Nouvelles
d'Orient
François Hollande
en Israël et Palestine,
« équilibre » entre l'occupant et
l'occupé
Alain Gresh
Alain
Gresh
Samedi 16 novembre 2013
« A
Jérusalem, François Hollande se prépare
à un nouvel exercice d’équilibrisme ».
Tel est le titre d’un article du
Monde de Benjamin Barthe et David
Revault d’Allonnes, écrit à la veille du
voyage du président de la République en
Israël et en Palestine (du 17 au
19 novembre). Aucune phrase ne pourrait
mieux résumer la politique française sur
le conflit israélo-palestinien. Mais il
faudrait préciser, et l’article ne le
fait pas, que la France maintient un
« équilibre » entre une puissance
occupante et un peuple sous occupation.
Car le conflit israélo-palestinien se
résume ainsi, malgré toutes les
tentatives de nous faire croire que l’on
assiste à des négociations égales entre
deux partenaires égaux (lire « Un
processus de paix “vital” pour… Israël »).
« Voilà, écrivent les deux
journalistes, un déplacement pendant
lequel l’obsession hollandaise de
l’équilibre politique va pouvoir se
déployer dans les grandes largeurs.
(...) A l’Elysée, on a d’ores et déjà
prévenu : “On ne cassera pas la baraque.
Le message de base, c’est la constance
de nos positions. Il n’y a pas de
surprise à attendre”, explique un
collaborateur de M. Hollande, qui
déconseille de se livrer “au petit jeu
de savoir si le chef d’Etat est
pro-israélien ou pro-palestinien”. Celui
qui s’y essaierait, de fait, en
sortirait perdant. » Imaginons un
moment un président de la République
français affirmant sa position
équilibrée entre le gouvernement
sud-africain et le Congrès national
africain (ANC) durant la période de
l’apartheid (il est vrai que, du temps
de la droite, Paris soutenait le régime
segrégationniste).
(...) « Le souci de l’équilibre
est sensible jusque dans la composition
de la délégation qui, outre
six ministres, compte un nombre à peu
près équivalent de personnalités
identifiées à l’un et à l’autre camp.
“C’est extrêmement subtil, glisse un
ministre. Il faut équilibrer les choses.
Palestiniens et Israéliens considèrent
le gouvernement français comme l’un de
leurs amis. Et pas parce qu’on a des
positions ambiguës”. » Ah bon ? et
pourquoi alors ? La France défend l’idée
de deux Etats mais, en même temps,
accepte de facto la colonisation qu’elle
condamne du bout des lèvres, tout en
poursuivant sa collaboration avec Israël
comme si l’occupation (et la
colonisation) n’avait pas lieu. Sans
parler du fait qu’elle peut rapatrier
une de ses diplomates coupable d’avoir
aidé des Palestiniens dont les maisons
avaient été détruites (lire « Quand
Paris se couche », Le Monde
diplomatique, novembre 2013).
(...) « En face de M. Nétanyahou,
le président devrait donc réaffirmer
l’opposition de la France à la
colonisation, “en insistant sur la
nécessité de négocier pour de vrai”,
précise l’un de ses conseillers. »
Mais n’est-ce pas ce que Paris
rappelle régulièrement, religieusement
depuis des années, sans le moindre
résultat ? Et pourquoi y-aurait-il un
résultat, puisque la France refuse toute
mesure sérieuse pour sanctionner les
violations permanentes d’Israël au droit
international.
« A M. Abbas, il devrait redire
son attachement aux paramètres de
règlement du conflit, communément admis
au sein de l’Union européenne — deux
Etats pour deux peuples, basés sur la
ligne de 1967 avec des échanges de
terre, Jérusalem comme capitale des deux
Etats et une solution juste et réaliste
au problème des réfugiés —, tout en
soulignant l’importance “de rester dans
la négociation”, relancée en juillet. »
C’est-à-dire de rester dans la
négociation malgré la colonisation.
Et les journalistes de conclure que,
lors d’une visite la semaine précédente,
le secrétaire d’Etat américain John
Kerry, « avait mis en garde l’Etat
juif contre le déclenchement d’une
nouvelle Intifada et un isolement
croissant sur la scène internationale.
Un coup de sang fort peu
diplomatique, qui n’impressionne pas le
très tempérant François Hollande. “On
est dans une logique différente de
Kerry, souligne un membre de son
entourage. C’est une visite d’Etat
solennelle, probablement la seule du
quinquennat. On ne va pas jeter un
pétard au milieu des discussions
israélo-palestiniennes. On veut peser
positivement.” »
Paradoxe, comme sur
le dossier iranien, la France se
retrouve à droite des Etats-Unis [1] !
Positivement ? Le calvaire des
Palestiniens se poursuit dans une
indifférence générale. Nombre de
Palestiniens de Syrie ont dû fuir avec
l’extension des combats, un exode qui
rappelle celui des 400 000 Palestiniens
du Koweït expulsés par l’émirat en 1991
et le lancinant problème de ces millions
d’apatrides. A Gaza, le blocus se
poursuit dans l’indifférence générale,
et Le Figaro rapporte — ils ne
sont pas beaucoup à le faire —, que la
bande est plongée dans le noir du fait
de la fermeture de son unique centrale
électrique (Cyrille Louis, « Gaza
plongée dans le noir »,
14 novembre). En Cisjordanie, la
colonisation se poursuit inexorablement,
même si le gouvernement israélien a dû
annuler un projet de construction de
milliers de logements ; le reste des
projets se poursuit. Il existe plus de
550 000 colons en Cisjordanie et à
Jérusalem-Est : qui peut croire qu’un
gouvernement israélien rapatriera ne
serait-ce qu’un tiers d’entre eux ? Et
pourtant, Paris et l’Union européenne
(UE) ont fait pression sur
l’Organisation de libération de la
Palestine (OLP) pour qu’elle reprenne
les négociations avec Israël sans exiger
d’abord l’arrêt de la colonisation.
Cette « faillite
de l’Union européenne en Palestine »
soulignée dans Le Monde diplomatique
de novembre, est aussi rappelée par
deux livres récents dont rend compte
Alexis Varende sur OrientXXI.
Il fut un temps où la France et
l’Union européenne jouaient un rôle,
pesaient sur les débats. Ce sont eux qui
ont imposé que l’OLP soit considérée
comme le représentant des Palestiniens ;
que le droit à l’autodétermination des
Palestiniens soit reconnu (lire « Venise,
trente ans après.. ».). Mais, depuis
les accords d’Oslo, l’Union européenne
est à la traîne des Etats-Unis. Pire,
l’UE a fait d’Israël un quasi membre,
lui accordant des privilèges exorbitants
(« L’Union
européenne capitule devant Israël »).
La négociation se poursuit donc entre
deux parties de forces inégales, entre
un occupant et un occupé. Qui peut
croire un seul instant que le
gouvernement israélien, le plus à droite
de l’histoire, acceptera de céder sans
pressions internationales
significatives, sans sanctions ? Ce
serait l’honneur de la France de le
rappeler et de prendre des mesures en
conséquence.
L’existence du Monde
diplomatique ne peut
pas uniquement dépendre du
travail de la petite équipe
qui le produit, aussi
enthousiaste soit-elle. Nous
savons que nous pouvons
compter sur vous.
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