Opinion
À l'ouverture des négociations de
Genève, les États-Unis accusent sans
preuves la Syrie de torture
Alex Lantier
Photo:
SANA
Jeudi 23 janvier 2014
Avec l'ouverture en
Suisse, aujourd'hui 22 janvier, des
négociations internationales de Genève
II sur la guerre en Syrie, les médias
américains ont lâché des accusations
sans preuves contre le régime du
président Syrien Bashar el-Assad,
soulevées par des procureurs
internationaux des droits de l'homme,
faisant état de tortures et de meurtres.
Ces accusations ont
fait surface au moment où les espoirs de
Washington de se servir des négociations
de Genève pour imposer un changement de
régime à Damas se sont rapidement
évanouies avec la montée des tensions
internationales. Les représentants de
l'opposition, qui exigent toujours le
départ d'Assad alors qu'ils perdent du
terrain face à ses troupes, ont presque
refusé de participer aux négociations.
Assad, pointant les liens étroits et
bien connus de l'opposition avec Al
Qaïda, a insisté sur l'idée que
l'objectif des négociations de Genève ne
devraient être que de lutter contre le «
terrorisme » - c'est-à-dire contre
l'opposition soutenue par les
États-Unis.
Le président
américain Barack Obama et le président
russe Vladimir Poutine auraient
également discuté par téléphone hier de
la conférence de Genève et des jeux
olympiques à venir à Sotchi. Après les
attentats suicides dans la ville russe
de Volgograd le mois dernier, Moscou
craint que les terroristes islamistes
tchétchènes, dont beaucoup luttent aux
côtés de l'opposition syrienne soutenue
par les États-Unis, n'attaquent les jeux
olympiques.
Les plans
concernant ces négociations de Genève
ont fait un fiasco cette semaine,
lorsque l'Arabie saoudite et
l'opposition syrienne ont menacé de les
boycotter si l'Iran s'y rendait, après
quoi Washington a forcé l'ONU à retirer
l'invitation de l'Iran, principal allié
de la Syrie avec la Russie.
L'ex envoyé
américain au Moyen-Orient Dennis Ross a
déclaré au New York Times qu'il
ne pensait pas que les négociations de
Genève seraient un succès : « Un agenda
doit être fixé, les parties doivent
vouloir certaines réussites minimales,
les co-organisateurs doivent partager
certains objectifs, et il doit y avoir
suffisamment d'influences sur ceux qui
se battent pour permettre certains
compromis. La plupart de ces conditions
ne sont pas réunies. »
Dans cette
situation tendue, des éléments de
l'élite médiatique et diplomatique
américaine accentuent la propagande pour
faire pression sur le régime syrien et,
si besoin est, fournir un prétexte à une
action de l'armée américaine contre
Damas. Un rapport, présenté à CNN et au
journal Guardian, affirme être en
possession de photographies donnant «
des preuves claires » que le régime
syrien aurait privé de nourriture,
torturé et assassiné 11 000 prisonniers.
Ce rapport et sa
présentation dans les médias sont une
fraude politique et une provocation.
Commandé par le cabinet d'avocats
Carter-Ruck à Londres pour le compte du
Qatar, qui finance l'opposition liée à
Al Qaïda en Syrie, ce rapport de 31
pages ne contient aucune preuve des
crimes qu'il invoque.
Il a été rédigé par
trois agents de l'impérialisme américain
et britannique qui ont déjà fait leurs
preuves : deux ex-procureurs de la Cour
spéciale de l'ONU pour la Sierra Leone,
Desmond de Silva QC et le professeur
David Crane, et un ex-procureur du
Tribunal pénal international pour la
Yougoslavie, Geoffrey Nice QC.
Crane, ex-employé
de la Defense Intelligence Agency
(DIA – le renseignement militaire
américain) a déclaré au Guardian
: « Maintenant nous avons des preuves
directes de ce qu'il advenait aux
disparus. C'est la première preuve
tangible, directe, de ce qui s'est passé
concernant au moins 11 000 êtres humains
qui ont été torturés et exécutés et dont
on s'est débarrassé des cadavres. C'est
stupéfiant […] nous avons la personne
qui a pris ces photos. Ce sont des
preuves qui rentrent dans la catégorie
'au-delà du doute raisonnable'. »
En fait, ce rapport
n'a aucune preuve pour soutenir les
allégations de Crane, ou même pour
prouver que les victimes ont été tuées
par les forces d'Assad. Toutes les «
preuves » citées par ce rapport
consistent en des photographies que
personne n'a vues et qui se trouveraient
sur une clé USB détenue par un agent
dont le nom de code est « Caesar », qui
travaille avec les groupes de
l'opposition syrienne depuis septembre
2011.
« Caesar » a été
brièvement auditionné, dans un pays du
Moyen-Orient non précisé, par trois
avocats les 12, 13 et 18 janvier. Ces
avocats et l'équipe scientifique qui
leur est associée ont préparé ce rapport
sans avoir accès à l'ensemble du contenu
de la clé USB de « Caesar ».
Celui-ci affirme
qu'il a sur sa clé 55 000 photographies
des dépouilles des victimes de tortures
et de meurtres que le régime Assad lui
aurait demandé de prendre lorsque «
Caesar » travaillait comme policier
militaire. Il n'y a aucune explication
crédible sur la raison pour laquelle le
régime d'Assad, s'il avait torturé et
assassiné 11 000 personnes, aurait
demandé à « Caesar » de rassembler
méthodiquement des preuves là-dessus.
Ce rapport déclare,
« 5500 images ont été examinées au total
par l'équipe scientifique […] sur ces
5500 images, un total de 835 personnes
décédées ont été examinées en détail.
Sur celles-ci, 20 pour cent montrent des
signes de traumatismes et 30 pour cent
étaient équivoques. Quarante-deux pour
cent montrent des signes d'émaciation. »
C'est-à-dire que
les auteurs du rapport n'ont pas vu la
preuve que 11 000 personnes ont été
tuées, un nombre pour lequel ils
s'appuient entièrement sur « Caesar » et
sur le régime inconnu du Moyen-Orient
qui l'accueille. Ce nombre de 11 000
morts cité dans la presse ne s'appuie
sur aucune preuve.
Ce rapport montre
bien une dizaine de ces photographies,
dont plusieurs corps horriblement
émaciés. Cependant, comme « Caesar » et
l'équipe de Carter-Ruck ont flouté les
marquages de date et de lieu sur les
photos, il est impossible de savoir où
ni par qui ils ont été tués.
Si le régime Assad
est connu pour pratiquer la torture,
ayant torturé des suspects que les
services de renseignement occidentaux
leur avaient confiés dans le cadre de la
« guerre contre le terrorisme », avant
que l'impérialisme américain ne décide
de soutenir Al Qaïda contre Assad, il
est loin d'être le seul suspect
possible.
Étant donné que
l'opposition islamiste organise des
escadrons de la mort dans les zones de
Syrie qu'elle contrôle, menant des
exécutions sommaires, détenant des
journalistes, et frappant les
prisonniers, l'on pourrait
raisonnablement supposer que ce rapport
montre des civils torturés et tués par
les forces soutenues par les États-Unis.
Ce rapport conclut,
« Nous étant entretenus méthodiquement
avec ''Caesar'' et ayant évalué ses
preuves à la lumière des éléments
disponibles, l'équipe d'enquête conclut
qu'il est un témoin sincère et crédible.
Il ne s'est pas révélé chercher à
''faire sensation'' ni n'a semblé
''partisan''. »
En fait, l'ensemble
du rapport, depuis son financement par
la monarchie Qatari, jusqu'à ses liens
avec les renseignements américains et
son appui sur des preuves qui restent
cachées fournies par l'opposition
syrienne, est « partisan ».
Comme l'a admis da
Silva sur CNN, « En fin de compte, la
validité de nos conclusions dépend de
l'intégrité des gens impliqués. »
Puisque les « gens impliqués » dans ce
rapport sont politiquement liés aux
attaques menées par les islamistes liés
à Al Qaïda, dont l'attaque chimique en
mai dernier par les forces de
l'opposition à Khan al-Assal, qu'ils ont
tenté d'imputer aux forces d'Assad,
leurs conclusions n'ont absolument
aucune crédibilité ni aucune validité.
La réaction de
l'élite politique américaine à ces
événements témoigne de sa faillite. Cela
fera dix ans cette année que des
milliers de photos montrant la pratique
à grande échelle de tortures, de viols
et le meurtre de détenus dans la prison
américaine d'Abu Ghraib en Irak occupé,
ont été révélées. Ces photographies ont
été oubliées, quelques soldats en bas de
l'échelle ont été punis, et la violence
contre les prisonniers irakiens et toute
la population irakienne de la part de
l'impérialisme américain s'est
poursuivie.
Par contraste, au
moment où les États-Unis sont sur le
point de lancer de nouvelles guerres au
Moyen-Orient, des rapports totalement
dénués de preuves sur des photos de
tortures sont agités dans les médias
pour diaboliser cette dernière cible en
date de l'agression impérialiste
américaine.
Plus de dix ans
après que l'impérialisme américain se
soit servi de renseignements manipulés
comme prétexte pour lancer une guerre
illégale contre l'Irak, le gouvernement
et les responsables des droits de
l'Homme ont réagi à cette dernière
provocation en aggravant les tensions
avec Assad.
Des responsable
américains ont déclaré au Guardian
: « Nous condamnons dans les termes
les plus forts possibles les actions du
régime et appelons à ce qu'il adhère aux
obligations internationales en ce qui
concerne le traitement des prisonniers.
» Il ont ajouté que ce rapport «
assombrit le contexte » des négociations
de Genève.
La branche
Moyen-Orient/Afrique du Nord d'Amnesty
International a demandé à savoir «
pourquoi le Conseil de sécurité [de
l'ONU] n'a pas encore référé cette
situation en Syrie au procureur de la
Cour pénale internationale.
(Article original
paru le 22 janvier 2014)
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Publié le 23 janvier 2014 avec l'aimable
autorisation du WSWS
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