Palestine
« Sans prendre en considération
la population palestinienne »
Amira Hass
Le village
de Wadi Fukhin
Mercredi 5octobre 2016
Ce n’est pas la chose la plus
infamante que l’on puisse dire de la
police israélienne en général, et de
celle des districts de Judée et de
Samarie en particulier : Sur un mur du
bureau de police de Hébron / Kyriat Arba,
on peut voir une carte officielle de la
« région de Hébron » sur laquelle
les noms de plus de 200 communautés
palestiniennes ont été effacés.
La colonie de Negohot, par exemple,
est reprise sur la carte. Les villages à
l’ouest de cette colonie, tels Beit
Mirsam et Beit Awwa, n’existent pas.
Naturellement, Betar Ilit figure sur la
carte, mais les villages de Wadi Fukhin
et de Nahalin, dont les terres ont été
absorbées avec un appétit solide par la
vaste colonie, ont été effacés.
Laissez-moi vous dire ceci bien en
face : La carte en elle-même n’efface
pas la réalité. Les gens existent et
sont profondément enracinés dans leurs
communautés, leur histoire et leur
société, ils n’ont pas besoin d’une
confirmation de leur existence par la
police israélienne ou par un journaliste
israélien. En d’autres termes, la carte
ne témoigne aucunement de la situation
des Palestiniens mais uniquement de
celle des Israéliens.
Le fait de savoir que la police a été
négligente dans le repérage et
l’arrestation des émeutiers juifs qui
s’en prennent à des Palestiniens et
qu’elle ne dissuade pas les autres, est
bien plus rageant que cette carte
falsifiée. (La police partage avec les
FDI, le service de sécurité du Shin Bet
et le bureau du Ministère public la
responsabilité de la négligence et de
l’encouragement indirect des hooligans
juifs.) Mais il se fait que, lorsque la
population lésée est effacée d’une carte
que les policiers ont sous les yeux
quotidiennement, il est plus facile
d’ignorer les agressions dont elle fait
l’objet.
L’avocate Yehudit Karp a écrit sur la
non-application de la loi contre les
Juifs en Cisjordanie en 1982. En 1994,
la Commission Shamgarn, qui enquêtait
sur le massacre de fidèles musulmans
perpétré par le Dr Baruch Goldstein,
avait été outrée par le manque de
coordination entre les divers corps
censés faire appliquer les lois.
Aujourd’hui, des organisations comme
Al-Haq, B’Tselem et Yesh Din collectent
des informations et enquêtent sur cette
inaction. La négligence et l’impuissance
apparente qui perdurent depuis un
demi-siècle, ne constituent pas les
preuves d’un manque de
professionnalisme, mais bien d’une
intention délibérée.
Les gouvernements israéliens ont
poussé leurs citoyens à violer les lois
internationales et à s’implanter. Les
transgresseurs de la loi – dont le but
est d’effrayer les gens et de les
chasser de leurs terres – complètent le
travail de l’Administration civile.
Quand celle-ci vole de plus en plus de
terres aux Palestiniens et qu’elle les
déclare « terres de l’Etat »,
elle suit les ordres de ceux qui sont
au-dessus d’elle. Dans sa négligence, la
police agit elle aussi dans l’esprit de
ses supérieurs au gouvernement.
Israël est un État démocratique et
juif. Les dirigeants suprêmes sont élus
pour faire ce qui est bon pour les
Juifs. Tel est le contexte sociologique
et politique qui sous-tend la carte.
La carte, naturellement, a conservé
les noms de Bethléem, de Halhul et de
Hébron, mais leurs résidents ont été
effacés du tableau d’information à
l’arrière-plan. La carte fait remarquer
que 81 000 personnes vivent dans la
région (dont quelque 99,6 pour 100 de
Juifs) et un astérisque nous renvoie à
la note suivante : « Sans prendre en
considération la population
palestinienne. » Cette honnêteté
littérale qui jaillit directement de
l’inconscient est impressionnante. Après
tout, l’auteur aurait pu écrire
« non compris quelque 800 000
Palestiniens ». Mais il a choisi
les termes extrêmement précis « sans
prendre en considération… ».
La carte de la région de Hébron moins
les Arabes n’est pas la création
personnelle de la personne qui y a
apposé sa signature, le général de
division Daniel Hen, commandant du
département de planification de la
police. Il s’agit d’une création
collective israélienne qui reflète le
génie colonialiste des accords d’Oslo.
Les négociations d’Oslo et leurs suites
dans les accords « temporaires »
qui, depuis, sont devenus éternels et
sacrés, ont laissé Israël avec la
majeure partie du territoire et de ses
ressources naturelles, sans prendre les
résidents en considération. Ils ont
rejeté les gens et la responsabilité de
ces mêmes gens sur le dos des dirigeants
palestiniens, qui manquent de ressources
et d’autorité réelles. En d’autres
termes, ils ont délivré Israël de ses
responsabilités en tant que force
d’occupation, ce qu’il était et est
d’ailleurs resté.
Les transgresseurs de la loi et leurs
prédécesseurs israéliens au sein de
l’aile droite israélienne, qui devient
de plus en plus extrémiste, veulent
effacer l’existence des Palestiniens de
la réalité aussi, et pas seulement sur
la carte. Et c’est ici que se situe le
danger de cette carte. Elle reflète
l’inconscient et le non-dit israéliens,
qui aspirent à faire disparaître les
Palestiniens et, ce faisant, elle crée
et renforce l’impression qu’en pratique,
les Palestiniens n’existent pas.
Publié le 1 octobre 2016 sur
Haaretz
Traduction : Jean-Marie Flémal
Le sommaire d'Amira Hass
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