Palestine
L’Autorité palestinienne traite son
propre peuple
comme un ennemi
Amira Hass
La police palestinienne loyale au
président Mahmoud Abbas, vêtue de tenues
anti-émeute, montre son savoir-faire au
cours d’un exercice à Jéricho, en
Cisjordanie, le 12 février 2008. (AP)
Jeudi 25 février 2016
« Où tu es, là ? Tu ne sais pas
ce qui se passe ? »
« Je m’occupe de démolition. »
« Oublie les démolitions ; il y a
des check-points tout autour de chaque
ville. »
« Tu veux dire que l’armée croit
toujours que c’est un moyen
dissuasif ? »
« Oublie les Juifs. Tous les
services de sécurité de l’AP ont
installé des check-points ce matin aux
sorties des villes et à l’entrée de
Ramallah / El Bireh, pour empêcher les
enseignants de participer à une manif
contre le non-respect des accords
salariaux signés avec eux en 2013 déjà.
On est tombé où, là ? On est tombé
où ? »
Hier, les services de sécurité de
l’AP ont installé des check-points en
boucle autour des enclaves de la Zone A,
où Israël permet à la police
palestinienne de porter des armes. Ils
ont fait descendre les enseignants des
autocars et les ont menacés de
confisquer leurs cartes d’identité. Les
autocars affrétés pour transporter les
enseignants ont reçu l’ordre de rentrer
chez eux. Aux chauffeurs de taxi, on a
dit qu’ils perdraient leur licence s’ils
transportaient des manifestants.
Ceux qui se sont arrangés pour
atteindre l’enclave de Ramallah et d’El
Bireh se sont heurtés aux check-points
supplémentaires qu’on avait installés et
sont restés bloqués dans de longues
files de véhicules complètement à
l’arrêt. À Ramallah même, le personnel
de sécurité a bloqué les rues entre
l’immeuble hébergeant le Conseil
législatif palestinien et celui où se
trouve le cabinet du Premier ministre.
À 11 heures du matin, hier, un
millier d’enseignants environ s’étaient
déjà rassemblés place Mahmoud Darwich,
en face du cabinet du Premier ministre.
Des centaines d’autres affluaient à
pied, en un flot incessant, depuis les
rues voisines. Progressivement, la place
s’est remplie.
« Nous, qui pouvons franchir les
check-points des Juifs, nous ne
parviendrions pas à franchir les
check-points de l’AP ? », ont
déclaré des enseignants venus de la zone
de Hébron. « Nous ne les avons pas
vus installer des check-points pour
empêcher l’occupation [= l’armée
israélienne] de faire irruption en
cassant tout dans nos villages et nos
maisons », s’est écrié un auditeur
en colère sur une chaîne de radio
locale.
Les protestations et grèves
partielles ont repris voici deux
semaines environ. Depuis le milieu des
années 1990, les enseignants du secteur
public essaient d’expliquer à l’AP que
leurs salaires et avantages humiliants
font un tort énorme aux étudiants et à
l’avenir de la société palestinienne
dans son ensemble. Mardi dernier, une
foule estimée à 20 000 personnes a
assisté à une manifestation des
enseignants à Ramallah. Les services de
sécurité de l’AP ont arrêté une
vingtaine d’enseignants et deux
directeurs d’école et les ont relâchés
le surlendemain. Les déclarations de
l’AP prétendant que la manifestation
était organisée par le Hamas ont été
accueillies avec mépris par les
enseignants.
Jeudi, un accord a été conclu avec
les représentants du syndicat des
enseignants, qui est affilié à l’OLP et
dépend du Fatah, le parti dirigeant de
l’AP. Mais les enseignants ont rejeté
l’accord, qui n’était pas rétroactif.
Samedi et dimanche, les haut-parleurs de
la mosquée ont diffusé l’ordre de
retourner dans les écoles, mais la grève
s’est néanmoins poursuivie.
Les protestations des enseignants ont
amené plus de monde dans les rues que
toute protestation contre l’occupation
israélienne ces cinq derniers mois,
depuis que « la révolte des
individus » a débuté. Dans la
situation temporaire permanente
engendrée par les accords d’Oslo, c’est
toujours Israël qui dicte les dimensions
du non-développement dans le territoire
palestinien, et ce, par le contrôle des
frontières, aux graves dépens de la
Cisjordanie connue comme Zone C et de la
liberté de mouvement des Palestiniens.
Mais c’est à l’Autorité palestinienne
– le tampon entre le principal coupable
et le peuple – qu’il incombe de se
débrouiller avec l’appauvrissement et le
chômage de la population.
Les manifestants le savent, mais ils
se rendent également compte de la
distribution inégale et peu équitable du
revenu national, aussi limité soit-il en
raison des restrictions israéliennes.
Ils voient les allocations excessives
dont bénéficient les services de
sécurité, le gaspillage et la
corruption, les préférences accordées
aux copains du régime et les salaires
exorbitants des hauts fonctionnaires et
responsables. De l’occupant, ils
n’attendent rien. Mais ils ont des
exigences à adresser à son sous-traitant
qui se prétend à la fois un
gouvernement, une autorité nationale et
un mouvement de libération.
« L’AP est devenue dingue »,
a dit par téléphone un enseignant de
Naplouse qui n’est pas parvenu à
franchir les check-points. « L’AP et
ses services de sécurité se conduisent
comme si le peuple même était
l’ennemi. »
Publié le 24 février 2016 sur
Haaretz
Traduction : Jean-Marie Flémal
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