Les enjeux
de la vie internationale
Reconnaissance. Elections et religion.
Q*R
Charles Enderlin
© Charles
Enderlin
Mercredi 3 décembre 2014
Quelles
peuvent–être les conséquences du vote du
parlement en faveur de la reconnaissance
de l’état palestinien ?
Sur le terrain, cela ne changera pas
grand chose, si ce n’est
psychologiquement en apportant une forme
de soutien au peuple palestinien. Au
plan politique, c’est une preuve
supplémentaire de l’érosion - de plus en
plus importante - du soutien à Israël en
Europe. On a eu un vote similaire par le
parlement britannique le 13 octobre
dernier, sans grandes conséquences. La
Suède, elle, est allée plus loin, quinze
jour plus tard, devenant le premier pays
de l’Union européenne à accorder à la
Palestine une reconnaissance
diplomatique en bonne et due forme.
Exprimant son mécontentement, Israël a
rappelé son ambassadeur. Il faut
rappeler que, depuis le 29 novembre
2012, la Palestine est un état « non
membre » associé aux Nations Unis.
L’Assemblée générale lui avait accordé
ce statut par 138 voix pour, 9 contre et
41 abstentions. Cela donne la
possibilité à Mahmoud Abbas, le
Président palestinien de décider
d'adhérer à une quinzaine de traités
internationaux, notamment au Statut de
Rome, créant la Cour pénale
internationale. Il pourrait y déposer
une plainte pour « crimes de guerre »
contre Israël.
En fait, alors qu’il va avoir 80 ans,
Mahmoud Abbas, songe à son départ de la
scène politique. Il sait que la
probabilité d’aboutir à un accord avec
Israël est des plus faibles et semble
laisser à son peuple un héritage
politique comportant des résolutions
onusiennes et la reconnaissance de la
Palestine par le plus de pays possibles.
L’éventualité
d’élections anticipées en Israël
change-t-elle la donne ?
Oui, pour l’heure, la rupture est totale
entre les divers partenaires de la
coalition gouvernementale et on va
certainement vers une dissolution de la
Knesset, le Parlement. Ce sera une
élection fondamentale. Idéologiquement,
Israël est à la croisée des chemins. Des
projets de loi présentés par la droite
et rejetés par le centre et la gauche
sont à l’origine de cette crise
politique. Surtout le texte,
redéfinissant la nature même d’Israël
comme « l’état nation du peuple juif ».
Seuls les Juifs y auraient des droits
nationaux. Les autres citoyens n’ayant
que des droits individuels. A ce stade
la notion de « complète égalité de
droits sociaux et politiques à tous ses
citoyens, sans distinction de croyance,
de race ou de sexe » stipulée par la
Déclaration d’indépendance de 1948 n’est
pas mentionnée. En d’autres termes, les
Arabes israéliens seraient exclus de
l’identité nationale, exclusivement
juive. Ce projet de loi, s’inscrit tout
à fait dans la vision des
fondamentalistes messianiques, du
sionisme religieux.
Pourquoi le
sionisme religieux prend-il précisément
maintenant une place aussi importante
dans la société israélienne ?
Effectivement, en alliance
idéologiquement et politiquement avec la
droite nationaliste, le sionisme
religieux est un des éléments dominants
au sein de la société israélienne. Ne
comptant que quelques centaines
d’étudiants issus d’une école talmudique
de Jérusalem, en 1967, ce mouvement a
réalisé une grande partie de ses
objectifs. Luttant contre tous les
gouvernements travaillistes (parfois en
les utilisant!), résistant à toutes les
pressions internationales, combattant
toutes les initiatives de paix, le
sionisme religieux a mené le conflit
israélo-palestinien à un point de non
retour en assurant la colonisation
massive de la Cisjordanie où habitent
aujourd’hui près de 380000 israéliens –
religieux et séculiers- dans des
colonies situées sur 60% de ce
territoire entièrement contrôlé par
Israël. Il faut rappeler le rôle des
éléments les plus extrêmes du sionisme
religieux. L’assassinat de 29 fidèles
musulmans dans le caveau des Patriarches
à Hébron, en février 1994, par Baruch
Goldstein, un colon. Selon le Shin Beth,
ce massacre avait légitimé, aux yeux de
la population palestinienne, les
attentats suicides commis en Israël par
Hamas. Cela avait fait basculer
l’opinion publique israélienne et
renforcé l’opposition aux accords
d’Oslo. L’année suivante, en novembre,
Yigal Amir, un autre extrémiste
religieux, a assassiné le Premier
ministre Yitzhak Rabin marquant ainsi le
déclin du processus de paix.
Pourquoi ce
phénomène ne semble-t-il pas avoir de
contre-pouvoir laïc ?
Je vous rappelle que la gauche séculière
est très minoritaire. Selon la
professeure de sociologie Tammar
Hermann, elle ne représente plus que 15
à 17% de la population juive où 80% des
personnes interrogées dans le cadre de
son étude sur « Le portrait de
l’Israélien juif » disent croire en Dieu
et 51% en la venue du Messie.
Cela est-il
uniquement lié à la «myopie» et à la
faiblesse de la gauche séculière, comme
l’explique l’ouvrage « Strong religion »
? Ou y a-t-il d’autres facteurs ? Et
lesquels ?
Il y a certainement cette myopie
séculière. Le professeur Zeev Sternhell,
qui intervient dans mon film « Au nom du
temple » que France 2 doit diffuser, et
que je cite dans mon blog, le confirme.
Cela dit, c’est l’aboutissement d’un
lent processus qui a débuté après la
guerre de Six jours en 1967 et dont les
composantes sont démographiques et
politiques. Aux grands moments clés du
processus de paix, la violence, quelle
qu’en fut l’origine, est venue renforcer
les arguments de ceux qui disaient : «
Nous n’avons pas le choix. La paix avec
les palestiniens est impossible. Le
monde est contre nous ! » Face à ce
genre de crise anxiogène, une partie de
la société se tourne vers la religion.
La victoire des
fondamentalistes est-elle inéluctable?
Vous savez, dans cette région du monde,
rien n’est inéluctable mais tout est
probable. Ce sera, sans aucun doute, un
des thèmes principaux au centre de la
campagne électorale qui vient de
commencer en Israël.
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