Opinion
Les « Frères des Frères »
Ahmed Halfaoui
© Ahmed
Halfaoui
Mercredi 4 juin 2014
Lundi 2 juin 2014, 18 heures, la salle
de la Cinémathèque n’était peut être pas
pleine de monde, mais l’émotion qu’elle
a abritée pouvait couvrir la planète
entière. Annik, la fille de Jean-Louis
Hurst était là, qui a servi aux présents
un film sur ces Français de nationalité
qui ont « trahi » la « trahison ». Les «
porteurs de valises », ce nom qu’on leur
a donné, qui pourrait réduire leur
engagement à sa sémantique, a fini par
signifier l’immensité humaine de ces
femmes et de ces hommes, qui ont bravé
la Barbarie et ont contribué à
l’abattre. Ils ont décidé, comme on
entre en religion, de rejoindre la lutte
de libération du peuple algérien. Ils
ont universalisé cette lutte. Ils s’y
sont reconnus et l’ont faite leur.
Humblement, ils n’ont demandé qu’à
servir. Ils ont obéi, dans le respect le
plus absolu, aux directives du Front de
Libération Nationale, le FLN. Ils se
sont faits les « Frères des Frères », au
péril de leur vie, sans préjudice du
sacrifice qu’ils faisaient de leur
sérénité propre et de la sérénité de
leurs proches.
Comme celle-ci qui
a été arrêtée et qui ne pouvait dire à
sa petite fille qu’elle était en prison.
Les enfants d’Algériens, eux, pouvaient
être fiers que leurs mères ou pères
soient arrêtés, pas sa fille. Pas une
petite française…Cela aurait été trop
compliqué à expliquer, voire impossible
à faire comprendre un idéal par trop
étrange, celui d’être contre son propre
pays au profit d’un autre. Faire la
guerre à la guerre coloniale. C’était
l’une de ces difficultés, et pas la
moindre, d’être ce qu’ils étaient, dans
un monde où les camps ennemis se
définissent autrement que selon les
critères de l’internationalisme des
droits humains. Selon le sentiment qui a
envahi Jean-Louis Hurst lorsqu’il a
déserté. Un sentiment de joie, celui
d’avoir « perdu un pays », mais d’avoir
« gagné l’humanité ». Un sentiment de
plénitude pour ce prêtre chrétien qui a
considéré, dans sa foi propre, que «
dieu est faible et qu’il fallait l’aider
», par l’aide qu’il fallait apporter aux
opprimés.
Un sentiment de
raison pour celui-ci qui a « trahi la
trahison », la trahison des idéaux de
justice s’entend. Le sentiment de
celui-là qui, sorti de l’armée coloniale
où il se méprisait, se trouvait en
accord avec sa conscience de communiste
de se battre contre le colonialisme et
non pour lui. Ils étaient des femmes et
des hommes que l’Histoire seule sait
produire, quand le besoin se fait sentir
de bousculer un ordre inique, lorsque
les seules valeurs qui vaillent sont de
détruire le mal. Ils étaient des êtres
d’exception par qui se réalise la
fraternité, telle que celle qui a libéré
le peuple algérien du crime. Celle qui «
construit des ponts » entre les peuples.
Ils auront
reproduit la « résistance française »
contre leur propre Etat, car il était du
côté de l’injustice. Selon les mêmes
motifs de révolte qui ont animé les
résistants au régime du maréchal Pétain
et aux forces d’occupation nazies. Ils
n’ont pas cherché la gloire, ils ne
l’ont pas revendiquée. Connus ou
inconnus, ils sont restés humbles, avec
l’inestimable et indicible satisfaction
du devoir accompli. Et au-delà, ils ont
donné le magnifique exemple du don de
soi aux causes justes.
Ahmed Halfaoui.
Publié sur
Les Débats
Le sommaire d'Ahmed Halfaoui
Le
dossier Algérie
Les dernières mises à jour
|