France
Charlie-Hebdo :
le départ de quelque chose ?
Ahmed Halfaoui
© Ahmed
Halfaoui
Samedi 10 janvier
L’épouvantable choc provoqué, au sein de
la société française, par le carnage
perpétré au siège de Charlie-Hebdo, peut
bien être exploité à des fins
d’embrigadement de la population, dont
on peut observer les prémices.
L’expression « c’est un 11 septembre
français !» a tout de suite fusé,
dans les propos de certains
commentateurs. Elle est lourde de sens
et laisse entendre qu’il est possible
que le drame soit exploité, à l’instar
du « 11 septembre » original, non pas
que la France ait les moyens des
Etats-Unis et pourrait cibler la
destruction d’un quelconque Irak, mais
plus prosaïquement d’une opération sur
son sol. Un patriot-act hexagonal, par
exemple, qui fera passer à la trappe un
certains nombre de droits fondamentaux.
Dans les heures qui ont suivi les
premiers commentaires et les premières
supputations c’est un appel à l’union
sacrée qui est lancé par l’Elysée, qui a
invité les chefs de partis pour examiner
la situation. Jeudi 08 janvier, le plus
notable de ces chefs à rencontrer le
président François Hollande a été
Nicolas Sarkozy. Et lui, il a rajouté à
l’hypothèse de lourdes présomptions sur
ce qui pourrait se produire.
A sa sortie de l’entrevue
présidentielle, il a dit, textuellement,
ceci : « Ce n'est pas une question de
démocratie ou de république mais une
question de civilisation…Il faut que les
gens civilisés, quelles que soient leurs
convictions, s'unissent face à cette
barbarie fanatique ». Les mots sont
lourds de sens. Il faut tout de suite
noter que la notion de
« civilisation » va prévaloir sur
celle de démocratie et de république. Le
message est clair et s’il a dit ça c’est
fort de l’échange qu’il venait d’avoir.
Pour mieux être compris, il a ajouté que
«c'est une guerre déclarée à la
civilisation. La civilisation a la
responsabilité de se défendre.» Pour
comprendre, il n’est pas utile de se
torturer la pensée. La barbarie invoquée
est clairement désignée par le
glissement, suggéré, du profil des
assaillants de Charlie-Hebdo vers les
Français « issus de l’immigration ». Une
catégorie de citoyens qui jouit des
principes démocratiques et des lois de
la république. Elle ne devra plus en
jouir grâce à la priorité donnée à la
« civilisation », porteuse des
valeurs définies lors du débat sur
l’identité nationale. Des valeurs
confrontées à des comportements qui les
mettraient à mal et menaceraient les
fondements de la société.
Le même jour l’UMP publie une
Déclaration solennelle où
figurent ces mots : « aucun compromis
n'est tolérable sur notre mode de vie,
sur nos traditions, ... ».
L’allusion est clairement faite qu’il
s’agit de mettre en coupe réglée la
formation sociale française, car nulle
part il n’est rappelé, comme de coutume,
le droit à la différence. Le racisme,
sous sa forme rénovée d’islamophobie, se
réveille et ne se cache plus, prêt à
déferler, si les conditions politiques
lui étaient offertes. On parle déjà de
guerre, en faisant l’amalgame entre les
attentats djihadistes et les conduites
islamiques (port du hidjab, exigence du
hallal dans les cantines, mouton de
l’Aïd El Adha…). En prime, les Français
dits « de souche », tétanisés par les
sombres perspectives économiques,
déstabilisés par l’extension de la
précarité et livrés à l’anomie qui se
répand, n’opposeront aucune résistance à
la mise au pas politique et sécuritaire
et à l’instauration de l’autoritarisme,
s’ils ne contribuent pas à la chose, en
croyant défendre la « civilisation ».
Ahmed Halfaoui
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