, indiquant le
groupe auquel appartient le citoyen:
tutsi, hutu ou twa. La carte d'identité
ethnique et la prétendue origine
extérieure des Tutsis jouent un rôle
essentiel à partir de 1959 pour
discriminer les Tutsis et justifier leur
élimination du pays.» (1)
Pour des raisons d'intérêt colonial les
Belges changent de partenaires nous dit
Wikipédia: «Au moment de
l'indépendance, un renversement
d'alliance, notamment sous l'impulsion
de la Démocratie chrétienne belge,
s'opère entre les colonisateurs et les
Hutus contre les Tutsis, les
colonisateurs jugeant plus facile de
s'appuyer sur la majorité hutue pour ses
propres intérêts. Ce contexte explique
l'animosité entre Hutus et Tutsis.
L'exil d'une partie des Tutsis vers les
pays limitrophes en plusieurs vagues à
partir de 1959 et leur désir de retour
seront la source de la guerre civile qui
éclatera en octobre 1990. Le Manifeste
des Bahutu rédigé en 1957 par Grégoire
Kayibanda, secrétaire particulier de
Monseigneur Perraudin, est considéré par
certaines associations comme le texte
fondateur de la politique ethniste qui
marquera les premières décennies du
Rwanda indépendant.» (1)
Le déroulement du génocide
Il y eut de ce fait plusieurs massacres
avant le génocide sous l'oeil
indifférent de la communauté
internationale. Le premier massacre
important des Tutsis au Rwanda a lieu en
décembre 1963. Entre 8000 et 12.000
hommes, femmes et enfants sont
massacrés. Radio Vatican parle à ce
moment-là du plus «terrible génocide
jamais perpétré depuis celui des juifs».
En 1972 au Burundi voisin, un très
important massacre de masse des Hutus
burundais par l'armée burundaise à
majorité tutsie fait, selon les Hutus,
environ 200.000 morts.» (1)
Nous lisons ce qu'écrit
l'Encyclopédie Wikipédia à ce
sujet: «Le génocide des Tutsis est un
génocide qui eut lieu du 7 avril 1994 à
juillet 1994 au Rwanda, un pays
d'Afrique de l'Est. Il fut commis dans
le cadre d'une guerre civile opposant le
gouvernement rwandais, constitué de
Hutus au Front patriotique rwandais
(FPR), accusé par les autorités d'être
«tutsi».(1)
«Le 1er octobre 1990, des Rwandais
exilés et regroupés au sein du FPR
décidèrent de revenir au pays à partir
de l'Ouganda, et de prendre le pouvoir
par les armes. En réponse, les autorités
rwandaises menèrent une double
stratégie: se défendre avec l'armée
contre l'agression militaire du FPR et
«liquider» tous les Tutsi de l'intérieur
du Rwanda. Les autorités rwandaises
perdirent la guerre civile au profit du
FPR mais atteignirent en revanche leur
objectif génocidaire contre les Tutsis.
L'ONU estime qu'environ 800.000 Rwandais
en majorité tutsi, ont perdu la vie
durant ces trois mois. Ceux qui parmi
les Hutus se sont montrés solidaires des
Tutsis ont été tués comme traîtres à la
cause hutu. D'une durée de cent jours,
ce fut le génocide le plus rapide de
l'histoire et celui de plus grande
ampleur quant au nombre de morts par
jour.
Comment s'est déroulé le
génocide?
Olivier Cabanel nous parle de la
présence des militaires français sous
couvert d'humanitaire: «A l'époque les
colons s'étaient donc appuyés sur les
Tutsis pour assumer l'administration du
pays, mais lorsque la volonté
d'indépendance du peuple rwandais se fit
pressante, les colons changèrent leur
fusil d'épaule, faisant porter leur
préférence sur les Hutus, provoquant des
émeutes, des exactions, et l'exil de
milliers de Tutsis. Il y a une
certitude, les militaires français
présents sur le sol rwandais n'étaient
pas seulement là pour des «raisons
humanitaires» et s'il faut en croire la
note de l'amiral Lanxade à François
Mitterrand leur mission était de
«renforcer notre coopération et de
durcir le dispositif rwandais». On peut
aussi lire dans le journal «l'instant»,
sous la plume de Jean-Pierre De Staercke:
«les FAR accompagnés de civils hutus se
seraient livrées à leurs carnages sans
faire de sélection (...) des militaires
sont venus prêter main forte à des
groupes de civils hutus qui avaient
ouvert la chasse au Bagogwe et plus
généralement à la population tutsi de la
région (...) les victimes auraient été
achevées par des femmes et des enfants
de militaires.»
«Tout a commencé, écrit Olivier Cabanel,
le 6 avril 1994, jour ou l'avion
gouvernemental de Juvenal Habyarimana,
l'ancien président du pays a été abattu
par un tir de roquette Or cette roquette
était une arme française, un missile
Mistral, et sa présence sur le sol
Rwandais était donc tout à fait
illégale. Plus tard, ce fut le journal
Libération qui, le 10 janvier 2013,
donna une information qui jeta un
certain trouble: 2 gendarmes français et
l'épouse de l'un d'eux furent tués à
Kigali dans des circonstances non
élucidées; (...) Ces gendarmes étaient
chargés de la mission de coopération
française avec celle de l'armée
rwandaise.
Dans son ordonnance, le juge Jean-Louis
Bruguière accuse Paul Kagamé et son
entourage «d'avoir planifié au risque du
génocide à seule fin de s'emparer du
pouvoir avec le soutien de l'opinion
internationale». Pourtant, les faits
sont têtus, et s'il faut en croire
plusieurs témoins il semble bien que la
France ait une part importante de
responsabilité dans ce qu'il est convenu
d'appeler un génocide, puisque 800.000
Tutsis y ont laissé leur vie.
Quelques témoignages sont éclairants:
«Nous livrons des munitions aux FAR en
passant par Goma, mais bien sûr nous le
démentirons si vous me citez dans la
presse» aurait déclaré Philippe Jehanne,
de la Dgse à l'historien Gérard Prunier
le 19 mai 1994, en plein génocide.
D'ailleurs, le rapport de la commission
d'enquête rwandaise publié le 5 août
2008 met la France directement en cause
dans le génocide. Andrew Wallis cite les
soldats français qui auraient déclaré
aux interhamwe «il faut ouvrir les
ventres de ces Tutsis que vous tuez pour
qu'ils coulent et que les satellites ne
les voient pas». Pour information, le
terme «interhamwe» désignait les membres
des milices de l'ancien parti unique le
MRND.
«C'est aussi ce qu'a récemment dénoncé
l'un des acteurs militaires présent à
cette époque au Rwanda, Guillaume Ancel,
qui affirme «l'histoire mythique de
l'opération Turquoise ne correspond pas
à la réalité». Il affirme que la
«volonté humanitaire» cachait une
réalité moins avouable, qui voulait
stopper l'avancée militaire du FPR
(Front patriotique rwandais) tout en
ménageant les forces gouvernementales
génocidaires. Le témoignage de cet
ancien capitaine au 68ème régiment de
l'artillerie d'Afrique évoque le
troublant décalage entre la version
officielle française, et la situation
qu'il a vécue. Il raconte comment les
armes qui avaient été prises aux Tutsis,
par les militaires français on été
distribuées à l'armée rwandaise,
principalement Hutu, affirmant même que
ce serait la France qui aurait payé la
solde des soldats rwandais.(2)
Les enquêtes sur le génocide
«De nombreuses enquêtes ont été menées
sur le Génocide des Tutsis au Rwanda en
1994. L'une des plus sérieuses fut sans
conteste celle conduite par la Ména, à
partir de 2002, qui se solda par la
publication de près de 140 analyses et
autres documents. Ceux-ci ont établi la
réponse à trois questions fondamentales:
l'Etat français a-t-il activement
participé, avec ses élus, ses diplomates
et son armée à la préparation du
génocide? A son encadrement? A son
exécution? Terrible vérité: la France a
perpétré un génocide, il y a vingt ans à
peine, participant avec ses commandos,
ses légionnaires, ses hélicoptères, ses
jeeps et ses mitrailleuses, à
l'anéantissement d'environ 800.000
innocents non armés, de tous âges, en
quatre mois. Il s'agit d'une cadence
supérieure à celle des nazis et de leur
extermination industrielle des
Israélites durant l'ensemble du Second
Conflit Mondial. Ce qui effraie le plus
dans ce crime est qu'il a été commis
pratiquement sans motif, et sans que les
cibles visées par l'Armée française
n'aient jamais constitué la moindre
menace sécuritaire et encore moins
militaire ou politique pour la France.»
(3)
A l'époque de la publication de notre
enquête, strictement aucun media
français ne partageait nos conclusions.
Lors, aujourd'hui, quand, presque
triomphaux, nos confrères annoncent la
condamnation à 25 ans d'enferment d'un
capitaine hutu paraplégique par la
justice française pour son rôle dans le
génocide, ne comprennent-ils réellement
pas que les juges ont envoyé aux galères
un troisième violon dans l'orchestre des
complices et alliés de la France en
1994?
La diplomatie française, par
l'intermédiaire de son porte-parole
Romain Nadal, a exprimé qu'il y avait,
dans les Conclusions du rapport de la
«Commission chargée de rassembler les
preuves montrant l'implication de l'Etat
français dans le génocide», présentées
mardi à Kigali, des «accusations
inacceptables portées à l'égard de
responsables politiques et militaires
français». François Mitterrand
détestait, pour des raisons obscures
qu'il a probablement emportées avec lui
dans l'au-delà, les Tutsis. De plus, il
privilégiait les Hutus, qui étaient plus
nombreux, moins développés et qui
parlaient français, par opposition aux
chefs du FPR, de culture anglophone.»
(3)
Il y eut aussi le témoignage d'un
colonel belge de l'ONU qui y a accusé la
France d'avoir assassiné le président
Habyarimana. Ce qui devait déclencher le
génocide. «Dans sa déposition, le
colonel Walter Ballis a déclaré que les
Français sont intervenus parce qu'ils
voulaient chasser les Belges du Rwanda.
Dès le début du vingtième siècle, a-t-il
rapporté, il était dit que si les Belges
échouaient en Afrique centrale, c'était
à la France de prendre la relève. (...)
«Je pense que certains Français ont
gardé cette idée dans leurs têtes, celle
de conquérir l'Afrique centrale (...) Ce
n'est pas la France qui a commis le
génocide, ce ne sont pas les Hutus,
comme ethnie, qui ont commis le
génocide. Dans chaque groupe de
personnes, il y a de malins génies. Dans
les hautes sphères de la politique
française, il y a eu des gens qui ont eu
des idées mauvaises sur le Rwanda»,
a-t-il ajouté. Et de conclure: «Le
soldat exécute les ordres de son chef.
(...)Il ne se remet en question que
lorsqu'il réalise que ce qu'il fait
n'est pas conforme à la conscience
humaine.» (4)
On apprend que Christiane Taubira ne se
rendra pas au Rwanda pour la
commémoration. En fait, écrit Jean
Bonnevey: «La France socialiste refuse
sa responsabilité et la droite de la
cohabitation aussi. (...) Pourtant, sans
le soutien de Paris au régime du
président Juvénal Habyarimana, le
génocide n'aurait jamais pu avoir
lieu.(...) Sans cet appui, le régime de
l'époque n'aurait jamais eu le temps de
préparer la tentative d'extermination de
la population Tutsi. Le «génocide
arménien» pour lequel la France se bat
et s'ingère dans les affaires
intérieures turques est mis en avant par
la Patrie des Droits de «l'homme blanc»
mais pas question de reconnaître sa
responsabilité dans le génocide rwandais
et les morts crient toujours et
attendent qu'on leur rende justice pour
reposer en paix» (5) Rien à ajouter.
Le rôle de l'ONU et des Etats-Unis dans
cette affaire n'apparaissent pas. Bill
Clinton, hypocritement, aurait regretté
de ne pas être intervenu. Bernard Debré,
secrétaire d'état à la Coopération à
l'époque résume bien la situation: «Ce
qu'on oublie de dire, c'est que si la
France était d'un côté, les Etats-Unis
étaient de l'autre côté, armant les
Ougandais qui armaient les Tutsis. Je ne
veux pas décrire une confrontation entre
les Français et les Anglo-Saxons mais la
vérité doit être dite.» Les Tutsis
attendent qu'on leur rende justice ils
ont droit à la même humanité, ils ne
veulent pas faire de leur malheur une
pompe à finances, une vie en Afrique est
aussi importante qu'en Europe. La France
se grandirait à regarder son histoire
coloniale en face, comme l'ont fait les
Belges, les Américains avec le Vietnam.
Il ne s'agit pas de repentance, il
s'agit de restitution des droits à tous
les hommes même non-blancs...
1. Le génocide rwandais :Encyclopédie
Wikipédia
2. Olivier Cabanel
http://www.agoravox.fr/ actualites/international/article/rwanda-une-verite-qui-derange-150531
10 04 2014
3. Stéphane Juffa Rwanda: le déni et
l'indécence de la France
http://www.menapress. org/08 avril 2014
4.
http://www.metulanews.net/article.php?
sid=1723
5. Jean Bonnevey http://metamag.fr/metamag-1951-Rwanda--democratie-et-crime-contre-l%E2%80%99humanite-La-nouvelle-faute-de-Christiane-Taubira.htmll
08/04/2014
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
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