Les enjeux
de la vie internationale
Ne pas diffuser ?
Charles Enderlin
© Charles
Enderlin
Lundi 9 juin 2014
La folie, c’est de faire toujours la
même chose et de s’attendre à un
résultat différent
Albert Einstein
C’était au tout début du mois de juillet
de l’année dernière. J’étais place
Tahrir au Caire, dans l’attente d’un
événement que même le cireur de
chaussures de la corniche Maspéro savait
inéluctable. Mohamed Morsi, le président
égyptien allait , selon l’expression
consacrée, devoir dégager. Le téléphone
sonne. Un ami m’appelle de France pour
m’annoncer : « Tu sais ! Un des
principaux éditorialistes parisiens
affirme qu’il va rester au pouvoir !
» Du point de vue de ce confrère, depuis
son bureau avec vue sur la Seine,
c’était tout à fait logique. Morsi avait
été élu démocratiquement.
L’administration Obama, persuadée
qu’elle avait enfin trouvé un « bon »
islamiste sunnite, le soutenait. Les
correspondants et envoyés spéciaux en
Egypte pouvaient toujours décrire les
foules immenses et le soutien accordé
par l’armée aux manifestants anti-Frères
musulmans, cela ne changeait rien à la
vision manichéiste de cet expert en
politique étrangère.
Les aveugles
Il souffrait du syndrome de l’inertie
conceptuelle. L’incapacité à adapter
l’analyse et le discours aux
tranformations d’une situation, d’un
rapport de force. Une forme
d’aveuglement, qui a frappé les médias
mais aussi les services de
renseignements et d’analyse au cours de
l’Histoire. En 1941, aveuglé par sa
vision des relations bilatérales avec
Berlin, Staline n’a pas voulu voir les
signes annonciateurs de l’offensive
nazie contre l’URSS. Dans les années 70,
les Américains n’ont pas compris la
nature des événements précurseurs à la
chute du Shah d’Iran et l’arrivée au
pouvoir des Ayatollahs. Plus tard, ils
ont refusé toutes les informations sur
l’inexistence d’armes de destruction
massives dans l’Irak de Saddam Hussein.
On connaît la suite.
Les Israéliens, politiques, analystes et
journalistes n’ont pas toujours fait
mieux. La surprise stratégique de la
guerre du Kippour en est un des
principaux exemples. Il faudrait aussi
rappeler le soutien sans faille accordé
par l’armée et le Shin Beth au
développement de l’Islam radical à Gaza
jusqu’au jour où ces « sympathiques
religieux » ont créé le Hamas dont
l’objectif est la destruction de l’État
juif. J’ai décrit cet épisode dans mon
livre « Le grand aveuglement » .
Que faire des
Palestiniens ?
Aujourd’hui, on est bien obligé de
constater que ce syndrome est
omniprésent chez les dirigeants et les
médias occidentaux, bloqués sur la
vision de l’inéluctabilité d’une paix
israélo-palestinienne. Or, la
probabilité d’un accord est extrêmement
faible comme le prouve l’échec de
l’initiative du secrétaire d’état John
Kerry. Un accord était tout simplement
impossible. D’abord pour des raisons
politiques israéliennes.Le Likoud, le
principal parti de droite, a toujours
été opposé à la création d’un état
palestinien indépendant aux côtés
d’Israël. Le développement de la
colonisation en Cisjordanie a été un de
ses principaux objectifs depuis son
arrivée au pouvoir avec l’élection de
Menahem Begin en 1977 et après la
conclusion du traité de paix avec
l’Egypte en 1979. Grâce à son alliance
historique avec le Sionisme religieux,
près de 400 000 Juifs y habitent,
transformant radicalement les données du
conflit au Proche Orient. La direction
de l’OLP l’a compris et admet en privé
qu’elle a échoué et ne parviendra pas à
créer un état indépendant.
A terme, Israël, devra donc dévoiler ce
qu’il compte faire des Palestiniens. Les
maintenir dans l’autonomie sous sa forme
actuelle ? Des personnalités comme Ehoud
Barak estiment que cela serait une forme
d’apartheid. Les annexer en leur
accordant tous les droits politiques – y
compris la possibilité de voter pour la
Knesset ? Ouri Ariel, ministre de
l’habitat et colon militant le propose.
Mais, à l’étranger, les images de
l’occupation israélienne dérangent et
les grands médias ne les diffusent plus
depuis longtemps.
Crise économique oblige, les grandes
chaines généralistes occidentales,
occupées par la grande bataille de
l’audience, ne couvrent plus
l’international au quotidien. Et puis,
en Europe ces images suscitent des
réactions souvent anti-juives au sein de
certaines populations et réveillent
diverses formes d’antisémitisme. Un
phénomène renforcé par l’attitude des
institutions communautaires juives,
identifiées à la politique israélienne,
qu’elles soutiennent sans faille.
Ne pas diffuser ?
Cette montée de l’antisémitisme
consolide l’inertie conceptuelle des
médias. Un rédacteur en chef d’une
grande agence de presse m’a dit,
récemment : « Il faut faire
attention. La montée de l’antisémitisme
est sans précédent et il ne faut pas
diffuser d’articles ou de sujets trop
négatifs sur Israël ». Résultat : le
dossier palestinien a quasiment disparu
de la place publique occidentale. Cela
fait bien entendu l’affaire de la droite
israélienne, mais avec un inconvénient
majeur : son discours est , lui aussi,
devenu inaudible. A preuve : la rapidité
avec laquelle les États Unis, l’Union
Européenne, la Chine, l’Inde et la
Russie ont reconnu le nouveau
gouvernement palestinien soutenu par le
Hamas. Le message de Netanyahu,
rappelant que l’organisation islamiste
prône la destruction d’Israël, n’est pas
passé.
Inexorablement, ce conflit finira par
atteindre son paroxysme et embraser non
seulement la région mais aussi des
populations musulmanes dans le monde
arabe et en Europe. Les dirigeants
occidentaux, analystes et éditorialistes
devront alors révéler les raisons pour
lesquelles ils ont laissé ce conflit
glisser vers le point de non retour.
Publié le 11 juin 2014
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