Les mensonges de
BHL (suite, sans fin)
Israël, les juifs et Gaza
Alain Gresh

Photo:
D.R.
Lundi 21 juillet 2014
A chaque offensive
israélienne contre Gaza, nous
avons droit à un nouvel
éditorial de Bernard-Henri Lévy
et à une accumulation de
mensonges. Ce fut le cas en
décembre 2008, quand l’homme
rendait compte de l’invasion
israélienne sur la tourelle d’un
char. Ce fut le cas en
novembre 2012. C’est à
nouveau le cas avec sa dernière
chronique, « Gaza Paris », parue
sur le site de la revue qu’il
dirige,
La Règle du jeu, le
15 juillet dernier. Le discrédit
de cet essayiste dont les livres
ne se vendent plus n’empêche pas
les médias de lui ouvrir leurs
colonnes et leurs plateaux à
l’envi [1].
Au demeurant, ce texte concentre
tous les mensonges proférés sur
la Palestine, et largement
repris ailleurs.
Premier mensonge, la photo
qui illustre l’article et qui
prétend montrer la synagogue de
la rue de la Roquette assiégée.
Une fois de plus BHL se prend
les pieds dans le tapis, car
selon le rabbin, il n’y eu
aucune attaque contre la
l’établissement (« Incidents
rue de la Roquette : Serge
Benhaim dément toute attaque de
la synagogue », ITélé,
18 juillet). D’où vient la
photo ?

Photo: D.R.
« Ainsi donc il s’est
trouvé des milliers d’hommes
et de femmes pour, ce
dimanche, à Paris, sous
couvert de “défense de la
Palestine”, s’en prendre à
nouveau aux juifs. A ces
imbéciles doublés de
salopards, ou l’inverse, on
rappellera, à toutes fins
utiles, que confondre juifs
et Israéliens dans une même
réprobation est le principe
même d’un antisémitisme qui,
en France, est puni par la
loi. »
De s’en prendre aux juifs ?
On sait que l’affaire de
l’attaque de la synagogue a été
montée de toutes pièces, que
l’AFP, qui l’a rapportée,
n’avait aucun journaliste sur
place, et que les médias ont été
contraints de rectifier.
Les déclarations de Michèle
Sibony, secrétaire générale
adjointe de l’Union juive
française pour la paix (UJFP)
sur LCI ont permis de remettre
les pendule à l’heure et de
rappeler que non seulement il
n’y a eu aucun slogan antisémite
dans la manifestation, mais que
de nombreux juifs y ont
participé.
On sait qu’il y a eu quelques
affrontements entre des nervis
de la Ligue de défense juive
(LDJ) — organisation fasciste
interdite en Israël et aux
Etats-Unis que les autorités
françaises refusent de dissoudre
— et une centaine de jeunes dont
certains ont crié des slogans
antisémites répondant aux
slogans anti-arabes de leurs
adversaires. Il faut les
dénoncer avec force et dénoncer
tous ceux qui amalgament juif et
Israélien.
Car BHL a raison, il faut
bannir l’identification juif et
Israélien. Mais qui contribue à
la créer ? Israël, qui refuse
l’existence d’une nationalité
israélienne et ne reconnaît que
des juifs et des Arabes parmi
ses citoyens. Israël, qui
affirme être un « Etat juif » et
qui parle de son armée comme
d’une « armée juive ».
Et quand l’armée israélienne
organise en mai 2014 une
rencontre à la synagogue de la
Victoire pour vanter ses
mérites et pour recruter, qui
crée l’identification
Israélien/juif ? (Devant la
“publicité” un peu encombrante,
la réunion a été annulée). Quand
s’organise à Paris tous les ans
un gala de soutien à la police
des frontières israéliennes, qui
importe le conflit en France ?
L’ambassadeur de France à
Tel-Aviv ne manque pas de
saluer « l’engagement
courageux » de jeunes
Français dans l’armée
israélienne. Que dirait le
gouvernement français si de
jeunes Français musulmans
allaient se battre en
Palestine ? Et pourtant il
accepte que
certains participent aujourd’hui
à l’offensive contre Gaza.
« On rappellera qu’aucune
indignation, aucune
solidarité avec quelque
cause que ce soit ne
saurait, je ne dis même pas
autoriser, mais excuser, ce
geste virtuellement
pogromiste qu’est la
tentative d’intrusion, par
la violence, dans une
synagogue.
A ces salopards doublés
d’imbéciles, ou l’inverse,
on redira que se rassembler
derrière des Qassam en
carton-pâte censés
reproduire les obus tirés, à
l’aveugle, sur les femmes,
les enfants, les vieillards,
bref, les civils d’Israël,
n’est pas un acte anodin
mais un geste de soutien à
une entreprise terroriste.
A ceux d’entre eux, s’il
y en a, qui avaient
réellement à cœur, enfin, la
cause de Gaza et qui
défilaient sous des
banderoles évoquant les
dizaines d’innocents tués
depuis qu’a commencé la
contre-offensive
israélienne, on n’aura pas
la cruauté de demander
pourquoi ils ne sont jamais
là, jamais, sur le même pavé
parisien, pour pleurer, non
les dizaines, mais les
dizaines de milliers
d’autres innocents tués,
depuis trois ans et demi,
dans cet autre pays arabe
qu’est la Syrie. »
L’argument revient en boucle
tout au long des luttes de ces
dernières décennies. Vous vous
mobilisez pour l’indépendance de
l’Algérie, pourquoi vous ne
faites rien contre les
dictateurs arabes ? Vous vous
mobilisez contre l’agression
américaine au Vietnam, pourquoi
vous ne protestez pas contre le
goulag ? Vous dénoncez l’Afrique
du Sud de l’apartheid, et le
gouvernement de Pretoria
rétorquait : regardez plutôt les
crimes commis au Congo ou en
Ethiopie.
« Etats
fantômes au Proche-Orient »,
dossier du Monde diplomatique
de juillet 2014. Je ne sais
pas ce qui permet de dire à BHL
que les manifestants qui sont
descendus dans la rue ces
derniers jours ne se
mobilisaient pas pour d’autres
causes. J’en connais qui ont
fait beaucoup pour dénoncer le
régime syrien. Mais il est vrai
que la cause palestinienne est
emblématique, non pas par le
nombre de victimes, mais par le
fait que c’est le dernier
conflit colonial. J’ai
longuement expliqué dans
De quoi la Palestine est-elle
le nom ? pourquoi il
était un conflit symbolique, sur
la ligne de fracture de l’Orient
et de l’Occident, du Nord et du
Sud.
« Mais on fera observer
que, pour ces tués-ci, pour
ces dizaines de femmes,
enfants, vieillards, bref,
civils, qui, si la fuite en
avant criminelle du Hamas
n’est pas stoppée, seront,
demain, des centaines, il y
a, non pas un, mais deux
responsables : le pilote
qui, visant une rampe de
missiles iraniens cachée
dans la cour d’un immeuble,
touche par erreur l’immeuble
voisin ; mais aussi, voire
d’abord, ces monstres de
cynisme qui, au message du
pilote annonçant qu’il va
tirer et invitant les
voisins à quitter le
quartier pour se mettre à
l’abri, répondent
invariablement : “que
personne ne bouge ; que
chacun reste à son poste ;
que 10, 100 martyrs offrent
leur sang à la sainte cause,
inscrite dans notre charte,
de la destruction de l’Etat
des juifs”. »
D’abord il est évident que la
citation donnée par BHL « que
personne ne bouge, etc. » est
une pure fabrication. Il est
clair que les Palestiniens
hésitent à quitter leur maison
de peur qu’elle ne soit pillée
et détruite comme chaque fois
que l’armée israélienne envahit
un territoire. Il est clair
aussi que certaines pratiques
des groupes armés — et rappelons
qu’à Gaza se battent aux côtés
du Hamas, le Jihad islamique, le
Front populaire pour la
libération de la Palestine
(FPLP) et des groupes liés au
Fatah — sont condamnables. Mais
rappelons également qu’Amnesty
International a dénoncé dans
son rapport de 2010 (sur
l’invasion israélienne de Gaza)
l’utilisation de Palestiniens
par l’armée israélienne comme
boucliers humains. Et que,
encore une fois, nous n’avons
pas affaire à deux armées qui se
battent à armes égales. Il faut
toujours rappeler cette formule
du dirigeant du Front de
libération nationale algérien
Larbi Ben M’hidi, arrêté le
23 février 1957 par l’armée
française et interrogé par des
journalistes à propos du FLN
posant des bombes dans des cafés
dissimulées dans des couffins :
« Donnez-nous vos avions,
nous vous donnerons nos
couffins. » L’homme sera
« suicidé » par Paul Aussaresses
quelques jours plus tard.
« Et quant aux autres,
quant à ceux qui considèrent
ces débordements en songeant
que des fièvres partagées en
sont probablement la cause,
quant aux médias qui ne
cessent d’évoquer en boucle
l’“agression” israélienne,
ou la “prison” qu’est
devenue Gaza, ou la
“spirale” des “violences” et
des “vengeances” censée
alimenter cette guerre sans
fin, on leur objectera :
1. qu’il n’y a pas
agression, mais
contre-attaque d’Israël face
à la pluie de missiles qui,
encore une fois,
s’abattaient sur ses villes
et qu’aucun Etat au monde
n’aurait tolérés si
longtemps ; »
Si la France recevait des
obus tirés de Suisse ou de
Belgique, ne répondrait-elle pas
à cette agression ? Seulement la
France n’occupe pas la Suisse et
la Belgique depuis des décennies
et ne risque donc pas de voir
s’abattre sur elle des obus.
« 2. que Gaza est, en
effet, une sorte de prison
mais que, les Israéliens
l’ayant évacuée depuis
bientôt dix ans, on voit mal
comment ils pourraient en
être les geôliers — mais
quid, par contre, du Hamas
qui tient l’enclave sous le
joug, qui traite ses
habitants comme des otages
et qui, alors qu’il lui
suffirait d’un mot ou, en
tout cas, d’une main tendue
pour que cesse le cauchemar,
préfère aller au bout de sa
folie criminelle ? »
Il n’y a que BHL pour croire
qu’il n’y a pas de geôliers à
Gaza. Ces geôliers ont beau être
à l’extérieur, la bande de Gaza
reste un territoire occupé : les
Nations unies continuent de la
considérer comme tel parce que
ses accès terrestres, maritimes
et aériens restent dépendant
d’Israël — qui interdit l’accès
à des franges importantes de
Gaza (30% des terres agricoles)
ainsi qu’à la mer au-delà de
6 miles (réduites à 3 miles
depuis le début de
l’opération —, que l’état civil
reste aux mains des Israéliens,
que le blocus imposé par Israël
depuis 2007 reste en vigueur,
malgré les condamnations
« verbales » unanimes de la
communauté internationale,
Etats-Unis compris.
« 3. qu’entre les
violences et vengeances que
l’on nous présente comme
“symétriques”, entre le
meurtre des trois
adolescents juifs kidnappés
et retrouvés morts près de
Hébron et le meurtre du
jeune Palestinien brûlé vif,
deux jours plus tard, par un
gang de barbares qui fait
honte aux idéaux d’Israël,
il y a une différence qui ne
change, hélas, rien au deuil
des quatre familles mais
qui, pour ceux qui ont la
possibilité et, donc, le
devoir de garder la tête
froide, change tout : les
autorités politiques,
judiciaires et morales
d’Israël se sont horrifiées
du second, l’ont condamné
sans réserve et ont fait en
sorte que l’on traque et
arrête sans tarder ses
présumés coupable[s] ; pour
le premier, dont les auteurs
courent toujours, il fallait
avoir l’oreille bien fine
pour entendre quelque mot
que ce soit dans les rangs
palestiniens — si, tout de
même, une phrase, celle de
Khaled Mechaal, chef en exil
du Hamas, “félicitant” les
“mains” qui ont “enlevé” les
trois jeunes gens
brutalement requalifiés,
pour l’occasion, de “colons
juifs” »
BHL semble ignorer les
campagnes de haine qui déferlent
sur Israël depuis des années et
qui amène une majorité des
habitants à souhaiter
l’expulsion des citoyens arabes
de l’Etat. Ignorer encore le
rôle des colons et des
groupuscules d’extrême droite
qui disposent, depuis des
années, d’une impunité totale,
et qui ont multiplié les
agressions contre les Arabes.
« Je doute que ces
remarques puissent avoir
quelque effet sur les
djihadistes du dimanche,
toujours les mêmes, qui, un
jour, déplorent qu’on les
empêche de rire avec
Dieudonné ; un autre qu’on
leur interdise de dire leur
respect pour Mohamed Merah ;
et, un autre, que la
diplomatie française ne se
range pas comme un seul
homme derrière les
“indignés” pro-Hamas. »
C’est ce qu’on appelle un
amalgame. Mérite-t-il vraiment
une réponse ?
« Le reste de la France,
en revanche, les femmes et
hommes de bonne volonté,
ceux qui n’ont pas renoncé
au rêve de voir, un jour,
cette terre enfin partagée,
on aimerait tellement qu’ils
brisent le cercle de la
désinformation et de la
paresse de la pensée ! Non,
entre Israël et Hamas, les
torts ne sont pas également
distribués. Oui, le Hamas
est une organisation
fascislamiste dont il est
urgent de libérer, aussi,
les Gazaouites. Et, quant au
chef de l’Autorité
palestinienne, Mahmoud
Abbas, il en appelle aux
Nations unies pour qu’elles
fassent “pression” sur
Israël : mais ne serait-il
pas plus logique, plus digne
et surtout plus efficace
qu’il en appelle à ces fous
de Dieu qui sont redevenus,
après tout, depuis quelques
semaines, ses partenaires de
gouvernement pour exiger et
obtenir d’eux qu’ils
déposent, sans délai, les
armes ? »
Lire « Pourquoi
les négociations au
Proche-Orient échouent
toujours ? », Le Monde
diplomatique, juin 2014. Déposer
les armes, comme le demande BHL,
conduira-t-il à la paix ? Cela
fait dix ans environ, depuis la
mort de Yasser Arafat, que
Mahmoud Abbas négocie avec
Israël, poursuit une coopération
sécuritaire avec l’armée
d’occupation, coopération qu’il
a qualifiée de « sacrée ». Le
Hamas n’est pas partie prenante
des négociations et ne le sera
pas dans l’avenir car ce n’est
pas le gouvernement palestinien
qui négocie mais l’Organisation
de libération de la Palestine
(OLP). Et quel est le résultat
de ces négociations ? Davantage
de colonies, davantage de
colons, plus de répression, un
refus absolu de rendre les
territoires occupés en 1967.
Quant au « fascisme » du
Hamas, rappelons que siègent au
gouvernement israélien des
partis qui, s’ils étaient élus
dans n’importe quel pays
européen, seraient dénoncés par
BHL qui refuserait de les
recevoir. Un fasciste israélien
juif est-il plus acceptable
qu’un fasciste néerlandais ou
autrichien ?
« Les Gazaouites méritent
mieux qu’un destin de
boucliers humains. Les
peuples de la région, tous
ses peuples, sont fatigués
de la guerre et de son
cortège d’horreurs : donnons
une chance à la paix. »
Oui, donnons une chance à la
paix. Appliquons des sanctions
contre Israël pour qu’il accepte
enfin de se conformer aux
résolutions de l’ONU, renonce à
la colonisation et évacue les
territoires occupés.
L’existence du
Monde diplomatique ne peut pas
uniquement dépendre du
travail de la petite équipe
qui le produit, aussi
enthousiaste soit-elle. Nous
savons que nous pouvons
compter sur vous.
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