Réseau Voltaire
Israël : l'inévitable chute du
régime d'apartheid
André Chamy
Jeudi 24 juillet 2014
Alors qu’Israël lance une nouvelle
offensive contre Gaza, André Chamy pose
la question non pas de la survie de
l’État hébreu, mais de celle du régime
d’apartheid qui s’y exerce. Il dénonce
non seulement le caractère irréalisable
de la « solution à deux États »,
mais son dessein caché de justifier la
perpétuation du ségrégationnisme. Enfin,
il s’indigne des raisons qui ont conduit
les États-Unis à créer un régime
d’apartheid et à le placer au-dessus du
droit international.
Ceci n’est ni un vœu
pieux, ni une incantation, mais bien la
conclusion d’une analyse qui, en
revenant sur l’origine de cet État,
devenu symbole de terreur et système de
crimes organisés usant de tous les
moyens pour prétendument assurer sa
sécurité, met en évidence la fuite en
avant d’un régime qui dure depuis plus
d’un demi siècle.
Pour poursuivre leur
mission divine, les États-Unis ont
besoin d’un Israël
En 1912, envahissant le Mexique, le
président états-unien William H. Taft
déclarait : « Je dois protéger notre
peuple et ses propriétés au Mexique
jusqu’à ce que le gouvernement mexicain
comprenne qu’il y a un Dieu en Israël et
que c’est un devoir de lui obéir ».
À cette époque l’État d’Israël
n’existait pas encore, le président
états-unien voulait rappeler le
caractère providentiel du rôle de son
pays, mais cette phrase annonçait déjà
la nécessité d’un lieu saint ayant une
portée symbolique pour les activités de
son pays à travers le monde.
Le successeur de Georges Washington à
la présidence des États-Unis, John
Adams, déclara « L’Amérique a été
créée par la Providence, pour être le
théâtre où l’homme doit atteindre sa
propre stature » [1].
Les premiers théoriciens de la
confédération ne cessent, comme le
révérend Dana, de souligner cette
filiation divine du nouvel État : « La
seule forme de gouvernement,
expressément instituée par la
Providence, fut celle des Hébreux.
C’était une république confédérale avec
Jehovah à sa tête » [2].
Le troisième président des
États-Unis, Thomas Jefferson,
proclamera, lui aussi, que son peuple
est « Le peuple élu de Dieu » [3].
Tout comme le président Richard Nixon,
deux siècles après, dira : « Dieu est
avec l’Amérique. Dieu veut que
l’Amérique dirige le monde ». Enfin,
ce sont les présidents Reagan et Georges
W. Bush qui vont diviser le monde en
deux parties : le « Bien »
représenté par les États-Unis et leurs
alliés, le « Mal » représenté par
tous ceux qui s’opposeraient in fine
aux projets de Washington.
Tous ces termes représentent une
sorte de prêche pour légitimer
l’ambition des États-Unis de dominer le
monde, ce dans la mesure où son peuple
est élu. Personne d’autre ne mériterait
ce rôle, et de confier des missions à un
autre peuple élu, celui d’Israël…
La stratégie états-unienne vise
depuis 60 ans à renforcer l’État hébreu,
en le soutenant économiquement,
politiquement et militairement. Le
nombre de véto utilisés par les
États-Unis pour s’opposer à des
résolutions contre Israël est
impressionnant. En même temps, les
États-Unis n’ont jamais rien fait pour
qu’Israël applique les résolutions des
Nations unies, concernant les
territoires occupés et le retour des
réfugiés, notamment la résolution 194 de
l’Assemblée générale qui prévoit
expressément le retour des réfugiés
palestiniens dans leurs territoires [4].
Israël, gendarme
états-unien au Proche-Orient
Les rapports dénonçant les exactions
commises par l’armée israélienne
finissent par être enterrés ou classés
dans l’un des nombreux cartons des
Nations Unies. Le dernier est celui
dénommé Goldstone du nom du président
Sud-Africain de cette commission
onusienne. Il a fini certainement sur
une étagère poussiéreuse, ruinant en
même temps la réputation de ce juge
particulièrement mise à mal depuis son
fameux rapport imputant à Israël des
crimes de guerre pendant la
recrudescence de la guerre contre Gaza
en 2009.
Cette présence israélienne n’est pas
qu’un territoire réservé aux juifs du
monde entier, comme certains le croient.
En réalité l’État hébreu remplit
également et surtout un rôle stratégique
au Proche-Orient, celui de gendarme
maintenant l’ordre états-unien. La peur
du gendarme doit primer, raison pour
laquelle l’armada US en armes et experts
est à la disposition d’Israël.
Cet État doit représenter par sa
présence la « terreur » [5],
afin d’éviter que les peuples de la
région ne se rebiffent, et ne se mettent
à modifier leur destin, qui deviendrait
une sorte de fatalité. Ils doivent
abandonner toute combativité, estimant
qu’en étant dociles, ils auraient tout à
gagner, et tout à perdre en tentant de
résister à l’ordre mondial que l’on veut
leur imposer.
Cet ordre mondial cherche à atteindre
les objectifs détaillés par
l’administration US, qu’elle soit
républicaine ou démocrate.
C’est ainsi que la « terreur »
générée par la présence d’Israël doit
interdire toute volonté de réparer
l’injustice subie par les peuples de la
région, notamment par le peuple
palestinien. L’idée de résister ne doit
pas traverser les esprits, car le risque
est important et la perte devra être
considérée comme assurée. Personne n’a
envie d’entrer en guerre s’il la sait
perdue d’avance.
L’Égypte a fini par se résigner,
alors que sans elle aucune guerre
n’était possible, selon la formule
d’Henry Kissinger. De ce fait, le risque
d’une guerre sur toutes ses frontières à
la fois est écarté pour Israël. Même
chose pour sa deuxième frontière avec la
Jordanie qui a fini également par signer
les accords de paix avec échanges
diplomatiques, ce qui ne faisait
qu’officialiser des rapports secrets
entretenus entre les dirigeants
israéliens et le petit roi jordanien
depuis des décennies.
Il ne restait donc que la Syrie et le
Liban. Ce dernier était considéré comme
un État insignifiant, faible et facile à
déstabiliser. Personne n’aurait imaginé
que ce petit pays allait se transformer
en bourbier pour l’armée israélienne. Le
Liban devait servir principalement à
étouffer la Syrie, surtout avec plus de
375 km de frontières incontrôlables en
raison de la configuration géométrique
et de l’imbrication des territoires
entre le Liban et la Syrie.
Ces deux pays se retrouvent dans la
ligne de mire des États-Unis à partir de
1975. Déjà à cette époque, il est
proposé aux chrétiens du Liban
d’immigrer vers les États-Unis et le
Canada, et que des facilités leurs
seront accordées. Cette proposition a
été faite directement à Suleiman
Frangieh, président Libanais de
l’époque, par l’émissaire du président
Gerald Ford au Proche-Orient.
L’offre a été évidemment refusée,
mais il n’empêche qu’une politique
d’immigration très active au profit des
chrétiens du Liban a été mise en place
pour faciliter leur départ et leur
installation notamment en Amérique du
Nord et en Australie.
Encore une fois la terreur
israélienne allait frapper à travers la
guerre de 1982. L’attaque israélienne
est allée jusqu’à occuper la capitale
Libanaise, chose inimaginable
jusqu’alors. Les massacres de Sabra et
Chatila allaient susciter une vague
d’indignation jusqu’en Israël, mais
beaucoup moins dans certains pays
arabes, déjà tétanisés par la peur…
L’on se demandait compte tenu de la
violence de cette campagne militaire, ce
qu’Israël cherchait, car le prétexte de
la tentative d’assassinat de
l’ambassadeur d’Israël à Londres Shlomo
Argov par un groupe d’Abou Nidal dont
les liens avec le Mossad ont fini par
être connus du grand public, ne
convainquait personne.
L’on a appris plus tard que Menahem
Begin, Premier ministre israélien de
l’époque, confiait à Ronald Reagan en
août 1982 après le bombardement de
Beyrouth : « J’ai le sentiment
d’avoir envoyé l’armée à Berlin pour
détruire Hitler », non sans avoir
déjà prévenu son propre gouvernement :
« l’alternative, c’est Treblinka ».
À quoi Amos Oz, grand écrivain
israélien, avait répondu par voie de
presse : « Hitler est déjà mort,
Monsieur le Premier ministre ! » et
poursuivi : « Adolf Hitler a détruit
un tiers du peuple juif, j’éprouve au
fond de moi-même une souffrance sourde
de n’avoir pas tué Hitler de mes propres
mains. Je suis sûr que les mêmes
fantasmes vous hantent. Des dizaines de
milliers d’Arabes morts ne guériront pas
cette blessure. Monsieur Begin, Qu’on le
déplore ou non c’est un fait : Hitler ne
se cache pas à Nabatiyeh, ni à Sidon, ni
à Beyrouth. Il est bel et bien mort » [6].
En tout cas, le message venait de
passer, le gendarme invincible l’est
toujours, et peut atteindre n’importe
quelle capitale arabe, et peut même
l’occuper. C’était le message à faire
passer à l’ensemble du monde arabe, et à
toutes ses populations. Cette attaque
violente devait briser toute volonté de
résister, car elle serait vaine devant
ces monstres de métal qui attaquaient
sur terre, en mer et dans les airs…
Ces deux pays allaient payer
successivement le prix de leur
résistance aux projets états-uniens,
puisque le Liban allait subir, au-delà
de sa déstabilisation politique qui dure
depuis des décennies, une guerre qui
devait le mettre à genoux pendant l’été
2006. Le calcul s’est avéré erroné,
puisque le rêve de briser le Hezbollah,
devenu symbole de la Résistance
libanaise s’est transformé en cauchemar.
La Syrie subit depuis plus de trois
ans des attaques incessantes de groupes,
sinon de troupes, venues du monde entier
pour briser ce symbole et refuge des
mouvements de résistance de la région.
Cet État a finalement tenu bon et a
déjoué les projets préparés à son
encontre. Il semble s’acheminer vers la
porte de sortie de sa crise.
Ces projets ne suffisent plus, et il
fallait casser davantage la volonté du
peuple palestinien afin de briser son
rêve de retrouver un État qui soit la
terre de retour de tous les réfugiés
palestiniens éparpillés dans le monde
entier.
Les massacres de ce peuple finissent
par se ressembler : de Deir Yassine en
1948 au quartier de Chougeaieh dans la
bande de Gaza en 2014, rien n’a changé,
si ce n’est que les bandes de la Haganah
ont été remplacées par les régiments de
Tsahal.
Des frontières en
mouvement
Dans la stratégie états-unienne, les
frontières du Proche-Orient issues des
Première et Deuxième Guerres mondiales
ne sont pas reconnues. L’on raisonne par
zone, et non par pays. C’est ainsi que
l’on imagine des Palestiniens
abandonnant tout droit au retour,
s’implantant en Jordanie et ensuite au
Liban, tout en proposant aux chrétiens
de quitter ces pays.
Ce non respect des frontières est à
l’image de l’irrespect que les
États-Unis ont à l’égard des chefs
politiques de cette région. Ce qui
explique qu’à maintes reprises des
propositions ont été faites sur des
échanges de territoires ou de simples
indemnisations. Cette attitude est allée
jusqu’à imposer des immigrations forcées
à certaines populations.
Le dessein que les États-Unis ont de
la région est plus important, selon eux,
que les équilibres démographiques ou
politiques. Admettre que les
Palestiniens ne retournent jamais sur
leurs terres n’est pas un problème,
déplacer les chrétiens d’Orient ne l’est
pas davantage. Le sacrifice des kurdes
et des chiites à l’issue de la Première
guerre du Golfe n’a ému personne au sein
de l’Administration US. À cet instant
Washington n’avait pas décidé de
déstabiliser le régime de Saddam
Hussein.
De la même manière, l’on va utiliser
l’Irak pour attaquer l’Iran en croyant
pouvoir modifier la géographie, et
ensuite en tolérant virtuellement
l’agression par l’Irak du territoire
koweitien, ce qui devait servir de
prétexte pour l’installation définitive
des GI’s dans la région du Golfe.
Sur le même territoire, l’invasion
anglo-saxonne de l’Irak devait créer des
zones représentant des quasi-États, à
caractère ethnique ou religieux, ce qui
avec l’aide « d’inconnus » qui
sèment des bombes et des voitures
piégées, ravivait une guerre
confessionnelle que l’on croyait
disparue dans cette région. Le tout
selon le diktat du « chaos
constructeur » cher à Condoleezza Rice [7].
Les gênes d’une guerre
confessionnelle sont toujours présents,
mais les parties en place ont décidé de
ne pas céder aux provocations en
attendant un éclaircissement de la
situation. L’Iran a fait comprendre aux
chiites, plus nombreux et plus visés par
les attaques, de ne pas répondre et de
ne pas rentrer en guerre avec les
sunnites, ce qui ne ferait que
déstabiliser davantage le pays. Pour le
moment le message passe bien.
L’on profite de cette « incertitude »
sur les frontières pour grignoter les
territoires palestiniens et pour créer
encore une fois des faits accomplis.
Cette situation restera une source
d’instabilité, tant que le problème du
peuple palestinien n’aura pas été réglé
dans le cadre d’une solution équitable
et juste tant pour les Palestiniens que
pour les peuples de la région.
Ainsi, ne pas régler le problème des
réfugiés palestiniens, c’est aboutir à
des déséquilibres démographiques pour
les pays d’accueil tel que le Liban ou
la Jordanie, ce qui aboutira à terme à
exacerber des tensions, et ce sont les
Palestiniens qui en paieront les frais.
Cet état d’esprit est parfaitement
résumé par l’État d’Israël qui
considérait comme « chiffon de papier »
— l’expression est de Ben Gourion — la
première résolution de l’Onu concernant
l’État d’Israël : celle qui institue cet
État et qui en fixe les frontières.
Sur ce point l’évolution des
territoires annexés, ou occupés
civilement et militairement par l’État
hébreu est la démonstration de cet
aspect incertain des frontières que l’on
voudrait imposer. Après les différentes
campagnes de colonisation il ne reste
plus de territoires palestiniens qui ne
soient dominés ou assiégés par des
territoires israéliens, empêchant à tout
moment « ces citoyens du monde »
de vivre sereinement.
Cette population n’a ni État, ni
reconnaissance, si ce n’est celle d’être
considérée comme une sorte de verrue que
l’on tente de cacher. Mais les
évènements de son quotidien nous
explosent à la figure à travers les
images véhiculées par les différents
médias, et jusqu’à parfois exploser dans
nos rues pour nous rappeler que ce
problème n’est toujours pas réglé.
Malgré ce sombre tableau de la
condition des Palestiniens, il n’en
reste pas moins que cette situation
génère depuis des décennies une volonté
de révolte qui entraine intifada après
intifada, et le temps et l’exaspération
aidant, les jets de pierres par des
enfants et adolescents ont laissé place
à une résistance de plus en plus
efficace.
Pendant combien de temps encore
Israël et sa population continueront-ils
de résister tant aux images des horreurs
commises par leur armée, qu’à la montée
en puissance des réactions des
mouvements palestiniens aux différentes
attaques que subissent les territoires
occupés et leur misérable population
privée de tout, y compris du minimum
vital.
Ce problème n’est donc plus une
simple question de territoire.
L’image d’Israël se
détériore
-
Israël pâtit d’une image de plus en
plus dégradée dans l’opinion
internationale, tout en jouissant d’un
soutien indéfectible de l’Union
européenne et des États Unis. Cette
situation préoccupe actuellement des
juifs d’Amérique et d’Europe.
L’inquiétude liée à la perception
d’Israël par l’opinion publique et à son
image dans les médias a donné bien des
insomnies aux juifs états-uniens. Ce
problème apparaît encore et toujours au
centre de toutes leurs conversations,
privées ou publiques, dans tous les
rassemblements juifs, et même à la
synagogue. Le sentiment général est
qu’on peut faire davantage pour
améliorer l’image d’Israël.
Durant l’année écoulée, les juifs
états-uniens ont pratiquement tout
essayé pour tenter d’agir sur l’opinion
publique — depuis le boycott organisé de
certains médias, dont ils percevaient le
traitement de l’information comme biaisé
à l’égard d’Israël, jusqu’à des efforts
concertés en vue d’influencer les
responsables de l’administration Obama
et du Capitole —. Mais des militants
juifs ont toujours le sentiment
frustrant et inquiétant de ne pas avoir
conquis l’opinion publique.
Un nouveau sondage, commandé par
l’American Jewish Committee (AJC)
indique que la crainte de ces militants
est bel et bien justifiée. Bien que la
base de soutien soit toujours solide et
que la situation d’Israël en matière
d’opinion publique soit nettement
meilleure que celle des Palestiniens,
les derniers mois ont vu une certaine
érosion du soutien envers Israël et une
augmentation du nombre de ceux qui
adoptent une attitude de neutralité par
rapport au conflit israélo-palestinien.
Cette enquête a également eu des
conséquences pratiques. Des
organisations juives aux États-Unis sont
sur le point de lancer une campagne
télévisée en faveur d’Israël, au niveau
national. La diffusion du premier spot
sur tout le territoire est programmée …
On considère qu’il s’agit-là d’une
initiative importante tant sur le plan
du soutien qu’elle est censée provoquer,
que par l’énormité de l’investissement
financier qu’elle nécessite.
Les auteurs de l’étude gardent
confidentiels la plupart des résultats
et expliquent qu’il s’agit d’une étude à
l’usage exclusif de ceux qui sont
impliqués dans ce domaine, et non
destinée à être publiée. Seuls les
résultats concernant les populations
juives et estudiantines ont été
divulgués. Les deux groupes ont
fortement exprimé leur soutien à Israël.
Mais les conclusions générales du
sondage n’ont pas filtré.
La principale conclusion est qu’aux
États-Unis, le temps ne joue pas en
faveur d’Israël. Bien que le soutien
d’Israël soit toujours fort aux
États-Unis, et que rien ne laisse penser
que des États-uniens qui soutiennent
Israël basculeraient dans le soutien des
Palestiniens, la poursuite des violences
et l’effusion de sang dans les deux
camps entraînent de plus en plus
d’États-uniens qui, dans le passé,
exprimaient leur soutien d’Israël, à
adopter une position neutre. Ils
imputent alors la responsabilité de la
situation aux deux parties…
Ces conclusions, détaillées sur le
site de l’Union des patrons et
professionnels juifs de France (UPJF),
démontrent le malaise vécu par la
communauté juive. La confusion s’opère
entre sentiments antisémites et rejet de
la politique israélienne assimilée à une
sorte de fuite en avant, en lieu et
place d’une véritable négociation avec
les peuples de la région en admettant
des points qui ne doivent poser aucun
problème sur plan du droit
international, notamment les annexions
de territoires, la construction du mur
avec la bande de Gaza, la confiscation
des terres et des maisons, le respect
des frontières, le retour des réfugiés
conformément à la résolution 194 de
l’Assemblée Générale de l’ONU du 11
décembre 1948.
Sur le plan militaire, bien qu’Israël
avec l’aide des États-Unis et de leurs
alliés cherche à trouver une solution
devant l’impasse posée par le cas
Hezbollah, par l’Iran et même par la
Syrie, il apparaît cependant évident que
la solution armée n’est plus valable,
car malgré ses multiples campagnes
l’État hébreu n’a pas davantage le
sentiment d’être plus en sécurité.
Bien au contraire, le curseur du
Hezbollah se place de plus en plus haut,
obligeant Israël à miser des milliards
de dollars sur l’armement le plus
sophistiqué, notamment un bouclier
anti-missiles qui couvrirait tout son
territoire. Cette solution ne semble pas
inspirer confiance aux militaires
israéliens, car peu fiable. Ceci
d’autant qu’en l’absence de
renseignements suffisants sur la
capacité de nuire de leurs « ennemis »
les soldats israéliens se trouvent
désarçonnés.
Le Hamas semble suivre l’exemple du
Hezbollah dans son organisation et dans
sa stratégie d’imposer les conditions
d’une guerre asymétrique, obligeant
l’armée israélienne à modifier
totalement son armement, son
entrainement, voire même la préparation
psychologique de ses soldats.
La course aux armements ne ferait pas
l’affaire devant la nature des guerres à
laquelle il devra faire face, en
l’occurrence la guerre asymétrique,
coûteuse, génératrice de « bavures »,
et particulièrement néfaste pour son
image dans l’opinion, sans oublier le
fait qu’elle met en valeur l’adversaire
qui empêche la réalisation des
objectifs, lui attirant l’admiration et
le respect de la population.
Israël est-il en mesure de comprendre
que la solution est ailleurs ? Il est le
seul à pouvoir faire enfin cette
analyse, car jusqu’à présent il étendait
son territoire en grignotant au fil des
années ceux des autres. L’annexion du
Golan, de Jérusalem Est, et la
confiscation des terrains et des maisons
palestiniens illustrent cette politique
expansionniste.
Les assassinats ciblés et les
bombardements n’ont fait qu’augmenter la
révolte qui devient de plus organisée et
a même réuni des militants qui se
voulaient jusqu’alors neutres.
La question qui est actuellement
posée est de savoir si Israël peut
continuer de vivre dans un contexte de
plus en plus complexe, sans perspective
à venir quant à une issue viable. L’on
en est réduit à utiliser de vieux
remèdes tels que la manipulation de
quelques hommes politiques de la région
peu scrupuleux, ou à actionner ses
réseaux d’espionnage, ou encore à
recourir à des excès verbaux, menaçant
tous les jours les pays de la région de
les anéantir ou de les effacer de la
carte.
Actuellement l’Administration Obama
doit adopter des positions qui lui
permettent de sortir du piège
proche-oriental qu’elle a sous estimé au
cours des dernières décennies. Après
avoir commandé la dernière guerre de
2006 aux Israéliens, les États-Unis sont
obligés de les inciter à envisager un
autre avenir. Le problème est de savoir
jusqu’où aller avec l’État hébreu dont
les dirigeants ne cessent de ridiculiser
leurs émissaires James Baker, George
Mitchell et dernièrement John Kerry. Le
lancement des projets de colonisation et
de construction à Jérusalem Est au
moment précis où ceux-ci arrivaient en
Israël pour parler de paix reste un
modèle de cuisante humiliation publique.
De son côté Hillary Clinton a déclaré
devant l’American Israel Public Affairs
Committee (AIPAC) au mois de mars 2010
qu’Israël se doit actuellement de « prendre
des décisions difficiles mais
nécessaires » afin de pouvoir par la
suite instaurer la paix. « La
situation actuelle ne peut pas durer
longtemps, a-t-elle encore affirmé,
elle n’engendrera que la violence et
encouragera des aspirations
irréalisables ». Clinton a rappelé
que le statu quo actuel renforce
« les extrémistes », qui
prétendent que la paix est impossible,
et ne fait qu’affaiblir ceux qui
soutiennent l’idée d’une coexistence
La secrétaire d’État de l’époque a
évoqué la relance des pourparlers entre
Israël et les Palestiniens. Elle a
proposé la médiation des États Unis, qui
devraient jouer un rôle important dans
les premiers contacts. Mais elle a
souligné qu’ils ne pourraient pas en
revanche imposer une solution, « les
deux camps devant eux-mêmes régler leurs
litiges » [8].
Il se trouve que cette règle s’est
vite dissipée, car devant l’arrogance du
gouvernement israélien, les États-Unis
exercent des pressions sur Mahmoud Abbas
—président palestinien sans mandat et
sans légitimité— pour accepter de
négocier sans condition préalable.
Comment peut-il parvenir à un quelconque
accord s’il est dénué de toute
crédibilité ?
Les révélations de
John Bolton
Au-delà des déclarations de principe,
le discours recèle une crainte certaine
quant à l’avenir, car les États Unis
sont conscients malgré tout de perdre du
terrain. Ils doivent se préparer à un
avenir où les centres de décisions et le
profil des grandes puissances changent.
Le très pro-israélien John Bolton,
ancien ambassadeur des États Unis à
l’ONU, n’a-t-il pas déclaré à la fin du
mois de mars 2011 que les États-Unis
exerceraient des pressions sur Israël
pour le dissuader d’attaquer l’Iran, car
ils considèrent comme acquis la
transformation de l’Iran en puissance
nucléaire. Cette déclaration a été faite
sur les ondes de la radio de l’armée
israélienne [9].
Bolton poursuivait en précisant que
le président Obama croit pouvoir régler
le problème du Proche-Orient en réglant
le problème palestinien, ce qu’il
considère comme une erreur grave, car la
source de conflit serait selon Bolton le
projet nucléaire iranien et le soutien
iranien aux mouvements de résistance,
qu’il qualifie de terroristes.
Enfin, Bolton va plus loin dans son
analyse en indiquant que « la
divergence entre Washington et Tel-Aviv
ne provient pas d’un problème de
colonisation à Jérusalem-Est, mais de la
vision d’Obama sur le rôle d’Israël dans
la région… » Cette phrase n’est pas
anodine, car de deux choses l’une : soit
les États-Unis sont en train de changer
de vision sur la région du
Proche-Orient, auquel cas le rôle
d’Israël pourrait changer, soit Bolton
entend inciter les Israéliens à être
plus radicaux dans leurs discussions
avec Washington pour les persuader de
continuer à soutenir leur politique
coûte que coûte.
Les États-Unis finiront par
privilégier leurs propres intérêts qui
ne sont pas toujours calqués sur ceux
des israéliens.
Aucune déclaration états-unienne
n’est venue conforter les annonces de
Bolton, mais il n’en reste pas moins que
la politique du président Obama semble
se diriger vers un apaisement encore
timide des tensions dans la région. Son
Administration, tout en gardant un ton
très vif à l’égard des piliers de « l’Axe
de Refus et de Résistance » [10],
n’a pas cessé de négocier avec eux soit
par voie officielle soit par voie
officieuse.
Au départ, les émissaires vers la
Syrie faisaient des allers-retours aussi
bien pour discuter avec elle de l’avenir
de la région que pour passer des
messages aux Iraniens, avec lesquels
d’autres canaux sont également ouverts.
Actuellement c’est le contraire qui se
produit puisqu’on passe par l’Iran pour
envoyer des messages au président
el-Assad. L’on parle déjà de
négociations directes sur la sécurité du
Golfe, de la situation en Irak et en
Afghanistan.
Les Israéliens le savent parfaitement
et sont donc en droit de se demander
s’il ne s’agit pas de la fin de leur
rôle de gendarme dans la région.
La posture états-unienne tendant à
faire baisser les tensions a fait par
exemple que la mise en marche de la
centrale nucléaire de Bouchehr se fasse
sans difficultés majeures avec l’aide
des Russes. Pendant ce temps le même
Bolton donnait à Israël d’abord huit
jours et ensuite trois jours pour
attaquer l’installation en question
avant que les Russes ne l’aient chargée
en combustibles nucléaires. Israël n’a
pas attaqué, et les États-Unis non plus.
Aujourd’hui, tout se négocie !
Personne n’a intérêt à enflammer le
Golfe arabo-persique, et même au-delà.
L’accession de l’Iran à l’énergie
atomique intervient alors que la
République islamique est sous le coup
d’au moins six résolutions du Conseil de
sécurité de l’Onu, dont quatre assorties
de sanctions, contre son programme
nucléaire soupçonné de dissimuler des
objectifs militaires. À ce jour aucune
preuve n’a été fournie pour étayer les
fameux soupçons.
En tout cas, cette installation
démontre l’inefficacité des sanctions,
qui auraient été allégées pour exclure
cette centrale de leur champ afin de
permettre à la Russie de la livrer avec
son combustible pendant dix ans. En
réalité les échanges avec la Russie
n’ont jamais cessé.
D’ailleurs, immédiatement après la
quatrième série de sanctions, la Russie
s’était interrogée sur le coût de ces
sanctions sur son économie. Tel a été le
cas de la Chine. Cette situation a amené
certains responsables politiques
états-uniens à préconiser pas moins que
des sanctions contre la Chine et la
Russie concernant des investissements
faits par ces deux grandes puissances
dans le domaine de l’énergie [11].
Selon les responsables iraniens,
particulièrement le vice ministre du
Pétrole iranien Hossein Negrkar Shirazi,
la Chine est devenue le premier
partenaire économique et commercial et
pèse près de 40 milliards dans le
secteur de l’énergie [12].
Cette situation ubuesque où l’on voit
la Chine voter des sanctions qu’elle
sait ne pas vouloir respecter, a fini
par inciter les États-Unis à envoyer le
conseiller spécial au secrétariat d’État
chargé des questions de non
prolifération nucléaire, Robert Einhorn
(Special Advisor for Nonproliferation
and Arms Control), pour inciter la Chine
à appliquer les sanctions votées contre
l’Iran en raison de son programme
nucléaire. Einhorn a déclaré que la
Chine doit savoir qu’en sa qualité de
membre permanent du Conseil de sécurité,
elle a des responsabilités. Il a
poursuivi en disant que les Chinois font
valoir des priorités de sécurité par
rapport à leurs besoins énergétiques,
mais qu’en réalité ils surévaluent ces
besoins.
Des sujets de
discorde, ou Yalta entre l’Orient et
l’Occident
La politique israélienne actuelle
semble naviguer à vue. Les options
militaires ne sont certes pas écartées,
mais le risque est grand. L’échec n’est
pas permis. La certitude quant aux
résultats n’est pas assurée. En
revanche, les options de paix s’imposent
de plus en plus en raison de cette
incertitude. Comme à l’accoutumée,
comment faire la paix alors qu’on ne
connaissait que le langage de la guerre
pour imposer aux ennemis des paix
déséquilibrées ? Refuser la paix
proposée/imposée reviendrait à supporter
des guerres interminables.
Jusqu’à présent l’on peut dire que la
stratégie israélienne dans la région
s’identifiait au principe de la chèvre
édicté par Kissinger. Ce dernier
indiquait qu’il a appris les principes
de la négociation en politique d’un
rabbin qui lui a raconté l’histoire
d’une chèvre. Un homme avait acheté une
chèvre qui incommodait le voisin par son
bêlement. Ce dernier ne tarda pas à
protester et à menacer le propriétaire
de la chèvre pour l’inciter à s’en
débarrasser. Or, le propriétaire de la
chèvre la déplaça pour la mettre sous la
fenêtre de son voisin. Ce dernier
constatant que le propriétaire ne
craignait rien, indiqua que le bêlement
était supportable, mais que l’odeur
ajoutée au bruit n’était plus
supportable. C’est ce que voulait le
propriétaire de la chèvre, lequel finit
par imposer la présence de cette
bestiole chez lui.
Il se trouve que depuis les années
40, « la chèvre » israélienne ne
cesse de prendre de la place. Elle
occupe une terre en chassant les
propriétaires de leurs maisons, elle
annexe leurs territoires, et finit par
s’installer où bon lui semble, alors que
les « voisins » avaient fini par
accepter sa présence et admettre une
cohabitation pacifique. Pouvaient-ils
continuer de supporter de telles
humiliations au quotidien ?
La tension est à son comble depuis
des années, mais encore plus depuis
quelques mois. Les solutions politiques
semblent être fermées et les traitements
militaires sont plus qu’aléatoires.
Quelle solution envisagée et qui pourra
l’offrir ?
Il ne reste qu’une solution aussi
sidérante qu’elle soit, la disparition
du modèle israélien. Que l’on ne se
méprenne pas sur cette formule, il ne
s’agit pas de la disparition des juifs.
Les sionistes ont toujours voulu
confondre leur idéologie
ségrégationniste avec leur religion.
Le modèle israélien n’aura d’autre
choix que de suivre l’exemple de
l’apartheid, qui a nié l’existence de
l’humanité des noirs de l’Afrique du
Sud, et a fini par disparaître en
laissant place à un nouvel État qui
accepte ses citoyens quelle que soit
leur couleur ou leur religion.
Israël nie au fond de lui-même
l’humanité au peuple palestinien. Le
traitement réservé aussi bien à ceux
dénommés « les Palestiniens de 1948 »
qui vivent à l’intérieur du territoire
dit israélien [13],
qu’à ceux vivant dans les autres zones
ne laisse aucun doute sur le mépris
affiché à ces vies humaines qui
souffrent de génération en génération.
L’idée d’un État palestinien dans les
territoires occupés est non seulement
non viable, mais elle est surtout
absurde. Comment faire relier deux
morceaux de territoire séparés de
territoires israéliens sans laisser
place aux tensions ? Comment faire vivre
un État qui ne peut même pas respirer
sans passer par les Israéliens et sans
compter sur l’étranger, car il est
démuni de ressources, et puisque même
son eau a été détournée pour irriguer
l’agriculture israélienne.
Un seul État sur l’ensemble de la
Palestine reste la seule idée juste,
viable et raisonnable. Cet État ne
pourra qu’être laïque, et ne pourra
qu’embrasser l’ensemble de ses citoyens
musulmans, chrétiens ou juifs. Ces
religions ne sont pas des nations, mais
des fois censées rassembler au lieu de
diviser. Israël ne pourra continuer
d’être une terre d’accueil des juifs du
monde entier.
Le jour où les juifs, cette fois,
auront compris qu’être juif n’est pas
une identité nationale, mais une
conviction religieuse qui reste dans le
domaine du personnel voire de l’intime,
ils auront contribué à créer une
présence pacifique dans le mode entier,
et n’auront plus d’inquiétude pour leur
sécurité.
Ce sentiment d’insécurité qui semble
justifier selon les Israéliens toutes
leurs exactions est à imputer à la
nature de cet État. C’est parce qu’il a
exclu, éliminé, et nié les autres qu’il
est devenu haïssable. Il n’est pas haï
parce qu’il accueille des juifs, mais
parce qu’en accueillant les juifs du
monde entier il fait comme si les autres
n’existaient pas.
C’est la structure mentale et
idéologique qui doit changer, en
comprenant que c’est le sionisme qui a
nui aux juifs. Ces derniers ont été pour
l’essentiel instrumentalisés par le
mouvement sioniste qui confond de
manière délibérée judaïsme et sionisme.
C’est ainsi que chaque critique contre
Israël est taxée de « propos
antisémite » ! Selon Bernard Henri
Levy l’anti-sionisme est le bout du nez
de l’antisémitisme.
BHL n’est que l’un des porte-parole
du mouvement sioniste. Il exprime un
dogme véhiculé depuis des décennies afin
de permettre au mouvement sioniste de
réaliser une sorte d’OPA sur l’ensemble
des juifs dans le monde.
Les failles du système même à
l’intérieur de la communauté juive
vivant en Israël montrent ses limites,
puisque le régime ségrégationniste se
pratique également à l’encontre des
juifs d’Afrique. Tous les jours de
nouveaux faits sont révélés sur ce
racisme anti noir-juif !
Ce système ne pourra donc que
disparaître à l’instar de l’apartheid
qui a fini par laisser place aux
autochtones sans jeter à la mer les
blancs ayant colonisé par le passé
l’Afrique du Sud.
Frederik de Klerk, dernier président
blanc de l’Afrique du Sud, est celui-là
même qui mena les réformes qui mirent
fin à la politique d’apartheid en 1991
et les négociations constitutionnelles
avec le Congrès national africain de
Nelson Mandela qui aboutirent au premier
gouvernement multiracial du pays.
Israël aura-t-il son de Klerk et son
Mandela ?
Pour le moment rien n’est moins sûr,
mais c’est en se sentant acculé à
l’ouverture et à la négociation réelle
que l’appétit viendra. Il faudra d’abord
abandonner l’idée stupide, injuste et
irréalisable de deux États sur le même
territoire.
Israël ne pourra pas agir comme il le
fait actuellement, en mettant la main
sur des réserves de pétrole et de gaz,
sans risquer de provoquer des conflits
avec son entourage. La même question se
pose sur l’eau, sur les annexions
déguisées, et sur les intrusions
incessantes qui ne sont dues qu’à la
nature du régime. Il s’agit d’un
problème lié à la cause d’existence de
cet État.
Quand il aura perdu son intérêt pour
ses « souteneurs », et qu’il ne
pourra plus assurer la sécurité qu’il a
toujours promise à ses nouveaux
arrivants, et que ses frontières ne
seront plus extensibles, comme il le
croyait jusqu’à présent, peut il
continuer de vivre ?
La menace du
nucléaire israélien
Israël est considéré comme la sixième
puissance nucléaire par ordre
d’importance —bien que « non
déclarée »—. L’ambiguïté maintenue par
ses différents gouvernements concernant
la « bombe juive » (sic) s’est
pourtant peu à peu dissipée, et la
question n’est plus de savoir si Israël
possède des armes nucléaires, mais
quelle est la place de cet arsenal dans
sa stratégie régionale.
En Israël, les autorités utilisent
toujours le conditionnel lorsqu’il
s’agit de la bombe ou des armes
chimiques et biologiques. Elles évoquent
l’ « option nucléaire » et
répètent à satiété qu’« Israël ne
sera pas le premier à introduire les
armes nucléaires au Proche-Orient »,
même si elles ajoutent que « l’État juif
ne sera pas, non plus, le deuxième à le
faire »... Et on laisse à tout le monde
le soin de deviner la signification de
ces paroles énigmatiques.
Cette ambiguïté n’a pas disparu, même
après les révélations alarmantes d’un
technicien israélien qui avait travaillé
à la section où l’on produit du
plutonium, à la centrale nucléaire de
Dimona (dans le Néguev). Après les
révélations de
Mordechai Vanunu dans le Sunday
Times [14]
chercheurs et experts ont estimé
qu’Israël possédait effectivement entre
cent et deux cents bombes atomiques, y
compris des bombes thermonucléaires et à
neutrons. Il sera enlevé par les
services secrets israéliens en Italie et
condamné à dix-huit ans de prison. Comme
il l’a proclamé durant son procès, il
voulait alerter l’opinion israélienne,
mais celle-ci n’a pas voulu entendre son
message, préférant le considérer comme
un traître.
L’ambiguïté représente une composante
de la Défense nationale du pays, dont la
tâche est censée être dissuasive, à côté
d’une armée forte et d’armes
ultramodernes. Elle fut respectée au
cours des années, à quelques exceptions
près. Ainsi, un an après la guerre
d’octobre 1973, le président Ephraïm
Katzir déclarait : « Israël possède
un potentiel nucléaire » [15].
Quand il a accédé au poste de Premier
ministre à la suite de l’assassinat
d’Itzhak Rabin, Shimon Pérès, le père de
la bombe, s’est adressé au monde arabe :
« Donnez-moi la paix et je renonce au
nucléaire » Dans son livre Le
Nouveau Proche-Orient [16],
il s’écarte de la position officielle
israélienne et affirme que la centrale
de Dimona a été construite dans un but
dissuasif.
Sur ce point, il est important de
souligner que l’arme nucléaire
israélienne et ses implications
multiples —politiques et économiques,
environnementales et morales— n’ont
jamais été débattues en public, y
compris au sein de la société
israélienne. Le gouvernement ne s’est
jamais prononcé clairement, et aucun des
grands partis politiques n’a évoqué ce
sujet, même lors des campagnes
électorales. Les députés ont renoncé
volontairement à leur droit de
discussion et de contrôle.
« Qui décide de cette politique ?
Comment traite-t-on les déchets ? Quels
sont les problèmes de sécurité liés à
l’utilisation d’un réacteur vieux de
quarante ans ? Israël a-t-il vraiment
besoin du nombre d’engins nucléaires
que, selon la presse internationale et
les chercheurs, ce pays possède ? Quel
est le coût d’une telle entreprise ? Une
opinion docile ne se pose pas ces
questions et le pouvoir se garde d’y
apporter la moindre réponse. Ambiguïté
et brouillard s’imposent, qui laissent
les mains libres au gouvernement mais
peuvent créer une pression dangereuse
sur lui, à l’occasion d’une crise
régionale. Surtout lorsque, à la tête de
l’exécutif, se trouvent des
ultranationalistes comme Benjamin
Netannyahou ou Ariel Sharon » [17]
Seule une frange minuscule de
l’opinion prône la dénucléarisation.
Pour les gouvernements, celle-ci ne peut
se concevoir que vingt ans après
l’instauration d’une paix permanente
entre tous les États de la région, du
Pakistan jusqu’à la Libye, après la
destruction de toutes les armes de
destruction massive et... après
l’instauration de la démocratie partout
dans la région. Autrement dit, le
gouvernement israélien renvoie la
solution aux calendes grecques et
rejette les appels à adhérer au traité
de non-prolifération nucléaire (TNP).
Malgré quelques tensions entre les
États-Unis et Israël pendant les débuts
du programme nucléaire israélien, rien
ne fut fait pour empêcher ce programme
ou à tout le moins imposer à l’État
hébreu une adhésion au TNP. On lui
demanda simplement d’être discret. Cet
engagement a été respecté. Toutefois,
lors de sa plus grande épreuve
militaire, la guerre d’octobre 1973,
selon des sources concordantes, Israël a
mis secrètement une partie de son
arsenal atomique en état d’alerte.
Au cours de la guerre du Golfe en
1991, douze missiles de type Jéricho 2
(portée de 1 500 km) ont été également
mis en état d’alerte. Mais
l’avertissement public à l’égard de
l’Irak a été lancé par le secrétaire
états-uniene à la Défense Dick Cheney,
qui a évoqué sur CNN la possibilité de
l’utilisation par Israël de ces armes
non conventionnelles si Bagdad utilisait
des missiles avec des têtes chimiques
contre Tel-Aviv.
Pour éviter l’inévitable, en
l’occurrence parvenir à un changement
radical de son idéologie, Israël peut il
utiliser cette arme ? L’on est tenté de
répondre positivement. Mais les
questions auxquelles il devra répondre :
combien de missiles doit il lancer pour
parvenir à ses fins ? A-t-il les moyens
de s’offrir ce luxe ? appellent une
réponse négative.
En effet, quel État dans le monde
cautionnerait-il le recours à une telle
arme contre une ville ou même un village
au prétexte d’enrayer selon lui des
actions terroristes ? Aucun. Même ses
plus fidèles alliés ne sauraient
soutenir une telle action.
Le mémorandum stratégique
israélo-américain d’octobre 1999 était
déjà destiné à rassurer Israël, inquiet
de l’apparition de missiles iraniens de
longue portée et de l’effort de Téhéran
pour fabriquer des armes nucléaires. Ces
informations ont été instrumentalisées
par la presse israélienne, bien que les
experts états-uniens et européens
affirment que la République islamique
est loin de posséder une capacité
nucléaire [18]
Pourtant, les « faucons », tel
le député travailliste Ephraïm Sneh, ont
déjà lancé des appels en faveur d’un
« coup préventif contre l’Iran » [19].
Il s’agirait d’appliquer la « doctrine
Begin » mise en œuvre lors du
bombardement d’Ozirak en Irak : ne
permettre à aucun pays du Proche-Orient
de produire une bombe nucléaire. Mais
l’Iran a tiré la leçon du raid et a
dispersé ses installations nucléaires à
travers le pays et dans des abris
souterrains.
En réalité, l’on assistait à une
guerre d’images dont l’essentiel est
fabriqué ou volontairement dévoyé [20].
Le tout relève d’une campagne de
désinformation et d’intoxication au
sujet de la capacité militaire nucléaire
de l’Iran. Cette situation rappelle
étrangement les démonstrations
mensongères sur les supposées armes de
destructions massives irakiennes.
Les tensions avec l’Iran s’acheminent
vers l’apaisement au grand dam des
israéliens. Les armes chimiques de la
Syrie ont été intégralement détruites,
mais sans diminuer la capacité de ce
pays à participer le cas échéant à une
action concertée par des missiles qui
s’abattraient sur Israël ; ce qu’il
craint depuis des années, ceci explique
la présence du Dôme de fer mis en place
avec l’aide du Pentagone et qui a montré
pour le moins ses limites rien qu’avec
la bande de Gaza !
Que reste-t-il aux Israéliens pour
justifier encore leur politique ?
Absolument rien. C’est donc en cela que
sayed Hassan Nassrallah qualifie Israël
de « toile d’araignée qui ne fait
plus peur et ne dissuade plus »,
confirmant ainsi le discours de sayed
Abbas Mousawi un autre chef emblématique
du Hezbollah qui prédisait qu’Israël va
sans aucun doute disparaître.
Il est vrai que les Israéliens ont
assassiné ce dernier, mais pour guérir
la fièvre qui monte, rien ne sert de
casser le thermomètre…
Qui détient la solution ?
« Qui détient la solution ?
Évidemment les États-Unis. Mon
impression, c’est que la principale
cible doit être Washington. Ce que
décident les États-Unis est
déterminant ; il n’existe aucune
autre puissance dans le monde qui
leur soit comparable à cet égard.
Or, à l’exception d’une semaine à
Taba, leur gouvernement a tout
simplement fait obstacle à toute
initiative vers un règlement
politique sensé, et cela presque
unilatéralement. Israël aussi, mais
il ne peut agir qu’à l’intérieur de
certaines limites, car il ne peut
guère outrepasser les conditions
imposées par les États-Unis. Tant
que Washington continuera à fournir
un soutien colossal à l’expansion
israélienne, notamment sur les plans
militaire, diplomatique, idéologique
et médiatique, il ne faut pas
s’attendre à grand-chose » [21].
Il ne reste vraisemblablement que
l’idée de voir les États-Unis être
un arbitre au lieu d’être le seul
acteur porteur d’agressions et de
tragédies telle que la prison à ciel
ouvert imposée à Gaza, la
déstructuration de l’Irak, qui
provoquent des massacres au
quotidien, des manipulations
politiques au Liban provoquant des
attentats et des tensions politiques
interminables, tous événements
tragiques vécus au rythme des
visites des responsables US ou de
leurs alliés dans la région.
Qu’y-a-t-il de mal à vouloir
faire cesser l’agression israélienne
en reconnaissant au peuple
palestinien son droit à un État
viable avec des frontières reconnues
en accord avec toutes les
composantes de ce peuple dont le
Hamas ? L’on ne peut pas continuer
d’imaginer faire la paix avec des
parties affaiblies voire démolies à
l’instar des négociations avec
l’ex-Autorité palestinienne, qui
n’est que l’ombre d’elle-même et qui
offre un spectacle pathétique à
chaque tournée dans la région.
Qui a-t-il de mal à assurer le
retour des réfugiés en application
des règles du droit international,
notamment de la résolution 194 de
l’Onu ? Qui a-t-il de mal à faire
cesser l’expansion coloniale qui
piétine les droits de la population
légitime de cette région ? Le mot « colonisation »
aurait-il perdu son sens dans les
chancelleries occidentales, devenues
autistes devant les cris de
désespoir du peuple martyr et devant
les réactions de leurs propres
opinons publiques ?
Il faudra un jour très proche
répondre à toutes ces questions.
L’espoir est que ce jour se
rapproche de plus en plus. L’on peut
affirmer que le seul motif qui le
justifie est le changement des
rapports de forces et le
rééquilibrage asymétrique des moyens
des parties à travers l’axe
constitué par l’Iran, la Syrie et le
Liban et qui a fini par s’étendre à
la Russie et à la Chine.
[1]
Autobiographie, Tome I, p. 282
[2]
Dana, Sermons, p. 17
[3]
Notes sur l’État de Virginie.
Section XIX.
[4]
« Résolution
194 de l’Assemblée générale de l’ONU »,
ONU (Assemblée générale), Réseau
Voltaire, 11 décembre 1948.
[5]
Dans le sens de peur extrême et effroi
devant les exactions israéliennes.
[6]
Le Crime occidental, Viviane
Forrester, éd. Fayard, 2004, p. 208-209.
[7]
Le « chaos constructeur » est un concept
imaginé par le philosophe Leo Strauss :
la modification des frontières et
l’épuration ethnique des futurs États
passent par une période de chaos qui
contraint les habitants que l’on
souhaite déplacer à fuir d’eux-mêmes. En
2006, David Brog, un cousin d’Ehud Barak
qui, bien que juif, dirige le CUFI (Christians
United for Israel), s’extasie devant la
fuite d’un million de Libanais face à
l’invasion israélienne, en parlant des
« douleurs de l’enfantement » d’un monde
nouveau. L’expression est alors reprise
par la secrétaire d’État Condoleezza
Rice, lors d’un point de presse le 21
juillet 2006. Ndlr.
[8]
Réunion de l’AIPAC du 22 mars 2010.
[9]
Interview de John Bolton à la Radio
militaire israélienne, 28 mars 2010.
[10]
C’est-à-dire l’Iran, la Syrie et le
Liban.
[11]
Notamment Ileana Ros-Lehtinen —membre de
la commission des affaires étrangères au
congrès—, AFP 2 août 2010
[12]
Propos repris par l’agence de presse
iranien Mahr au mois de mai 2010.
[13]
« les Palestiniens de 1948 » sont
les Palestiniens dont les familles sont
restées depuis 1948 sur le territoire
occupé dans lequel s’est auto-proclamé
l’État d’Israël. Ndlr.
[14]
« Revealed : the secrets of Israel’s
nuclear arsenal », The Sunday Times,
5 octobre 1986.
[15]
Jerusalem Post, Jérusalem, 24
décembre 1995
[16]
Shimon Pérès, Le Temps de la paix,
Paris, 1993.
[17]
« Israël assume "sa" bombe », par Amnon
Kapeliouk (auteur de la biographie
Arafat l’irréductible, Fayard,
Paris, 2004, et de Sabra et Chatila,
enquête sur un massacre, Seuil,
Paris) in Le Monde diplomatique,
février 1999.
[18]
Depuis le début de cette polémique, en
2005, la République islamique d’Iran
affirme avoir mit fin au programme de
recherche militaire nucléaire du Shah.
L’ayatollah Rouhollah Khomeiny avait
déclaré que les armes de destruction
massive étaient contraires à sa vision
de l’islam et son successeur,
l’ayatollah Ali Kamenei, a émis le 9
août 2005 une fatwa interdisant la
fabrication, le stockage et l’usage de
l’arme atomique. La polémique a prit
corps lorsque le président Mahmoud
Ahmadinejad a décidé de lancer un
programme de recherches pour trouver une
nouvelle technique de production
d’énergie qui puisse libérer des
problèmes d’approvisionnement non
seulement l’Iran, mais aussi le tiers
monde. Ndlr.
[19]
Manchette du journal israélien
Yedioth Aharonoth du 27 septembre
1998
[20]
« Iran :
Les mystérieux documents de l’ordinateur
portatif », par Michel Chossudovsky,
Mondialisation.ca, 28 novembre 2010.
[21]
Chomsky, Noam, et Achcar, Gilbert, La
poudrière du Moyen Orient,
Entretiens réalisés par Stephen R.
Shalom. Ed. Fayard, 2006, p. 277.
André Chamy
Sociologue et
avocat français. Auteur de
L’Iran, la Syrie et le Liban - L’Axe de
l’espoir (Les éditions du
Panthéon, 2012). Vice-président de
Réseau Voltaire France.
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