PALESTINE
130 Juifs de la diaspora
s’interposent entre l’armée israélienne
et un village troglodyte palestinien
Amira Hass
Samedi 8 juillet 2017
Amira Hass pour
Haaretz |Traduction
J.Ch. pour l’AURDIP
Le village palestinien de Sarura a été
détruit en 1997 et ses résidents n’ont
pas pu y retourner par peur de la
violence des colons. Des dizaines de
volontaires juifs des Etats Unis, du
Canada et d’Australie ont rejoint les
militants palestiniens pour participer à
sa rénovation. A son insu, l’auteur
A.B. Yehoshua a joué un rôle important
dans l’activité conjointe de
désobéissance civile de Palestiniens et
de Juifs à l’oeuvre maintenant dans les
Collines Sud d’Hébron. Quelque chose
qu’il avait dit à de jeunes Juifs
américains qui avaient reçu une bourse
de la Fondation Dorot pour passer un an
en Israël avait fait bondir le coeur et
la réflexion de l’un d’entre eux, une
femme nommée
Ilana Sumka, née dans le Maryland et
âgée de 28 ans à l’époque.
Treize ans plus tard, Sumka est
totalement plongée dans le projet de
rénovation du village troglodyte
palestinien de
Sarura que les Forces de Défense
Israéliennes ont détruit en 1997. Sumka
s’était impliquée dans la préparation et
le recrutement de 130 Juifs volontaires
des Etats Unis, du Canada, d’Australie
et d’Europe, dans la restauration elle
même, et maintenant dans la diffusion de
messages sociopolitiques sur cette
initiative. Sa démarche et celle des
autres volontaires met en lumière les
changements dans les communautés juives
de la Diaspora.
Sumka est très ambitieuse. Son
modèle, ce sont les Américains blancs du
Nord des Etats Unis qui sont allés dans
le Sud pour se joindre aux campagnes
menées par les Noirs contre la
discrimination et la ségrégation.
C’était leur « sonnette d’alarme » vers
les autres, a-t-elle dit. « Nous avons
l‘intention d’être une sonnette d’alarme
pour la communauté juive mondiale afin
qu’elle [réalise] ce qui se passe dans
les territoires palestiniens occupés en
rejoignant les campagnes civiles
palestiniennes.
Première étape
terminée
Cette semaine à Sarura, les militants
ont terminé la première étape de leur
projet : la rénovation de deux
troglodytes et du chemin défoncé qui
conduit au village depuis l’étroite
route d’accès qui mène à l’avant-poste
illégal d’Avigayil. Sarura faisait
partie de la douzaine environ de
villages que les FDI ont détruits en
1997, déclarant qu’il s’agissait d’une
zone de tir. Mais tous les villages se
développaient naturellement dans la
région avant qu’Israël n’occupe la
Cisjordanie. La Haute Cour de Justice
ordonna que les résidents des villages
aient le droit de revenir chez eux, mais
ne décida pas qu’ils étaient autorisés à
réparer leurs habitations ou leurs
citernes d’eau démolies. Depuis lors,
l’Administration civile a défini toute
structure qu’ils construisent comme
« illégale » et la détruit.
Les résidents de Sarura ne sont pas
revenus dans leurs troglodytes. Le
barrage de la petite route d’accès, le
harcèlement et la violence des colons,
et la construction à proximité de la
Ferme Maon en avant-poste les en ont
dissuadés. Au cours des années, ils
n’ont réussi qu’à cultiver leurs terres,
grâce aux escortes régulières de
militants de la campagne « Opération
Tourterelle » du Mouvement de Solidarité
Internationale. Mais des militants
d’organisations palestiniennes qui
privilégient la désobéissance civile
non-violente (tels que les Comités
Fiduciaires de Résistance Populaire de
la Terre Sainte dans les Collines du Sud
d’Hébron) ont entendu que la famille de
Fadel Amar, 55 ans, souhaitait revenir à
Sarura. Ils ont proposé aux militants
juifs, dont Sumka, de réaliser ce rêve
ensemble.
Ces dernières semaines, les soldats
des FDI ont fait une descente dans le
village et dans le camp de travail,
confisquant un générateur et des tentes
tout en frappant les militants. Le
danger de soldats qui viennent
confisquer leurs biens plane toujours
sur eux, mais Amar, qui est né dans un
des troglodytes rénovés et dont le père
est né dans un autre, insiste pour
rester. Jusqu’à maintenant, la présence
d’étrangers, et spécialement de Juifs de
la Diaspora, lui a fourni une protection
relative, à lui et à sa famille, a-t-il
dit dans un hébreu parfait. Amar fait
des rénovations en Israël sans permis de
travail : « Mais je n’ai pas le choix,
car je dois gagner ma vie ». Il y a
quatre mois, il a été arrêté et condamné
à deux mois de prison.
Lundi dernier, les inquiétudes ont
été levées : les militants palestiniens
et juifs ont célébré la fin de la
première étape avec des discours sur la
place qui jouxte le premier troglodyte
rénové, et avec un dîner partagé, des
danses et des chants. En plus des
troglodytes prêts à être habités, il
faut ajouter un bonus : l’amitié qui
s’est forgée parmi les militants –
palestiniens, juifs, israéliens.
De retour à
Bruxelles
Sumka ne faisait pas partie des
convives. Elle était retournée en
Belgique où elle vivait avec sa famille
ces dernières années, enseignant le
judaïsme. Depuis Bruxelles, deux
semaines plus tôt, elle a dit à Haaretz
qu’elle avait été stupéfaite d’entendre
A.B. Yehoshua faire des reproches aux
récipiendaires américains de la bourse
Dorot, dont elle même, et poser la
question : « Où est passée la gauche
juive américaine pendant toutes ces
années ? »
Il faisait référence au silence de la
communauté libérale juive au sujet de
l’occupation. Qu’est-ce que cela veut
dire, s’est demandé Sumka. « Et j’ai
pensé : Qui, moi ? J’ai fait mon
versement au FNJ (Fond National
Juif) toutes les semaines depuis aussi
longtemps que je me souvienne. » Avec sa
conscience juive et son physique très
juif d’Europe de l’Est , comme elle le
dit, elle a participé activement à New
York au combat pour un salaire juste
pour tous les travailleurs et elle a
rejoint le Service Mondial Juif
Américain, organisation d’assistance et
de défense des droits de l’Homme.
« Je ne savais pas qu’en tant que
Juive de gauche, on avait besoin de moi
en Israël », dit-elle. En 2004, elle est
allée en pour la première fois en Israël
pour réfuter une chose qu’une amie juive
américaine lui avait dite : que dans ce
pays, elle découvrirait qu’elle ne
pouvait pas réconcilier son identité
juive et ses valeurs libérales. Sumka
s’est mise en colère, a dit que c’était
impossible et a rejoint Dorot.
Puis elle a visité la Vieille Ville
d’Hébron et, aujourd’hui encore, elle a
la chair de poule quand elle se souvient
de « cette ville fantôme ». L’endroit le
plus effrayant que j’aie jamais vu. Elle
a poursuivi ensuite jusqu’aux Collines
Sud d’Hébron et a commencé à comprendre
qu’Hébron, vidée de ses Palestiniens à
côté de la colonie juive, est un
microcosme de ce qu’Israël fait en
Cisjordanie.
Les mots de Yehoshua l’ont amenée à
réfléchir à sa responsabilité dans ce
qui se passait en Israël. En 2006, elle
est retournée en Israël et a joint
l’administration de Encounter
(Rencontre), l’organisation juive qui
arrange des rencontres de Juifs
américains avec des Palestiniens en
chair et en os, de près, dans leurs
maisons, dans leurs villes. Pendant cinq
ans, ils ont accueilli et instruit 2.000
Juifs. Sumka est allée tous les jours de
Cisjordanie en Israël, ou de Jérusalem
Ouest à Jérusalem Est, et elle dit
qu’elle a été stupéfaite de la facilité
avec laquelle les Israéliens peuvent
ignorer ce qui se passe à quelques pas
de chez eux.
« Nous devons travailler contre
l’occupation simplement parce qu’Israël
et ses dirigeants se revendiquent comme
les représentants de tout le peuple
juif », dit-elle sans cesse, ajoutant :
« L’occupation ne fait pas partie des
valeurs juives, elle est Hilul Hashem
[une profanation du nom de Dieu]. » J’ai
ressenti une sorte de vide. Neshama
[l’âme] qui cherche la lumière et la
spiritualité et la communauté. Je
voulais quelque chose de plus que le
politique untel et le théâtre untel à
New York City », s’est elle souvenu.
De chez elle en Belgique, elle
s’était engagée dans la création de deux
organisations : Une Voix Différente
Juive, composée de Juifs de Belgique qui
s’opposent à l’occupation, et Le Centre
pour la Non-violence Juive, qui
participe aux actions à Surara. Elle
dit : « La seule façon de dire que
l’occupation qui se fait au nom du
Judaïsme n’est pas le Judaïsme, c’est
que les Juifs s’y opposent
collectivement. »
Le tournant décisif
est survenu au début
Elle a conçu la théorie que la
première graine de ses doutes à propos
d’Israël a été semée en 1997. Sa
synagogue progressiste accueillait un
« jeune et bel Israélien » qui refusait
de servir dans les territoires. « Si
quelqu’un d’autre m’avait dit qu’il y
avait quelque chose qui n’allait pas
dans le comportement de l’armée
israélienne, je ne l’aurais pas cru.
Lui, je l’ai cru parce qu’il était
soldat et beau. »
La graine qui avait été semée a germé
en 2004. Elle a compris les discordances
dont son ami lui avait parlé. « Mes
grands-parents ont quitté la Russie, le
Bélarus, la Pologne, l’Ukraine, dans les
années 1910 et 1920 à cause de
discriminations et pour trouver une vie
meilleure. Pas à cause de l’Holocauste.
J’ai grandi à Silver Spring, dans le
Maryland, dans un faubourg très sûr et
confortable où vit une grande communauté
juive ,à l’extérieur de Washington DC,
et je pensais toujours que les Nazis
reviendraient. On nous avait toujours
dit que cela pouvait recommencer.
J’étais donc certaine que ma mère
accumulait les boîtes de conserve pour
que nous ayons de quoi manger lorsque
nous aurions à nous cacher des Nazis
quand ils reviendraient », a-t-elle dit.
« Ma vision de l’armée d’Israël était
qu’elle me protégerait. Si vous me
demandez comment elle me protégerait à
Silver Spring, je ne sais pas. J’avais
12 ans. Mais je pensais que je pourrais
toujours aller en Israël, que j’y serais
en sûreté, que l’armée israélienne nous
sauverait, en Amérique. C’est ce qu’on
nous avait appris. Je ne l’ai pas
inventé »
Maintenant, elle dit d’elle même et
de ses amis : « C’est ce sur quoi nous
essayons de faire la lumière, avec notre
propre présence et notre propre
identité. Nous nous dressons contre la
violence des soldats israéliens. Nous
mettons nos corps entre les Palestiniens
et les soldats et les colons
israéliens. »
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