Opinion
Un jeune belge parti faire
le "djihad" en Syrie témoigne
Bahar Kimyongür
Bahar
Kimyongür
Mardi 28 janvier 2014
Michaël Delefortrie alias Younès est
l’un des près de 400 jeunes Belges
partis faire le "djihad" en Syrie.
Démoralisé par l’avancée de l’armée
gouvernementale et les guerres
intestines entre factions djihadistes,
il a déserté le front syrien. De retour
en Belgique, il a livré un témoignage
inédit dans les colonnes du quotidien
flamand Standaard.
Le
député libéral belge Denis Ducarme (MR)
actif sur le dossier des départs des
jeunes musulmans vers la Syrie a réagi à
cette interview dans La
Libre, quotidien belge francophone.
Depuis, une polémique oppose le député à
la ministre de l’intérieur Joëlle
Milquet (CdH). Celle-ci est accusée de
préparer le terrain à l’impunité pour
les terroristes qui reviennent de Syrie.
M. Ducarme s’inquiète de la "dédiabolisation"
en cours et de la responsabilité du
politique au cas où dans le futur, un "Belge
de Syrie" commettrait un acte
terroriste dans le Royaume.
Villa occupée
par les djihadistes belges à Kafr Hamra
Belges en Syrie :
Ni angélisme, ni diabolisation, juste la
réalité
Au-delà de cette joute partisane,
d’autres questions plus urgentes se
posent : le gouvernement belge va-t-il
plaider coupable pour le terrorisme
qu’il a laissé faire par ses propres
concitoyens en Syrie à la fois à travers
le laxisme sidérant de ses services de
police et ses alliances politiques et
sécuritaires avec Ankara, fournisseur de
djihadistes sur le front syrien ? Et
surtout, la Belgique a-t-elle les outils
pédagogiques susceptibles de protéger
ses jeunes de la tentation djihadiste et
la volonté d’empêcher d’autres départs ?
Dans
son témoignage, l’ex-djihadiste Michaël
Delefortrie commence par donner une
indication géographique sur une banlieue
cossue du gouvernorat d’Alep : "Kafr
Hamra, l’endroit où sont arrivés de
nombreux Belges est plein de grandes
villas résidentielles. Les combattants y
vivent par groupe de vingt, dans les
maisons abandonnées par des riches, avec
piscine et quatre ou cinq chambres."
Il
révèle ainsi que lui et ses compagnons
occupent des maisons qui ne leur
appartiennent pas. Les propriétaires de
ces villas seront sans doute peu ravis
d’apprendre que leurs biens ont été
expropriés par des inconnus.
Faut-il rappeler que les Aleppins
souffrent autant des combats
destructeurs que des pillages commis par
les groupes rebelles ? D’ailleurs, dès
l’invasion de la ville par les brigades
djihadistes à l’été 2012, les Aleppins
se sont plaints des razzias. Leurs biens
ont été vendus en Turquie. A cause de la
guerre et du chaos, des centaines de
milliers d’Aleppins sont partis vivre
auprès de leurs frères alaouites sur la
côte syrienne, dans la capitale Damas ou
encore à l’étranger.
Dans
une autre interview réalisée le 25
janvier dernier par la chaîne télévisée
flamande VRT, le même Michaël
Delefortrie s’est référé à une campagne
publicitaire qui l’aurait convaincu
d’aller en Syrie : "L’histoire
qu’on vous raconte, c’est qu’il y a une
maison, que vous recevez à manger et que
tout est gratuit. Je me suis dit : OK,
un nouveau départ."
On en
vient presque à se demander si Al Qaïda
n’est pas en réalité une agence de
voyage halal.
Difficile de croire qu’un jeune Belge
manquant de peu ou de rien sur le plan
matériel dans son propre pays soit parti
vivre aux crochets de la société
syrienne saignée à blanc par trois
années de guerre atroce, un pays où les
Syriens meurent de faim, de froid, de
maladie et de blessures de guerre.
Admettons.
Mais
quoi qu’il dise, nous ne sommes pas
prêts d’oublier les scènes de lynchages
et de décapitation d’un soldat "chiite"
et "mécréant" par
nos vacanciers en Syrie.
http://www.youtube.com/watch ?v=DAn7kQV-fpc
Notons au passage que l’identité "chiite"
du supplicié semble relever du fantasme.
Vu les centaines de milliers de sunnites
qui peuplent l’armée syrienne, la
victime loyaliste de nos concitoyens a
de fortes chances d’avoir été comme eux,
de confession sunnite.
Pour
nos apprentis bouchers qui se défoulent
au couteau pendant de longues minutes
sur la gorge d’un homme captif, à terre
et inconscient, la réalité du pays dans
lequel ils ont été mettre les pieds est
sans doute trop complexe à comprendre.
Michaël Delefortrie reconnaît cependant
que le rituel sataniste de la
décapitation,"c’était
barbare". Mais il se défend de toute
implication, rejetant la responsabilité
sur ses camarades tués :
“je leur ai dit. Mais la plupart sont
morts”.
En
esquivant ainsi le sujet, nous risquons
de ne jamais connaître l’ampleur des
crimes commis par nos jeunes concitoyens
contre le peuple syrien.
Les
rares informations qui filtrent sur
leurs faits d’armes font état de Belges
tués dans des règlements de compte entre
Belges d’une part et entre factions
djihadistes d’autre part.
Naturellement, les milieux pro-rébellion
viendront mettre ces morts sur le compte
de l’armée arabe syrienne qui pourtant
défend son pays contre nos propres
envahisseurs.
Ceci
étant, notre vétéran du jihad n’a sans
doute pas tort quand il affirme : "Les
combattants se lèvent tôt pour la
prière, avant un cours sur l’Islam.
Ensuite, le groupe est réparti : par
exemple, une dizaine d’hommes sont
envoyés sur une mission, ils doivent
faire des contrôles routiers ou attaquer
un ennemi. Le reste demeure à la maison
et tue le temps en regardant la TV, en
faisant la cuisine, en entretenant les
armes ou en bricolant les voitures. Et
le soir, il y a de nouveau une prière."
Il
est fort probable que nos concitoyens
ont tué le temps plus qu’ils n’ont tué
de gens.
Le “repenti”
évoque là un projet de vie qui rappelle
celui des colons juifs quittant l’Europe
ou l’Amérique pour s’installer en
Palestine.
Ce
projet, c’est la hijra, l’émigration, un
mot chargé de sens qui se réfère à
l’hégire du prophète de l’Islam,
équivalent à l’alya de leurs alter egos
juifs.
L’idéal guerrier des religieux
extrémistes va souvent de pair avec un
projet de vie sur une terre lointaine de
préférence purifiée de ses habitants.
C’est
notamment le cas des "djihadettes"
britanniques que l’on aperçoit dans ce
reportage :
http://www.youtube.com/watch ?v=6C8ysb2J4-g
Elles
disent vouloir rester vivre en Syrie
même après la victoire contre Assad.
Seulement voilà, à l’instar des
djihadistes belges, elles vivent dans
des maisons qui ne leur appartiennent
pas. De plus, elles imposent un modèle
de société totalement étranger aux
idéaux des militants syriens de la
révolte de mars 2011.
Comme
le dit un autre djihadiste belge dans un
message urbi et orbi, le but de leur
mission ne se limite pas à renverser le
régime de Bachar el Assad mais aussi à
combattre les Syriens mécréants par les
armes :
http://www.liveleak.com/view ?i=f33_1382530772
Une
fois la Syrie “purifiée
de ses infidèles” comme le disent
ses amis, Michaël comptait s’y installer
en famille.
Il
l’explique dans une autre interview
accordée au journal
Standaard
(http://www.standaard.be/cnt/dmf20140124_002)
et que La Libre n’a
pas traduit en français : "J’en
avais marre de la vie en Belgique. J’ai
voulu recommencer une nouvelle vie en
Syrie. Non pas comme combattant mais
juste pour y habiter. D’abord tout seul
et au cas où la sécurité serait
rétablie, j’aurais convaincu ma femme de
venir."
Nous
avons donc affaire à une véritable
politique d’invasion, d’occupation d’un
pays et de spoliation de biens de ses
habitants par des terroristes venus
d’ailleurs.
Grâce
à la résistance de l’armée syrienne et â
la volte-face soudaine et sans doute
provisoire de certains groupes
djihadistes syriens, le projet de
Michaël n’a pas pu aboutir. Le moral des
combattants belges serait même
"dans les chaussettes"
reconnaît-il.
Finalement, le seul passage intéressant
de ses interventions médiatiques est sa
conclusion : "Mais je
n’irai plus dans ce guêpier. Et je
conseille aux jeunes qui veulent se
rendre de bien réfléchir avant."
Le
débat n’est pas clos pour autant.
Depuis 40 ans, l’Arabie saoudite
contrôle en toute quiétude des pans
entiers de l’islam de Belgique par le
biais de la Ligue islamique mondiale.
L’interprétation sectaire de l’islam
prêchée par ce lobby a constitué le
terreau favorable à l’émergence de
groupes proches d’Al Qaïda.
Pourquoi a-t-on laissé faire ?
Il y
a trois ans, nos gouvernements aiguillés
par la France de BHL ont piloté une
opération de déstabilisation de la Syrie
sans en mesurer les conséquences. Par
conviction idéologique mais aussi par
ignorance, nos médias ont participé à la
mobilisation politico-médiatique contre
la Syrie ce qui a, à la fois semé la
confusion dans la tête de nos jeunes et
contribué à leur radicalisation.
Pourquoi a-t-on choisi le camp des
groupes armés et donné une lecture
confessionnelle au conflit ? Pourquoi
a-t-on accrédité les thèses d’Al Qaïda ?
Au
début, on nous a dit que les volontaires
belges partaient en Syrie sauver la
veuve et l’orphelin alors que, tout au
contraire, ils ont contribué à en
augmenter le nombre.
Pourquoi a-t-on sous-estimé la menace
qu’ils constituaient pour les Syriens ?
De jeunes concitoyens se rendent sur un
terrain de guerre en empruntant les
routes et les moyens de transports les
plus surveillés de la planète sans le
moindre obstacle. Pourquoi de telles
négligences sécuritaires de la part de
nos gouvernements ?
Le
rapt de nos jeunes par des réseaux
terroristes doit nous amener à nous
poser une autre question plus
philosophique : dans un système comme le
nôtre où l’argent est dieu, où les rêves
altruistes sont ringards, voire tabous,
où l’on fait de la politique ou de
l’humanitaire non plus par idéal mais
pour faire carrière et s’enrichir, où la
révolte même verbale contre l’injustice
est systématiquement criminalisée,
comment peut-on espérer réprimer parmi
nos jeunes la tentation de devenir les
héros d’une cause monstrueuse ?
Bahar Kimyongür
28 janvier 2014
Le sommaire de Bahar Kimyongür
Les dernières mises à jour
|