Focus
Qu'ont en commun les guerres en Ukraine,
à Gaza, en Syrie et en Libye ?
Alfredo Jalife-Rahme
Les jeux
vidéos « Call of Duty : Modern Warfare »
(les plus vendus dans le monde)
opposent les États-Unis à la Russie sur
fond de guerre pour le pétrole.
Jeudi 7 août 2014
Pour le géopoliticien mexicain Alfredo
Jalife-Rahme, la simultanéité des
événements éclaire leur signification :
après avoir annoncé la création d’une
alternative au Fonds monétaire
international et à la Banque mondiale,
donc au dollar, la Russie doit faire
face en même temps à l’accusation
d’avoir détruit le vol de la Malaysian
Airlines, à l’attaque de Gaza par Israël
soutenu par les renseignements
militaires US et britanniques, au chaos
en Libye et à l’offensive de l’Émirat
islamique au Levant. En outre, sur
chacun de ces théâtres d’opération, les
combats tournent autour du contrôle des
hydrocarbures, dont le marché était
jusqu’ici exclusivement opéré en
dollars.
Les calendriers,
les organigrammes, les schémas
d’information et les généalogies
sont des plus utiles à l’analyse
géopolitique. Ainsi, deux jours
avant que le mystérieux missile ne
fasse exploser en l’air l’avion de
la Malaysia Airlines –
événement aussi nébuleux que ce qui
s’est passé avec ses deux vols
récents – a pris fin le sixième
sommet des BRICS et de certains pays
membres de l’UNASUR, notamment la
Colombie et le Pérou [1].
Un jour avant le tir du missile
mortel, Obama a augmenté la pression
exercée contre la Russie et ses deux
ressources inextricables que sont
les banques et les ressources
énergétiques. « Pure coïncidence »,
le jour où le mystérieux missile a
été tiré en Ukraine, « Nétanyahu, à
la tête d’un État possédant l’arme
nucléaire, a donné l’ordre à son
armée d’envahir la bande de Gaza »,
comme l’a si bien fait remarquer
Fidel Castro dans sa dénonciation du
gouvernement putschiste ukrainien
qu’il a accusé d’avoir manié une
« forme inédite de provocation »
sous la férule des États-Unis [2].
Que peut bien donc savoir de
cette affaire le vieil empêcheur de
tourner en rond des Antilles ?
Alors que le mystérieux missile
mettait en miettes l’avion de la
Malaysia Airlines, Israël, un
État raciste et ségrégationniste,
envahissait la bande de Gaza,
contrevenant ainsi aux résolutions
de l’ONU et « se mettant à dos
l’opinion publique internationale »,
comme l’a déclaré l’ex-président
Bill Clinton [3].
Simultanément à la
« coïncidence » (dixit Castro) des
objectifs géopolitiques concernant
l’Ukraine et la bande de Gaza, les
affrontements de type confessionnel
et pour le contrôle des ressources
énergétiques ont pris de l’ampleur
dans les trois pays arabes jugés
« défaillants » par les stratèges
états-uniens que sont la Libye, la
Syrie et l’Irak, sans parler des
guerres au Yémen et en Somalie.
En Libye, pays balkanisé et
anéanti en raison de l’intervention
« humanitaire » menée par la
Grande-Bretagne et la France sous la
supervision hypocrite des
États-Unis, les milices rebelles des
brigades Zintan ont barré, rien que
deux jours avant le tir du
mystérieux missile en Ukraine, tous
les accès à l’aéroport international
de Tripoli (la capitale), tandis que
se sont multipliés les affrontements
entre les clans rivaux à Benghazi
d’où provenaient les armes destinées
aux djihadistes de Syrie et d’Irak
et où l’ambassadeur des États-Unis a
bizarrement été assassiné.
Au-delà de l’interconnexion des
flux d’armes entre la Libye, la
Syrie et l’Irak dans la région
d’Al-Qaïda/Al-Nusra et du nouveau
califat de l’Émirat islamique (Daesh) [4],
l’essentiel pour les multinationales
du pétrole, du gaz et de l’eau
états-uniennes, britanniques et
françaises est de contrôler les
matières premières (gaz et eau
douce) de la Libye où la Russie et
la Chine se sont naïvement fait
avoir [5].
Quant à l’appropriation du
pétrole irakien par le couple
Grande-Bretagne–États-Unis, qui a
valu à l’Irak, pays également
balkanisé et anéanti, « une guerre
de 30 ans », il serait mortellement
ennuyant de revenir sur cette
évidence.
Lors de mon récent séjour à Damas
où j’ai été interviewé par Thierry
Meyssan, le président du Réseau
Voltaire, celui-ci m’a confié que la
soudaine volte-face de « l’Occident
(quoi que l’on entende par là) »
contre Bashar El Assad est due en
grande partie – en plus des
gisements de gaz se trouvant sur la
côte méditerranéenne – à la pléthore
de gisements de pétrole que possède
la Syrie à l’intérieur du pays,
gisements qui sont désormais
contrôlés par le « nouveau califat
du XXIe siècle (Daesh) ».
L’interdépendance entre le
pétrole et le gaz refait surface à
Gaza cinq ans après l’opération
« Plomb durci », dont l’opération
« Bordure protectrice » (sic) en
cours a repris la stratégie sans
qu’une enquête ait établi de manière
concluante qui sont les responsables
de l’horrible assassinat de trois
jeunes israéliens – comme l’avait
prévu, de manière prémonitoire,
Tamir Pardo, le chef « visionnaire »
du Mossad [6]
– et qui a servi de prétexte à une
énième invasion israélienne de la
bande de Gaza et causé la mort d’un
grand nombre d’enfants.
Pour le géographe Manlio Dinucci,
du journal italien Il Manifesto
[7],
la pléthore de gisements de gaz dont
regorge la zone maritime de la bande
de Gaza est l’une des raisons de
l’irrédentisme israélien.
Tout comme la pléthore de
gisements de gaz de schiste dont
regorge la République autonome de
Donetsk, qui cherche à se séparer de
l’Ukraine ou à se fédérer avec elle,
est à l’origine de la féroce guerre
psychologique que se livrent les
médias pro-UE et prorusses pour
rejeter sur l’adversaire la
responsabilité de l’explosion de
l’avion de la Malaysia Airlines. Ne
pourrait-il pas s’agir d’une
opération montée par le gouvernement
ukrainien pour incriminer les
séparatistes à l’aide
« d’enregistrements » qui peuvent
très bien avoir été trafiqués pour
pouvoir les accuser de
« terrorisme » et ainsi les
anéantir ?
Cela fait deux mois que la chaîne
Russia Today (RT), de plus en
plus regardée en Amérique latine
pour contrer la désinformation des
médias israélo–anglo-saxons —ce qui
lui a valu d’être vouée aux gémonies
par le secrétaire d’État John Kerry—
souligne l’importance du gaz de
schiste dans la région de Donetsk
(la partie orientale de l’Ukraine
qui veut obtenir son indépendance)
et se demande si « les intérêts des
pétrolières occidentales ne seraient
pas derrière la violence » [8].
En effet, la partie orientale de
l’Ukraine, aujourd’hui en pleine
guerre civile, regorge « de charbon
et d’une myriade de gisements de gaz
de schiste dans le bassin de Dnieper-Donets ».
En février 2013, la pétrolière
britannique Shell a signé avec le
gouvernement ukrainien (le
précédent, celui qui a été déposé
par un coup d’État néonazi soutenu
par l’UE) un accord de répartition
des profits d’une durée de 50 ans
pour la prospection et l’extraction
du gaz de schiste dans la région de
Donetsk [9].
D’après la chaîne RT, « les
profits que Kiev ne veut pas
perdre » sont tels que le
gouvernement ukrainien a entrepris
une « campagne militaire
[disproportionnée] contre sa propre
population ».
L’année dernière, Chevron a signé
un accord similaire (avec le même
gouvernement déposé) d’une valeur de
10 milliards de dollars.
Hunter Biden, le fils du
vice-président des États-Unis, vient
d’être nommé au conseil
d’administration de Burisma, le plus
gros producteur de gaz privé (supersic)
en Ukraine [10],
ce qui « donne une nouvelle
perspective à l’exploitation du gaz
de schiste ukrainien » dans la
mesure où « il est détenteur de
permis qui couvrent le bassin de
Dnieper-Donets ». John Kerry ne
demeure pas en reste en ce qui a
trait à la répartition des profits
et Devon Archer, son ancien
conseiller et colocataire de son
beau-fils, s’est joint en avril à
Burisma, cette entreprise qui
suscite la polémique.
Les « permis » d’aliénation
cadastrale pour exploiter le gaz de
schiste ukrainien peuvent-ils servir
de « permis de tuer » des
innocents ?
La fracturation hydraulique
est-elle en train de fracturer
l’Ukraine ? Telle a été une
constante de la tragique histoire de
l’exploitation des hydrocarbures par
les pétrolières « occidentales » au
XXe siècle.
Force est de constater que les
hydrocarbures constituent le
dénominateur commun des guerres en
Ukraine, en Irak, en Syrie et en
Libye.
Traduction
Arnaud Bréart
Source
La Jornada (Mexique)
[1]
« Vers
une nouvelle architecture financière »,
par Ariel Noyola Rodríguez, Réseau
Voltaire, 1er juillet 2014. “Sixth
BRICS Summit : Fortaleza Declaration and
Action Plan”, Voltaire Network,
16 July 2014. « Momento
BRICS en Fortaleza », par Alfredo
Jalife-Rahme, 17 juillet 2014.
[2]
« Fidel
Castro : El derribo de avión malasio es
una "provocación insólita" de Ucrania »,
Russia Today (canal espagnol), 17
juillet 2014.
[3]
AFP, 17/07/14.
[4]
« Un
djihad mondial contre les BRICS ? »,
par Alfredo Jalife-Rahme, Traduction
Arnaud Bréart, La Jornada (Mexique),
Réseau Voltaire, 18 juillet 2014.
[5]
« El
botín del saqueo en Libia : "fondos
soberanos de riqueza", divisas,
hidrocarburos, oro y agua », par Alfredo
Jalife-Rahme, La Jornada, 28 août
2011.
[6]
« Le
chef du Mossad avait prédit l’enlèvement
de trois jeunes Israéliens », par
Gerhard Wisnewski, Traduction Hélène,
Réseau Voltaire, 8 juillet 2014.
[7]
« Gaza :
le gaz dans le viseur », par Manlio
Dinucci, Traduction Marie-Ange Patrizio,
Il Manifesto (Italie), Réseau
Voltaire, 17 juillet 2014.
[8]
« Shale
gas and politics : Are Western energy
giants’ interests behind Ukraine
violence ? », Russia Today
(canal anglais), 17 mai 2014.
[9]
« L’Ukraine
brade son secteur énergétique aux
Occidentaux », par Ivan Lizan,
Traduction Louis-Benoît Greffe,
Однако (Russie), Réseau Voltaire, 2
mars 2013.
[10]
« En
Ukraine, le fils de Joe Biden joint
l’utile à l’agréable », Réseau
Voltaire, 14 mai 2014.
Alfredo Jalife-Rahme
Professeur de
Sciences politiques et sociales à
l’Université nationale autonome du
Mexique (UNAM). Il publie des chroniques
de politique internationale dans le
quotidien La Jornada et
l’hebdomadaire
Contralínea. Dernier ouvrage
publié : El Hibrido Mundo Multipolar :
un Enfoque Multidimensional (Orfila,
2010).
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