Opinion
Climat ou TAFTA, il faut choisir !
Attac
Jeudi 4 décembre 2014
Les politiques de libéralisation du
commerce et d’extension des droits des
investisseurs renforcent la division
internationale des systèmes productifs,
font prédominer le droit des
investisseurs sur le droit de
l’environnement et la démocratie, et
ignorent les exigences climatiques. En
orientant le développement économique
vers l’exportation et la recherche de
compétitivité externe à tout prix, elles
rendent les économies et nos sociétés
ultra-dépendantes des importations et
exportations d’énergies fossiles, et
dotent les acteurs économiques des
instruments pour empêcher la mise en
oeuvre de véritables politiques de
transition énergétique. Les négociations
entre l’Union européenne et les
États-Unis (TAFTA) et entre l’UE et le
Canada (CETA) promeuvent un modèle
énergétique insoutenable, très fortement
dépendant des infrastructures
d’extraction, de transformation et
d’acheminement des énergies fossiles,
qui anéantit toute ambition de maîtriser
le changement climatique.
Satisfaisant les intérêts des
multinationales de l’énergie et de
l’industrie, l’extension du
libre-échange et de la protection de
l’investissement privé s’oppose aux
exigences de sobriété, de relocalisation
des systèmes productifs, de
développement des énergies renouvelables
et de coopération entre les citoyens,
les consommateurs et les communautés
pour partager et distribuer les
ressources existantes. Conclure des
accords de l’ampleur de TAFTA et de CETA
réduira presque à néant l’espoir de voir
naître « des sociétés plus agréables
à vivre, plus conviviales, plus
solidaires, plus justes et plus humaines » [1].
Ainsi combattre TAFTA et CETA, c’est
lutter contre le réchauffement
climatique car c’est préserver la
possibilité de mettre en œuvre de
véritables pratiques et politiques de
transition écologique et sociale.
TAFTA et CETA libéralisent le marché
transatlantique de l’énergie
Au prétexte de garantir sa « sécurité
énergétique » et son approvisionnement
en énergies fossiles, l’Union européenne
cherche à libéraliser le commerce et les
investissements transatlantiques en
matière d’énergie et de matières
premières. Le mandat de négociations [2]
confié à la Commission européenne par
les États-membres – qui ne mentionne pas
les défis climatiques – est très clair :
la Commission doit « assurer un
environnement commercial ouvert,
transparent et prévisible en matière
énergétique et à garantir un accès sans
restriction et durable aux matières
premières ». Et l’ex-Commissaire
européen au commerce, Karel de Gucht,
l’avait explicitement confirmé : il
souhaitait « permettre aux
entreprises européennes d’importer des
ressources énergétiques et matières
premières des États-Unis ». Les
documents fuités dans la presse
américaine en mai et juillet derniers [3]
le prouvent incontestablement : l’UE
souhaite la fin des restrictions
américaines à l’exportation de gaz
naturel et de pétrole brut. Une série de
dispositions prévoit même de faciliter
les investissements et l’octroi de
licences de prospection, d’exploration
et de production d’hydrocarbures aux
entreprises étrangères des deux côtés de
l’Atlantique.
TAFTA et CETA encouragent l’exploitation
d’hydrocarbures de schiste et de sables
bitumineux
La France et l’Allemagne ont
explicitement appuyé cette approche,
arguant, crise diplomatique avec Moscou
oblige, de l’urgence de substituer de
nouvelles sources d’importation au gaz
russe, mais jurant que la compensation
serait à somme nulle. Si les attentes de
l’UE étaient acceptées, l’industrie
pétrolière et gazière nord-américaine
serait encouragée à étendre la frontière
d’extraction du pétrole issu des sables
bitumineux dans le nord-est canadien et
l’usage de la fracturation hydraulique
pour accroître la production
d’hydrocarbures de schiste. Soit deux
des sources d’hydrocarbures les plus
polluantes et dévastatrices pour
l’environnement et les populations
avoisinantes que l’on connaisse sur la
planète. Pour être acheminés de l’autre
côté de l’Atlantique, ce gaz et ce
pétrole nécessiteraient des
investissements colossaux – plusieurs
centaines de milliards de dollars – dans
la construction de nouveaux pipelines,
raffineries et usines de liquéfaction et
regazéification des deux côtés de
l’Atlantique.
Pourtant, le gaz de schiste n’est pas
une énergie de transition
Souvent, les responsables politiques
européens et américains se retranchent
derrière l’argument selon lequel le gaz
de schiste serait moins émetteur de gaz
à effets de serre que le pétrole ou le
charbon lors de sa combustion. Il serait
donc possible d’en faire « une énergie
de transition » le temps d’abandonner le
charbon. Cet argument est pourtant
irrecevable pour trois raisons. Des
études [4]
montrent que le cycle complet de
production du gaz de schiste – de
l’extraction à la combustion – serait
potentiellement plus émetteur de gaz à
effet de serre que le charbon, surtout
s’il est destiné à l’exportation, qui
exige liquéfaction (pour le transport)
puis regazéification. Aux regards des
exigences climatiques rappelées avec
force par le GIEC, et alors que l’UE
s’affirme à la pointe de la lutte contre
le changement climatique, est-il encore
acceptable qu’elle accepte de substituer
une énergie fossile à une autre ?
L’urgence est au contraire à réduire en
valeur absolue la consommation
d’énergies fossiles, quelles qu’elles
soient. Enfin, les lourds
investissements consacrés à la
production d’hydrocarbures de schiste,
pour des projets que les populations
refusent, ne le seront pas pour des
politiques de transition énergétique.
TAFTA et CETA sabotent déjà la lutte
contre les dérèglements climatiques !
Avec CETA et TAFTA, les normes visant à
encadrer et/ou réduire l’importation et
la consommation d’énergies fossiles ne
sont pas les bienvenues et sont perçues
comme des fardeaux réglementaires à
supprimer. Fin septembre, la Commission
européenne et le Canada ont annoncé
avoir finalisé leurs négociations
commerciales. Quelques jours plus tard,
l’Union européenne renonçait [5]
à restreindre l’importation du pétrole
issu des sables bitumineux. Rien d’un
hasard de calendrier bien au contraire :
pour obtenir ce résultat, Stephen
Harper, le Premier Ministre canadien,
allié aux multinationales du pétrole, a
multiplié, des mois durant, les
pressions diplomatiques [6]
auprès des responsables politiques
européens afin que la Directive
européenne sur la qualité des carburants
ne pénalise pas spécifiquement les
entreprises qui produisent,
commercialisent et/ou utilisent du
pétrole canadien. Depuis, le
gouvernement français a jugé que cet
accord était un « bon accord » et, le
2 novembre dernier, le jour où le GIEC
présentait la synthèse de ses travaux,
François Hollande s’est rendu en Alberta
pour encourager les investissements
français dans les sables bitumineux...
L’UE et la France encouragent de cette
façon le Canada dans sa logique
déplorable : Ottawa a déjà annoncé sa
sortie du Protocole de Kyoto et a
renoncé à atteindre ses objectifs de
réduction d’émissions. Quant aux
États-Unis, leur annonce récente non
contraignante (réduction de 26 à 28 % de
leurs émissions d’ici 2025 par rapport
au niveau de 2005) est bien moins
spectaculaire une fois ramenée au niveau
de 1990 et à un chiffre annuel : -0,43%.
On perçoit mieux la modestie de cet
objectif lorsque l’on apprécie le boom
de l’exploitation et du commerce des
hydrocarbures de schiste dans le pays et
vers l’Europe.
TAFTA va accroître les émissions de gaz
à effets de serre
L’étude d’impact commanditée par la
Commission européenne reconnaît qu’une
libéralisation accrue des échanges
transatlantiques générerait une hausse
des émissions de gaz à effets de serre
de quatre à onze milles tonnes de CO2
par an. Cette hausse, même relativement
limitée, n’est-elle pas contraire aux
exigences climatiques qui imposent de
mettre en œuvre des politiques réduisant
drastiquement les émissions de GES ?
Plutôt qu’investir dans des programmes
de sobriété et d’efficacité énergétique
en mesure d’engager l’économie
européenne dans une ère post-fossile,
TAFTA contribuerait à maintenir et
accroître une très forte dépendance aux
énergies fossiles en Europe, qui est
déjà de 60 % pour le gaz et de 85 % pour
le pétrole. Plus généralement, les
accords commerciaux contribuent à
accroître les échanges internationaux au
détriment de politiques de
relocalisation des circuits de
production et de consommation. L’UE
souhaite en l’occurrence que TAFTA et
CETA s’inscrivent dans un projet
économique global, dans lequel la
multiplication des accords de commerce
de nouvelle génération la hissera au
premier rang mondial des exportateurs.
Ainsi, alors que la contribution du
commerce de marchandises aux
dérèglements climatiques est évaluée à
10% des émissions mondiales, en
constante augmentation, elle pratique la
fuite en avant.
Le droit des investisseurs contre le
climat
En faisant primer le droit commercial
sur les exigences écologiques et en
étendant toujours plus les droits des
investisseurs face aux collectivités
publiques, les politiques de
libéralisation du commerce et des
investissements affaiblissent
considérablement la perspective de voir
déboucher des politiques qui
contraindront les activités des
multinationales extractives et qui
organiseront une véritable transition
écologique. Le très controversé
mécanisme de règlement des différends
investisseur – État fragilisera toute
une série de réglementations écologiques
dont l’Union européenne, ses pays
membres ou collectivités locales déjà
existantes, et aura un effet de
dissuasion à l’égard de ces derniers
lorsqu’ils envisageront des législations
futures. C’est ce type de disposition,
inclus dans CETA et prévu dans TAFTA,
qui permet à l’entreprise Lone Pine
Resources de poursuivre le Canada pour
le moratoire de la province de Québec
sur la fracturation hydraulique [7].
C’est également via ce dispositif, déjà
compris dans un certain nombre d’accords
bilatéraux d’investissement, que
l’entreprise canadienne Gabriel
Resources menace d’attaquer la Roumanie
parce qu’elle a déclaré envisager
d’écouter les habitants de la communauté
de Rosia Montana et de limiter
l’exploitation de la mine d’or locale.
Dans ces dispositifs, nul État ni
collectivité publique ne peut en
revanche poursuivre une entreprise qui
n’accepterait pas de se soumettre aux
réglementation environnementales
publiques existantes ; celles-ci ont le
monopole de la force de contrainte et de
sanction que procure le régime
international de l’investissement
codifié dans CETA et dans TAFTA. Engager
des politiques et des lois efficaces
pour enrayer durablement les
dérèglements climatiques appelle donc,
au minimum, d’admettre une certaine
hiérarchie des urgences et des
légitimités, et de soumettre les droits
du commerce et des investisseurs au
droit international des hommes et de
l’environnement.
Le droit commercial contre la transition
énergétique
Organiser la transition énergétique
exige de promouvoir des énergies
renouvelables à l’échelle des
territoires, dans une logique de
coopération et de partage des
connaissances et des savoir-faire, qui
suppose des modes de soutien et de
gestion associant les collectivités
locales, les consommateurs et les PME ou
coopératives de production. Or ces
accords de libre-échange réduiront très
sensiblement la capacité des États et
des collectivités locales à accompagner
ces mutations. Selon le texte final de
l’accord UE-Canada, qui préfigure
largement le contenu du TAFTA, les
collectivités publiques - États,
régions, municipalités, UE en tant que
telle... - ne pourront ni adopter ni
maintenir des mesures imposant un
minimum de contenu, de production ou de
consommation locale à une entreprise
investissant sur leur territoire, ni
exiger que celle-ci s’associe à des
entrepreneurs locaux ou nationaux, ni
obliger la dite entreprise à transmettre
son savoir-faire localement, notamment
via l’ouverture des droits de propriété
intellectuelle qu’elle détient sur une
technologie ou un mode opératoire. Il
sera également impossible d’introduire
des formes de subventions
préférentielles à des acteurs
économiques locaux au détriment
d’entreprises dont les activités
seraient exclusivement exportatrices. En
effet de tels instruments politiques
sont considérés par le droit du commerce
et de l’investissement comme des
distorsions à la libre-concurrence ou
comme des restrictions à la liberté des
investisseurs étrangers. Des précédents
attestent du risque effectif pour la
puissance publique puisque des mesures
de ce type ont déjà été contestées et
invalidées. Le programme de
développement des énergies renouvelables
en Ontario (Canada) a du être abandonné
sous la pression du Japon et de l’Union
européenne. Les États-Unis ont également
attaqué l’Inde devant l’Organe de
règlement des différends de l’OMC en
raison de son programme d’appui à la
filière solaire nationale, qui obligeait
les opérateurs étrangers à acheter les
panneaux solaires à des entreprises
locales. Ce sont pourtant des
flexibilités indispensables pour qu’une
collectivité locale ou qu’un État
puissent soutenir le déploiement des
renouvelables sur tous les territoires.
Ces critères de localité et de qualité
sont également de puissants outils pour
relocaliser des emplois et des activités
à travers la promotion de produits et de
compétences locales, et l’utilisation
des meilleures technologies disponibles.
Le commerce international fait
disparaître des émissions de CO2 !
A travers le commerce international, ce
sont les émissions incorporées aux biens
et services échangés qui circulent d’un
pays à l’autre. Ces émissions, fruit de
la production de ces biens et services
et des consommations intermédiaires
qu’ils nécessitent, représenteraient,
selon plusieurs études [8],
près de 28 % des émissions mondiales de
CO2 alors qu’en 1990, ce chiffre n’était
que de 18%. En longue période, le
commerce international ayant augmenté
plus vite que le PIB, les émissions qui
sont incorporées aux biens échangés
augmentent plus vite que les émissions
globales : + 4,3 % par an en moyenne sur
2000 – 2008 contre + 3,4 % pour les
émissions globales [9].
Tout comme certains pays exportent plus
de biens qu’ils n’en importent,
disposant ainsi d’une balance
commerciale positive, certains pays, au
niveau des émissions, sont exportateurs
nets d’émission quand d’autres en sont
importateurs nets. Les pays les plus
riches sont essentiellement des pays
importateurs nets d’émission. La Chine
est exportatrice nette d’émissions, à
hauteur de 27 % de ses émissions
totales. La comptabilisation de ces
émissions importées ne serait pas
importante si elle ne changeait pas
totalement la façon dont évolue les
émissions d’un grand nombre de pays.
Ainsi, en France, les émissions ont
officiellement diminué de 7 % entre 2000
et 2010 (- 6% pour l’UE). Mais si l’on
tient compte des émissions incorporées
dans les importations et exportations,
on calcule que les émissions de CO2 ont
augmenté de 15 % sur la période (+ 9 %
pour l’UE). Ainsi, à travers le commerce
international, c’est l’empreinte carbone
de toute une série de pays qui tend à se
réduire et à devenir invisibles pour
s’agréger à celle d’autres populations,
généralement plus pauvres et bien moins
émettrices de gaz à effets de serre. Est
ainsi dissimulée dans le commerce
international une part importante des
émissions liées aux choix de
consommation des populations des pays
riches.
Conclusion
TAFTA et CETA, et plus généralement les
politiques de libéralisation des
échanges et de l’investissement,
représentent des incitations -
institutionnelles, juridiques et
économiques - nouvelles à l’expansion du
commerce transatlantique des énergies
fossiles. La dépendance des économies
européennes aux énergies fossiles n’en
sera que renforcée et l’exploitation des
hydrocarbures non conventionnels, des
deux côtés de l’Atlantique, encouragée.
Cette perspective est-elle bien
compatible avec les objectifs de
réduction de 30 % de la consommation de
ressources fossiles d’ici 2030 et de
division par quatre des émissions de GES
d’ici 2050 comme prévu par le premier
article du projet de loi sur la
transition énergétique voté à l’automne
2014 ? Si François Hollande est
réellement convaincu que le sort de
l’humanité se joue avec le réchauffement
climatique, comme il l’a récemment
affirmé à plusieurs reprises, alors
pourquoi ne pas conditionner tout nouvel
accord de libéralisation des échanges et
d’investissement au respect des
responsabilités climatiques des pays les
plus émetteurs et les plus pollueurs ?
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