Monde
Avec le Brexit, la souveraineté descend
dans l’arène
Bruno Guigue
Dimanche 26 juin 2016
Se faisant oiseaux
de malheur pour la circonstance, des
éditorialistes dont l’indépendance se
mesure à la longueur de la laisse qui
les relie à leurs patrons milliardaires
nous promettaient une « catastrophe pour
la civilisation » en cas de « Brexit ».
Comme si l’Union européenne était autre
chose qu’une construction historiquement
contingente, la perspective du départ
volontaire d’un Etat-membre prenait des
allures d’effondrement terminal, elle
exhalait par avance un angoissant parfum
d’apocalypse ; horreur suprême, le
collapsus final d’un monde généreusement
irrigué par le capital était proche ..
Raisonnant comme si
l’appartenance à l’UE relevait d’une
communauté de destin et non d’un choix
démocratique, ces zélés dispensateurs de
la doxa firent donc chorus pour tenter
de conjurer l’inacceptable refus,
invoquant tour à tour le désastre
économique, la déchéance morale ou le
chaos politique dont le Brexit donnerait
immanquablement le funeste signal.
Unanimes, ils dépensèrent des trésors
d’imagination pour repousser cette
menace qui planait, telle une ombre
malfaisante, sur le monde merveilleux de
l’hypermarché européen.
Peine perdue !
Déjouant les manœuvres d’intimidation,
manifestement prêt à endosser le coût de
cette rupture, le peuple a tranché. Dans
son aveuglante clarté, en effet, le
scrutin britannique a pour principale
vertu d’invalider un déni de
souveraineté imposé de longue date, mais
dont la longévité n’atténue en rien
l’illégitimité. La forfaiture
supranationale consistait, en effet, à
mettre hors jeu la délibération
collective ; elle impliquait le désaveu
permanent de la démocratie ; elle en
destituait quotidiennement les formes
propres à chaque tradition nationale.
On se souvient de
l'effacement pur et simple de la volonté
populaire qui scella le sort du
référendum de 2005 sur le traité
constitutionnel. Sans scrupules, ce viol
explicite de la souveraineté populaire
eut néanmoins la vertu de faire
disparaître le moindre doute sur ce que
la genèse même de l’Europe des banquiers
laissait apparaître : loin d’être un
accident, la confiscation du pouvoir en
est l’essence même.
Diluée dans la
sphère des intérêts mercantiles, la
politique au sens noble du terme subit
dans l’espace européen le même sort que
les produits industriels ; elle est
condamnée à une prompte obsolescence.
Coquille vide, comblée à l’occasion par
une vaine agitation de surface, la
démocratie y est réduite au statut de
simulacre dont la fonction est de berner
le peuple, avec une efficacité dont il y
a malheureusement trop d’exemples.
Mais l’histoire est
une page blanche. Et avec le Brexit, la
vox populi exprimée dans toute sa
radicalité annihile instantanément le
pouvoir de nuisance de cette
supercherie. Les détenteurs légitimes de
la souveraineté en furent dépossédés,
mais les voilà qui reprennent leur bien
! Dans un geste de défi, la volonté
populaire se cabre et se ressaisit, elle
donne congé à l’artefact communautaire,
elle le destitue à son tour de cette
légitimité usurpée par l'oligarchie.
En tranchant le
cordon ombilical de l’appartenance
communautaire, le vote britannique
marque l'accession à une maturité
politique dont le peuple français
devrait s’inspirer. Il est l’acte
symbolique par lequel un peuple rétablit
la plénitude de ses droits et réaffirme
sa puissance souveraine. Il rappelle, à
qui veut l’entendre, qu’une nation libre
n’obéit qu’aux lois qu’elle se donne,
congédiant ainsi toute forme de tutelle,
toute tentative d’intimidation, toute
imputation condescendante de populisme
dont la taxe volontiers la caste
privilégiée.
La véritable
signification du vote du 23 juin, c’est
cette restauration volontaire du cadre
naturel de la délibération démocratique.
Lesté d’une évidence historique et
géographique, ce cadre est par essence
le cadre national. Il est le seul, en
effet, qui corresponde à un usage
éprouvé par le temps, le seul qui
d'expérience permette l’exercice de la
démocratie, le seul dans lequel le
peuple puisse faire les lois auxquelles
il entend se soumettre, quitte à les
changer si bon lui semble.
C’est pourquoi il
est vain de se demander si le vote du 23
juin est de droite ou de gauche, ou quel
type de politique il pourrait induire.
Historique, un tel scrutin se situe en
amont de toute délibération légitime sur
les politiques à venir, il est
précisément ce qui les rend possibles
sans préjuger de leur contenu. Au plus
profond, il manifeste la réappropriation
d’une souveraineté dont le peuple fut
scandaleusement délesté au profit de
mécanismes faussement rationalisés et
d’instances non démocratiques.
Au nom de la
construction européenne, les commis du
capital ont instauré une concurrence
effrénée des appareils productifs et des
systèmes sociaux dont la principale
visée est d’aboutir à un désarmement
unilatéral des Etats souverains. Le
fédéralisme cher aux européistes de
droite comme de gauche ne représente à
cet égard que l’habillage d’un tel
projet, destiné à faire passer pour un
idéal universel la démission de la
puissance publique au profit de la main
invisible du marché. Il faut espérer que
le vote du 23 juin, ce retour
intempestif de la souveraineté dans
l’arène politique, ne soit que la
première de leurs douches froides.
Bruno Guigue (26
juin 2016)
Le sommaire de Bruno Guigue
Le dossier
Monde
Les dernières mises à jour
|