France
Le Rocard dont on se souviendra
Bruno Guigue
Dimanche 3 juillet 2016
Michel Rocard est mort et les hommages
affluent de tous les horizons, louant à
juste titre son intelligence et son
intégrité. Mais le profond respect dû à
un homme confronté à l'épreuve ultime ne
nous interdit pas l'analyse de sa
trajectoire politique. Et lorsqu'un
acteur quitte la scène, il n'y a aucune
indécence à juger son répertoire.
Depuis son
ralliement au parti mitterrandien
(1974), l'inventeur de la "deuxième
gauche" fut l'artisan inlassable de la
conversion du PS au social-libéralisme.
Avec une remarquable constance, il est
de tous les combats pour aligner la
gauche française sur les standards
libéraux. En 1983, il plaide contre
Chevènement pour le funeste tournant de
la rigueur, matrice originelle des
politiques d'austérité. Premier
ministre, il prépare la signature du
traité de Maastricht (1992), pièce
maîtresse du carcan européen.
L'instauration forcée de l'hypermarché
communautaire n'a jamais manqué
d'avocats, et Michel Rocard fut l'un des
meilleurs.
Difficile, en fait,
de le prendre en défaut d'incohérence.
Européiste convaincu, Rocard était aussi
un fervent atlantiste. Lors de la crise
franco-américaine de 2003, il se rend
auprès de l'ambassadeur US à Paris pour
le rassurer. La frénésie gaulliste de
Jacques Chirac, lui dit-il en substance,
n'est qu'une passade, un feu de paille.
Solidement arrimée au bloc occidental,
la France demeurera toujours un allié
indéfectible des Etats-Unis.
Définitivement jetées aux orties, les
diatribes contre l'impérialisme du jeune
dirigeant du PSU ! Avec l'âge et les
responsabilités, Michel Rocard a pris
soin de se ranger du côté du manche.
C'est pourquoi on
préférera se souvenir de ses péchés de
jeunesse.
Jeune haut fonctionnaire, il rédige en
1959 un rapport explosif qui dénonce les
conditions d'existence déplorables des
Algériens déportés par le pouvoir
colonial. Publié par la presse, ce
rapport fournit au dirigeant communiste
Waldeck-Rochet l'occasion de stigmatiser
la politique française en Algérie.
Tandis que Mitterrand, alors Garde des
Sceaux, expédie à la guillotine les
militants nationalistes, Rocard
contribue à saper la légitimité d'une
guerre perdue d'avance. Avec le PSU, il
combattra courageusement en faveur de
l'indépendance algérienne, bravant les
injures et les calomnies du parti
colonial. Tel est le Rocard dont on se
souviendra.
Bruno Guigue
(03/07/2016)
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