La situation en Ukraine donne
souvent lieu à de nombreuses
interprétations fantaisistes
lorsqu’elles ne sont pas mensongères ou
propagandistes, par omission ou
méconnaissance bien souvent. L’idée de
cet article est de tenter de mettre un
cadre clair à ces événements, loin de
l’impartialité du Mainstream médiatique
occidental.
1) Les Ukrainiens qui manifestent se
battent pour lutter contre un président
illégitime
Malheureusement ce n’est pas totalement
vrai. Si la précédente
révolution en Ukraine de
l’hiver 2004, 2005 s’était déclenchée
dans les jours qui ont suivi les
résultats d’une élection serrée et
peut-être contestable, ce n’est pas le
cas aujourd’hui. Le président Viktor
Ianoukovitch a été élu le 7 février
2010, soit il y 4 ans, et le scrutin a
été déclaré par L'OSCE
« transparent et honnête ». Lors de ces
mêmes élections, le précédent président,
issu de la révolution de couleur, a lui
obtenu 5,5 % des voix. Viktor
Ianoukovitch est donc tout aussi
légitime à ce titre que Vladimir
Poutine, Barack Obama ou Angela Merkel.
2) Les Ukrainiens qui manifestent se
battent pour l’Europe
Ils seraient même « prêts à mourir pour
l'Europe, ce qui devrait nous faire
réfléchir » nous
affirmait récemment Serge
July. Malheureusement ce n’est pas
réellement le cas.
La lutte ne concerne pas l’Europe mais
des conditions de vie difficiles, une
corruption endémique et systémique
(datant de bien avant l’arrivée au
pouvoir d’Ianoukovich) et dont les
médias étrangers ne parlent que trop
peu. On peut du reste
ici constater les réelles
motivations qui peuvent pousser une
citoyenne lambda à aller manifester à
EuroMaïdan, et sans surprise, les
raisons sont principalement économiques
et non politiques.
Quand aux nombreux nationalistes qui
s’offrent une révolution, certains ont
pendu des portraits du
plus célèbre
collaborateur nazi
ukrainien dans les bâtiments
administratifs publics qu’ils occupent
pendant que d’autres se battent en
pensant que le combat pour
l’Europe est celui de la « fraternité
Blanche et Européenne ». Que dire sinon
que l’on peut sincèrement douter que
Bruxelles ne souhaite les accueillir à
bras ouvert?
3) Les Ukrainiens qui manifestent
cherchent à sortir d’une domination
russe qui perdure
A qui la faute ?
En réalité, la Russie a neutralisé
l’Ukraine du jeu géostratégique régional
(principalement énergétique) après la
révolution précédente de 2005. Cette
révolution de couleur avait vu l’accès
au pouvoir de l’élite politique dirigée
par Viktor Iouchtchenko. Seulement un an
après son élection, le nouveau pouvoir
ukrainien a déclenché une guerre
énergétique en obstruant le transfert du
gaz russe vers l’Europe. La construction
de South Stream et North Stream était à
ce titre destiné à réduire à néant le
pouvoir de nuisance de l’Ukraine en tant
qu’Etat de transit et permettre un
approvisionnement stable de l’Europe par
la Russie, comme elle le fait en Turquie
via Blue Stream.
Ce faisant, les pertes économiques pour
l’Ukraine ont été énormes et la
responsabilité incombe au pouvoir
politique en place à ce moment.
L'Ukraine est aujourd’hui un pays en
très mauvaise santé économique et
morale, dont une grande partie des
jeunes émigrent ou souhaitent émigrer
pendant que le pays fait face a une
crise démographique
absolument terrible dont
là encore les médias étrangers ne
parlent que trop peu.
4) Les Ukrainiens qui manifestent
cherchent à sortir d’une gouvernance qui
ruine le pays en le mettant à la merci
de la Russie
Aujourd’hui, l’Ukraine est terriblement
dépendante de la Russie du point de vue
économique. En effet, 23,7% de ses
exportations vont vers la Russie et 20%
de ses exportations vers L’UE (soit 27
pays), qui ne compte elle que pour 26%
des exportations et 31% de ses
importations.
Quand à la
mainmise de la Russie sur
l’économie ukrainienne, elle ne date pas
d’hier et de la période Ianoukovitch
mais de la période
2002-2004 et a continué de
façon
importante ses dernières
années. Ces investissements lourds
russes ont par ailleurs largement
contribué a éviter un effondrement
économique total de l’Ukraine durant la
crise de 2009, année ou la croissance a
été de -15% et est depuis deux ans
inferieure a 1%. L’accord
avec la Russie (permettant à l’Ukraine
d’obtenir
15 milliards de dollars)
s’apparente donc plus à une nécessité
pour éviter la banqueroute qu’à un choix
politique. En outre il ne faut pas
oublier que la dette à court terme du
pays
équivaut à plus de 150 %
de ses réserves de change et que
l’Ukraine doit rembourser six milliards
d'euros au Fonds monétaire international
d'ici à la fin 2014.
L’accord d’association avec l’UE ne
prévoyait lui une aide que
de 800 millions d’euros et des
conditions d’austérité à la Grecque. Les
Ukrainiens peuvent en réalité dire merci
sur ce point à leur président.
5) Les Ukrainiens qui manifestent
représentent la majorité du peuple
Cela semble vraiment peu plausible.
L’Ukraine est un grand pays qui comprend
45 millions d’habitants mais ce sont
seulement quelques centaines de milliers
de personnes qui manifestent.
Des calculs sérieux ont été fait
démontrant que de toute façon la place
Maïdan à Kiev ne peut pas contenir plus
de 300.000 personnes, comme démontré
ici et
là. Si en novembre et
décembre la place était pleine
régulièrement, ce n’est plus le cas
actuellement. Le mouvement
s’essoufflerait il ? En outre parmi les
milliers d‘activistes qui choisissent la
confrontation avec l’Etat se trouvent de
nombreux nationalistes et autres
radicaux qui ne représentent évidemment
pas du tout la majorité des Ukrainiens.
Dans son ensemble si la population
ukrainienne
semble elle toujours plus
décidée à rejoindre l’Union Européenne
que l’Union douanière (41% contre 35%),
il n’y a donc pas 50% de la population
qui souhaite que le pays devienne le
énième membre de l’Union de Bruxelles.
6) L’ingérence russe dans cette affaire
est honteuse
De quelle ingérence russe parle t-on?
A-t-on vu des russes intervenir en
Ukraine durant les 10 dernières années ?
Ce sont les occidentaux qui s’ingèrent
dans la crise en Ukraine et ce à divers
niveaux. L’un des visages de
l’opposition est le boxeur
Klitchko dont le parti
UDAR est soutenu
officiellement par la CDU allemande.
Ce sont des députés européens qui se
sont
montrés à Kiev au milieu
des manifestants contre le pouvoir
ukrainien. Le sénateur américain John
McCain est lui aussi
intervenu à Kiev en
affirmant que l’Europe rendrait
l’Ukraine meilleure.
De la même façon, des
étrangers (polonais) font
partie des blessés et un militant
d’extrême droite biélorusse a lui été
tué. Que faisaient-ils-là
?
Que n’aurions-nous pas entendu s’il
s’était agi de responsables russes
proches de Russie Unie ou si la Russie
soutenait ouvertement un parti politique
comme l’Allemagne le fait en
soutenant directement le
parti du boxeur Klitchko ?
7) Les manifestants
se défendent contre des policiers
agressifs et violents
Des violences ont eu lieu des deux
cotés, c’est indéniable, regrettable et
condamnable et il faut souhaiter (rêvons
un peu) que lumière soit faite sur ces
événements.
Pourtant les manifestations ont
commencé fin novembre et ont longtemps
été pacifiques. Pourquoi ont-elles
finalement dégénéré comme c’est
systématiquement le cas lors des longues
semaines de manifestations qui précèdent
les révolutions de couleurs ?
Lorsque des incidents ont éclaté
et/ou que des bâtiments ont été occupés
par la force, l’Etat a réagi. Comment
aurait-il pu en être autrement? Dans
quel Etat de droit cela se serait passé
différemment ? Tolérerait-on en France
que 10.000 casseurs saccagent puis
occupent le ministère de
la Justice ?
Les blogueurs russes donnent une
vision des deux cotés de la barricade,
il est intéressant de lire les
commentaires et de regarder les images
pour se faire une idée, voir
ici et
là. Ce que l’on sait,
c'est que les manifestants sont
également extrêmement violents, sur le
modèle des hooligans et supporters de
foot. Que l’on en juge sur ces images
impressionnantes des
bagarres de rue (ici,
là,
ici ou
là) où l’on peut voir que
les policiers sont
brulés vivants à coup de
cocktails Molotov ou se font même
tirer dessus et
tuer ou aussi séquestrer.
Est-ce bien l’âme de l’Europe qui
transcrit dans le comportement des
manifestants ?
8) L’Etat ukrainien
doit cesser sa répression contre les
manifestants
Partout dans le monde, des
manifestations dégénèrent et partout
dans le monde, l’Etat rétablit l’ordre
et très souvent par la force.
Lorsque dimanche dernier, quelques
centaines de manifestants ont attaqué
les forces de l’ordre en France suite a
la manifestation du «
jour de colère », il y a eu 250
interpellations et les autorités
françaises n’ont pas hésité à
immédiatement « condamner avec la plus
grande fermeté les violences contre les
forces de l’ordre commises par des
individus, des groupes hétéroclites, de
l’extrême et de l’ultra droite, dont le
but n’est que de créer du désordre en
n’hésitant pas à s’en prendre avec
violence aux représentants des forces de
l’ordre » tout en « saluant le sang
froid des policiers et des gendarmes et
leur maîtrise devant des comportements
totalement irresponsables ».
Pourquoi dès lors n’est-ce pas le cas
en Ukraine, alors que depuis quelques
jours, 270 policiers ont été blessés, un
tué et deux séquestrés ?
On peut se demander ce qui justifie
ce
double standard et il faut regarder
ces images venues des pays occidentaux
qui montrent comment les polices des
démocraties
répriment fortement les
manifestants parfois alors que ceux-ci
sont bien plus pacifiques que les ultras
ukrainiens.
D’anciens policiers occidentaux
aujourd’hui à la retraite ont du reste
expliqué que dans de
telles situations, les policiers
ukrainiens n’avaient sans doute pas eu
d’autres choix que de répondre comme ils
l’ont fait.
Imagine-t-on en France lors de la
Manif Pour Tous que des milliers de
manifestants assiègent Paris et
détruisent le centre ville en occupant
des bâtiments ? Non, bien évidemment.
9) Le pouvoir
Ukrainien est un pouvoir aux mains
d’oligarques qui refusent l’entrée dans
l’Europe souhaitée par le peuple
Non, en réalité les choses ne sont
pas aussi simples.
Les oligarques ukrainiens dont on
parle souvent sont proches du président
actuel car comme lui originaires de
l’Est du pays, de la partie industrielle
du pays. Ce sont ces hommes d’affaires
qui poussent le président Ianoukovich à
ne pas prendre trop clairement position
entre la Russie et l’Europe car leur
plus grande crainte est une entrée dans
l’Union Douanière qui les mettrait à la
merci des gigantesques corporations
russes.
10)La seule solution
est l’entrée dans l’Europe ou la
scission de l’Ukraine en deux
C’est toute l’ambigüité du grand jeu
qui se déroule en Ukraine.
La plupart des Ukrainiens comme des
manifestants ne veulent pas
l’intégration de l’Ukraine en Europe
mais rêvent d’une indépendance nationale
plus affirmée. L’Europe n’est pour eux
qu’un prétexte (un
rêve) pour tenter d’exprimer ce
souhait d’indépendance nationale plus
affirmée. L’idée des manifestants
est finalement la même que celle des
oligarques proches de Ianoukovitch que
les premiers critiquent pourtant : il
sera plus facile de manipuler Bruxelles
que Moscou.
L’EuroMaïdan est aussi l’expression
du désarroi de nombre d’habitants face à
la catastrophique situation économique
que le pays connaît et qui ne date pas
de 2010 et de l’élection d’Ianoukovitch
qui a récupéré les rennes du pays en
pleine crise mondiale. On trouve les
mêmes schémas de pensée en France chez
ceux qui accusent Hollande de tous les
maux alors que celui-ci est surtout
arrivé en poste au plus mauvais des
moments politico-historiques récents en
France. Le pays étant en réalité dans
une situation catastrophique après 30
ans de gestion calamiteuse.
Il est certain que l’Ukraine
n’intégrera jamais l’UE dans un avenir
proche pour des raisons tant économiques
que politiques. Personne ne dit le
contraire aujourd’hui. Quand à la
scission du pays en deux,
elle pourrait résulter non de la volonté
des puissances voisines mais surtout
d’initiatives citoyennes de régions de
l’Ouest et de l’Est, ou du sud (Crimée)
qui proclameraient de micro-autonomies
locales. Cette solution ne semble pas
(encore ?) à l’ordre du jour à moins
d’imaginer une Ukraine sans Crimée ?
Sur la tendance longue on constate à
l’inverse que la partie Est (pro russe)
et centrale/Nord du pays (plus pondérée)
se
dépeuple plus rapidement
que la partie Ouest,
pro-européenne
électoralement parlant. Cette tendance
est plus accentuée au sein des classes
d’âges les plus jeunes pendant que les
plus de 50 ans sont eux plus enclins a
souhaiter une intégration à l’Union
douanière, comme on peut le constater
ici.
11) Il ne s’agit pas
d’une révolution de couleur, les gens
sont volontairement dans la rue
C’est justement l’équation
essentielle de fonctionnement d’une
révolution de couleur :
une masse sincère doit être attisée à
descendre dans la rue pour défendre des
intérêts qui sont soient légitimes, soit
dont on l'a convaincu qu’ils l’étaient.
La désinformation en cela aide
énormément à préparer ces masses qui
sont cela dit drivées par des activistes
ou des leaders politiques. Ceux qui ont
des doutes à ce sujet peuvent lire
l’entretien donné à ce
sujet par l’un des maitres à penser et
activiste de la révolution de couleur en
Serbie.
En toile de fond, les leaders
occidentaux utilisent cette situation
pour tenter d’extraire une nouvelle fois
l’Ukraine de la sphère d’influence russe
sur le plan stratégique, politique et
militaire, en étant prêts à créer un
précédent historique et
politico-juridique extrêmement
dangereux: renverser un pouvoir légitime
par le biais de groupes radicaux
d’extrême droite. On voit bien les
nombreuses ingérences extérieures dans
ces événements (voir point 6) masqués du
reste par une intense propagande sur la
soi-disant ingérence russe.
Les manifestants ukrainiens ne se
rendent eux pas compte bien entendu que
leur révolution est destinée à servir
des intérêts supérieurs, non nationaux,
car ils sont sincères dans leur souhait
de simplement vivre mieux.
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