Opinion
L’espionnage US
contre l’Europe:
Des alliances
stratégiques bafouées par les intérêts
égoïstes
Akil Cheikh Hussein
Vendredi 8 novembre 2013
Personne ne peut reprocher aux
Etats-Unis ou à tout autre Etat leur
droit de collecter des informations sur
leurs ennemis ou de les espionner. Ce
genre de pratiques, on le sait, occupe
une place centrale dans les conflits et
les guerres qui occupent à leur tour une
place centrale dans l'ensemble de
l'activité humaine. Cependant, il n'est
ni connu, ni familier ni moral pour un
Etat de se conduire ainsi, et si
massivement, à l'encontre de ses alliés
qu'ils soient des Etats, des citoyens ou
des institutions militaires ou
économiques, et même à l'encontre de ses
propres citoyens.
L'ampleur du scandale n'a pas permis au
gouvernement des Etats-Unis de nier
l'implication de leurs agences de
renseignement, et tout particulièrement,
la NSA, dans ces activités qui, sous la
forme de plusieurs milliards
d'opérations, ont visé des responsables
et des individus ordinaires dans tous
les continents. Il s'est donc employé à
limiter les dégâts politiques et
diplomatiques consécutifs à ces
activités et à détourner l'attention de
l'opinion des questions sensibles qui
mettent en évidence le développement de
la tendance policière à l'intérieur des
appareils de renseignement aux
Etats-Unis.
C'est dans ce sens que la chancelière
allemande Angela Merkel, dont le
téléphone portable, ainsi que ceux
d'autres chefs d'Etats européens et non
Européens, était visée par les écoutes
de la NSA depuis plus de dix ans, a fait
remarquer qu'elle n'a connu ce genre de
pratiques qu'en Allemagne de l'Est. On
sait à ce propos que des millions de
dossiers sur la surveillance des
citoyens allemands et des visiteurs en
RDA ont été découverts après la chute du
régime communiste.
Après l'échec des tentatives menées par
les plus hauts responsables étasuniens,
dont le président Obama lui-même, pour
se mettre hors de cause, une tendance a
été observée de présenter l'affaire
comme une mesure défensive justifiée par
le fait que les Etats-Unis eux-mêmes
font l'objet de pratiques d'espionnage
dirigées par des alliés. A l'appui, des
responsables étasuniens ont rappelé
l'affaire Jonathan Polard, cet agent de
la CIA qui a été accusé d'espionnage au
profit des «Israéliens» et condamné à la
prison à perpétuité en 1986.
Certes, les alliés européens ne
pouvaient que réagir à ces pratiques
d'espionnage qui constituent une grave
atteinte à la souveraineté de leurs pays
et à la confiance qui devrait régner au
niveau des relations entre alliés. Des
hauts responsables européens ont émis
des déclarations dans ce sens, mais ils
n'ont rien trouvé à dire face à la
réponse étasunienne qui s'est montré
acerbe et agressive dans la mesure où
elle était réduite à une seule
expression : «Tout le monde en fait
autant». Un argument si écrasant qu'il
les a convaincus au point qu'ils se sont
mis à répéter avec tout ce qu'il
signifie en matière de la docilité du
«Vieux continent» à l'égard du grand
frère américain. Seuls, quelques
commentateurs européens ont signalé
-tout en reconnaissant que «tout le
monde en fait autant»- la grande
disproportion entre les moyens mis en
œuvre dans ce domaine de part et d'autre
par l'Europe et les Etats-Unis. Là où le
budget que l'un ou l'autre des pays
européens consacre à ses services
secrets se limite à quelques dizaines,
voire au mieux, à quelques centaines de
millions de dollars, le budget de la
seule NSA qui n'est que l'une de 16
autregences de renseignement
étasuniennes actives dans le domaine de
l'espionnage visant les alliés et les
ennemis, atteint 80 milliards de
dollars.
Il
est vrai que les responsables européens
ne se sont pas contentés d'émettre de
timides déclarations et qu'ils ont
œuvré, dans une réunion au niveau du
Conseil d'Europe, dans le sens de
finaliser d'ici la fin de l'année une
initiative franco-allemande visant à
discuter avec Washington un «cadre de
coopération» dans le domaine des
renseignements. Mais tout cela reste
loin de constituer une riposte à
l'affront que représentent l'hégémonie
et le mépris qu'imposent les Etats-Unis
à leurs pays.
Il était normal pour la faiblesse de la
position européenne d'encourager les
Etasuniens à passer de la justification
des activités d'espionnage et de
surveillance à louer ces activités et à
glorifier leur rôle, par le passé, dans
la défense de l'Europe contre le
fascisme et le communisme, et
actuellement dans la lutte contre le
terrorisme.
Des responsables étasuniens ont essayé
d'encenser davantage ces activités en
laissant entendre que les attentats du
11 septembre 2001 pouvaient ne pas se
produire si les agences d'espionnage
étaient mandatées de collecter des
informations sur les appels
téléphoniques passés aux Etats-Unis. Une
inadvertance manifeste dans la mesure où
l'on reconnait involontairement,
puisqu'on est en train de justifier
l'espionnage visant les «alliés», que
ces attentats étaient le fait de parties
alliées.
C'est une expression claire de
l'inconséquence du discours des
Occidentaux et de leur conduite dans les
conditions de leur reculade actuelle.
Elle s'ajoute à une autre expression
d'inconséquence : Si l'on justifie
l'espionnage visant les alliés par des
raisons sécuritaires, qu'en est-il alors
de l'espionnage visant leurs entreprises
industrielles et économiques ? Sauf si
l'on admet que, lorsqu'on est en état de
recul généralisé, les alliances ne
résistent point face aux intérêts
égoïstes.
Source : Al-Ahednews
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