Opinion
Ukraine: autopsie d’un coup d’état
Ahmed Bensaada
Lundi 3 mars 2014
Le
mouvement de contestation (baptisé
« Euromaïdan ») qu’a récemment vécu
l’Ukraine, est intéressant à plusieurs
égards. Il montre comment un coup d’état
civil contre un gouvernement
démocratiquement élu peut être fomenté
avec succès avec un appui étranger et
sans intervention militaire. Il dévoile
la flagrante partialité et le manque
d’intégrité des médias mainstream
occidentaux qui, avec une argumentation
fallacieuse, appuient aveuglément
l’interventionnisme occidental et, avec
une vision dichotomique de la situation,
qualifient les uns de bons et les autres
de mauvais. Plus grave encore, il
dessine les contours, jusqu’alors
vaporeux, de la renaissance de la guerre
froide qu’on croyait enterrée avec la
chute du mur de Berlin. Finalement, il
nous offre une projection probable de la
situation des pays arabes « printanisés »
dans la mesure où l’Ukraine a connu son
« printemps » en 2004, printemps
communément appelé « révolution
orange ».
Mais pour comprendre la situation
ukrainienne actuelle, il est primordial
de passer en revue quelques dates
importantes ainsi que les noms des
acteurs majeurs de la politique
ukrainienne de l’après ère soviétique.
1991
|
L’Ukraine se sépare
de l’URSS.
|
1991-1994
|
Leonid Kravtchouk
(ancien dirigeant de
l’ère soviétique) est le
1er président
de l’Ukraine.
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1991
|
Ioulia Timochenko
crée la « Compagnie du
pétrole ukrainien »
|
1992-1993
|
Leonid Koutchma
(pro-russe) est Premier
ministre sous la
présidence Kravtchouk.
Il démissionnera en 1993
pour se présenter aux
élections
présidentielles de
l’année suivante.
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1994-1999
|
Leonid Koutchma est
le 2e
président de l’Ukraine.
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1995
|
Ioulia Timochenko
réorganise sa société
pour fonder, avec l’aide
de Pavlo Lazarenko, la
compagnie de
distribution
d'hydrocarbures « Systèmes
énergétiques unis
d'Ukraine » (SEUU).
|
1995
|
Pavlo Lazarenko est
nommé vice-Premier
ministre chargé de
l’énergie.
|
1996
|
La SEUU fait 10
milliards de dollars de
chiffre d’affaires et
rapporte 4 milliards de
profits.
|
1996-1997
|
Pavlo Lazarenko est
Premier ministre sous la
présidence Koutchma.
|
1997
|
Pavlo Lazarenko est
congédié par le
président Koutchma.
|
1998
|
Lazarenko est arrêté
par la police suisse à
la frontière
franco-helvétique et
accusé par les autorités
de Berne de blanchiment
d’argent.
|
1999
|
Lazarenko est arrêté
à l'aéroport JFK de
New-York. Il est
condamné en 2004 pour
blanchiment d'argent
(114 milliards de
dollars), corruption et
fraude.
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1999-2005
|
Leonid Koutchma est
président de l’Ukraine
après sa réélection.
|
1999-2001
|
Viktor Iouchtchenko
est Premier ministre
sous la présidence
Koutchma.
|
Ioulia Timochenko est
vice-Premier ministre
chargée de l’énergie
(poste qui a été déjà
occupé par Lazarenko).
|
2001
|
Ioulia Timochenko est
congédiée par le
président
Koutchma en janvier
2001. Elle est accusée
de « contrebande et de
falsification de
documents », pour avoir
frauduleusement importé
du gaz russe en 1996,
lorsqu’elle était
présidente de SEUU.
|
Timochenko est
arrêtée et fera 41 jours
de prison. La justice se
penche sur son activité
dans le secteur de
l’énergie durant les
années 1990 et sur ses
liens avec Lazarenko.
|
2002-2005
|
Dauphin de Koutchma,
Viktor Ianoukovytch
(pro-russe) est Premier
ministre sous sa
présidence.
|
2004
|
L’élection
présidentielle oppose le
Premier ministre en
poste Viktor
Ianoukovytch et l'ancien
Premier ministre et
leader de
l'opposition Viktor
Iouchtchenko (pro-occident).
Le 2e tour
est remporté par
Ianoukovytch
(49,46 contre 46,61) %.
Le résultat est contesté
car, selon l’opposition,
les élections sont
entachées de fraude.
|
Révolution orange :
Mouvement de
protestation populaire
pro-occidental largement
soutenu par les
organismes occidentaux
d’ « exportation » de la
démocratie, en
particulier américains.
Ioulia Timochenko est
considérée comme
l’égérie de ce
mouvement. Principal
résultat de cette
« révolution » :
annulation du second
tour des
présidentielles.
|
Un troisième tour des
élections
présidentielles est
organisé : Iouchtchenko
est élu (51,99 contre
44,19%)
|
2005-2010
|
Viktor Iouchtchenko
est le 3e
président de l’Ukraine.
|
2005 (7 mois)
|
Ioulia Timochenko est
Premier ministre sous la
présidence Iouchtchenko
|
2006-2007
|
Viktor Ianoukovytch
est Premier ministre
sous la présidence
Iouchtchenko.
|
2007-2010
|
Ioulia Timochenko est
une seconde fois Premier
ministre sous la
présidence Iouchtchenko.
|
2010
|
Élections
présidentielles.
Résultats du premier
tour : 1er -
Ianoukovytch (35,32%);
2e -
Timochenko (25,05%) et 5e
-Iouchtchenko (5,45%).
Second tour :
Ianoukovytch bat
Timochenko (48,95%
contre 45,47%).
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2010-2014
|
Viktor Ianoukovytch
est le 4e
président de l’Ukraine.
|
2011
|
Ioulia Timochenko est
condamnée à sept ans
d'emprisonnement pour
abus de pouvoir dans le
cadre de contrats
gaziers signés entre
l'Ukraine et
la Russie en 2009.
|
|
Un coup
d’État plébiscité par l’Occident
Ce qui vient de se passer en Ukraine
ces derniers jours est un véritable coup
d’État. En effet, le président Viktor
Ianoukovytch a été démocratiquement élu
le 7 février 2010 en battant Ioulia
Timochenko au second tour des élections
présidentielles (48,95 % des voix contre
45,47 %).
Évidemment, Timochenko n’avait pas
immédiatement accepté le verdict des
urnes [1]. Il y a sûrement eu fraude
quelque part puisqu’elle était, lors des
élections, Premier ministre en exercice
et que Viktor Iouchtchenko était
président du pays. Les deux figures
emblématiques de la Révolution orange,
très largement soutenus par les pays
occidentaux, ceux-là même qui étaient
supposés faire entrer l’Ukraine dans une
ère nouvelle, celle de la démocratie et
de la prospérité, ont été largement
battus par un candidat pro-russe. Et
quel candidat! Ianoukovytch! Celui qui
avait été « conspué » par les activistes
de la vague orange de 2004. En moins de
six ans, les Ukrainiens avaient compris
que cette « Révolution » colorée n’en
était pas une.
Le 8 février 2010,
Joao Soares, le président de
l'Assemblée parlementaire de
l'Organisation pour la sécurité et la
coopération en Europe (OSCE) déclara :
« L'élection a offert une
démonstration impressionnante de
démocratie. C'est une victoire pour tout
le monde en Ukraine. Il est temps
maintenant pour les dirigeants
politiques du pays d'écouter le verdict
du peuple et de faire en sorte que la
transition de pouvoir soit pacifique et
constructive » [2].
Sans trop de conviction, mais placée
devant l’évidence du verdict des
observateurs internationaux, Timochenko
finit par retirer son recours en justice
visant à invalider le résultat de
l'élection [3].
Les
« révoltés » de la place Maïdan
reprochent à Ianoukovytch d’avoir décidé
de suspendre un accord entre son pays et
l’Union Européenne (UE). Et une question
fondamentale se pose : en démocratie, et
dans le cadre des prérogatives de sa
fonction, un président en exercice
a-t-il le droit de signer les accords
qu’il juge bénéfiques pour son pays? La
réponse est oui, d’autant plus que de
nombreux spécialistes pensent que cet
accord était néfaste pour l’économie de
l’Ukraine.
Ainsi, selon David Teurtrie,
chercheur à l’Institut national des
langues et civilisations orientales
(INALCO, Paris): « La proposition
faite à l’Ukraine a été, comme je
l’appellerais, une stratégie
perdant-perdant. Pourquoi? L’accord
correspondait à la mise en place d’une
zone de libre-échange entre l’UE et
l’Ukraine. Mais cette zone de
libre-échange était très défavorable
pour l’Ukraine parce qu’elle ouvrait le
marché ukrainien aux produits européens
et elle entrouvrait le marché européen
aux produits ukrainiens qui ne sont en
majeure partie pas concurrentiels sur le
marché occidental. Nous voyons donc que
l’avantage est assez peu évident pour
l’Ukraine. Pour simplifier, l’Ukraine
prenait sur elle tous les désavantages
de cette libéralisation du commerce avec
l’UE et ne recevait aucun avantage
» [4].
L’économiste russe Sergueï Glaziev
est lui aussi du même avis : « Toutes
les estimations, incluant celles des
analystes européens, font part d’un
ralentissement inévitable dans la
production de biens ukrainiens dans les
premières années suivant la signature de
l’Accord d’association, puisqu’ils sont
condamnés à une perte de compétitivité
par rapport aux produits européens
» [5].
Nonobstant la sensibilité pro-russe
de Ianoukovytch, il est clair que la
proposition russe était beaucoup plus
intéressante pour l’Ukraine que celle
avancée par les Européens. « L’UE
ne promet pas la lune aux
manifestants... juste la Grèce »
titrait ironiquement le journal
l’Humanité [6].
Après les émeutes sanglantes de Kiev,
de nombreux pays occidentaux se sont
curieusement empressés de déclarer
qu’ils étaient prêts à soutenir « un
nouveau gouvernement » en Ukraine [7],
c’est-à-dire de reconnaître
implicitement un coup d’état. Au lieu
d’attiser la violence et de financer les
barricades, ces pays n’auraient pas dû
offrir leurs services pour calmer les
esprits et attendre les prochaines
élections, comme le dicte les
fondements de la démocratie qu’ils
essaient d’exporter en Ukraine et
ailleurs dans le monde
Petites
précisions sur la « révolution » orange
La « révolution » orange fait partie
d’une série de révoltes baptisées
« révolutions colorées », qui se sont
déroulées dans les pays de l’Est et
surtout les ex-Républiques soviétiques
durant les années 2000. Celles qui ont
abouti à un changement du gouvernement
en place ont touché la Serbie (2000), la
Géorgie (2003), l’Ukraine (2004) et le
Kirghizstan (2005).
Dans un article exhaustif et très
détaillé sur le rôle des États-Unis dans
les révolutions colorées, G.
Sussman et S. Krader de la Portland
State University mentionnent dans leur
résumé : « Entre 2000 et 2005, les
gouvernements alliés de la Russie en
Serbie, en Géorgie, en Ukraine et au
Kirghizistan ont été renversés par des
révoltes sans effusion de sang. Bien que
les médias occidentaux en général
prétendent que ces soulèvements sont
spontanés, indigènes et populaires
(pouvoir du peuple), les « révolutions
colorées » sont en fait le résultat
d’une vaste planification. Les
États-Unis, en particulier, et leurs
alliés ont exercé sur les États
postcommunistes un impressionnant
assortiment de pressions et ont utilisé
des financements et des technologies au
service de l’aide à la démocratie »
[8].
Une dissection des techniques
utilisées lors de ces « révolutions »
montre qu’elles ont toutes le même modus
operandi. Plusieurs mouvements ont été
mis en place pour conduire ces révoltes:
Otpor (« Résistance ») en Serbie, Kmara
(« C’est assez! ») en Géorgie, Pora («
C’est l’heure ») en Ukraine et KelKel («
Renaissance ») au Kirghizistan. Le
premier d’entre eux, Otpor, est celui
qui a causé la chute du régime serbe de
Slobodan Miloševic. Après ce succès, il
a aidé, conseillé et formé tous les
autres mouvements par l’intermédiaire
d’une officine spécialement conçue pour
cette tâche, le Center for Applied Non
Violent Action and Strategies (CANVAS)
qui est domiciliée dans la capitale
serbe. CANVAS forme des dissidents en
herbe à travers le monde à
l’application de la résistance
individuelle non violente, idéologie
théorisée par le philosophe et
politologue américain Gene Sharp dont
l’ouvrage « From Dictatorship to
Democracy » (De la dictature à la
démocratie) a été à la base de toutes
les révolutions colorées.
Aussi bien CANVAS que les différents
mouvements dissidents ont bénéficié de
l’aide de nombreuses organisations
américaines d’ « exportation » de la
démocratie comme l’United States Agency
for International Development (USAID),
la National Endowment for Democracy
(NED), l’International Republican
Institute (IRI), le National Democratic
Institute for International Affairs
(NDI), la Freedom House (FH), l’Albert
Einstein Institution et l’Open Society
Institute (OSI). Ces organismes sont
financés par le budget américain ou par
des capitaux privés américains. À titre
d’exemple, la NED est financée par un
budget voté par le Congrès et les fonds
sont gérés par un conseil
d’administration où sont représentés le
Parti républicain, le Parti démocrate,
la Chambre de commerce des États-Unis et
le syndicat American Federation of
Labor-Congress of Industrial
Organization (AFL-CIO), alors que l’OSI
fait partie de la Fondation Soros, du
nom de son fondateur George Soros, le
milliardaire américain, illustre
spéculateur financier. Il est aussi
intéressant de noter que le conseil
d’administration de l’IRI est présidé
par le sénateur John McCain, le candidat
défait de la présidentielle américaine
de 2008. L’implication de McCain dans
les révolutions colorées est
clairement établie dans l’excellent
documentaire que la reporter française
Manon Loizeau a consacré aux révolutions
colorées [9]. On comprend alors
aisément pourquoi le sénateur s’est
récemment précipité à Kiev pour
soutenir les émeutiers ukrainiens. On
comprend aussi pourquoi la Russie a
durci le ton concernant les ONG
étrangères présentes sur son sol et la
raison qui a motivé l’expulsion de
l’USAID de son territoire [10].
La relation entre le mouvement
ukrainien « Pora » et ces organisations
américaines est explicitée par Ian
Traynor dans un remarquable article
publié par The Guardian en novembre 2004
[11].
« Officiellement, le gouvernement
américain a dépensé, pendant une année,
41 millions de dollars pour
l'organisation et le financement de
l'opération qui a permis de se
débarrasser de Miloševic […]. En
Ukraine, le chiffre doit tourner autour
de 14 millions de dollars »,
explique-t-il.
Ioulia Timochenko et Viktor
Iouchtchenko sont considérés comme les
figures de proue de la révolution
orange. Soutenu par les Occidentaux, ce
mouvement obtient l’annulation du second
tour de l’élection présidentielle de
2004 initialement remporté par Viktor
Ianoukovytch contre Viktor Iouchtchenko.
Le « troisième » tour donne finalement
la victoire à Iouchtchenko qui devient
le 3e président de l’Ukraine
à la grande joie des Américains et des
Européens.
Fier de ses réussites
« révolutionnaires » colorées, le
belliqueux sénateur McCain a déclaré
qu’il avait proposé au prix Nobel de la
Paix les candidatures de Viktor
Iouchtchenko et de son homologue
géorgien pro-occidental Mikhail
Saakashvili [12]. Il fit un voyage à
Kiev en février 2005 [13] pour féliciter
son « poulain » et peut-être aussi pour
lui montrer qu’il avait quelque chose à
voir avec son élection.
À
peine nommé président, Iouchtchenko
s’empressa de nommer Timochenko au poste
de Premier ministre mais la « lune de
miel » entre les compagnons de la
révolution ne fit pas long feu. Bien
qu’encensé par l’Occident, le couple
Iouchtchenko-Timochenko s’avère boiteux
et ses résultats sont très décevants.
Voici comment Justin Raimondo décrit
le bilan de la magistrature Iouchtchenko
(2005-2010): « Aujourd’hui,
l'éclat orange de sa révolution étant
révolu depuis longtemps, son régime
s'est avéré être tout aussi incompétent
et truffé de copinage comme ses
prédécesseurs corrompus et vénaux, si ce
n'est plus. Une grande partie de "
l'aide " monétaire occidentale a disparu
[…]. Pire encore, l'économie a été
paralysée par l'imposition de contrôles
des prix et corrompu par un trafic
d’influence éhonté. Sous l'accord de
partage de pouvoir entre M. Iouchtchenko
et la volatile Ioulia Timochenko, la «
princesse du gaz » et oligarque amazone,
le pays s'est désintégré, non seulement
économiquement mais aussi socialement
[…]. La baisse radicale de l'économie et
les scandales en cours qui sont devenus
des événements quotidiens pendant
l'administration de M. Iouchtchenko ont
conduit à la marginalisation complète du
vénéré orange révolutionnaire: au
premier tour de l'élection
présidentielle [2010], il a obtenu un
humiliant 5 pour cent des voix. Hors de
la course, et sans avoir besoin de faire
semblant plus longtemps, M. Iouchtchenko
a lancé une véritable bombe dans l'arène
politique en honorant Stepan Bandera, le
nationaliste ukrainien et collaborateur
des nazis, comme un " Héros de l'Ukraine
" » [14].
Notons finalement que les organisations
américaines d’ « exportation » de la
démocratie ont été largement impliquées
dans ce qui est communément appelé le
« printemps » arabe. Les jeunes
activistes arabes ont été formés à la
résistance individuelle non violente par
CANVAS et à la cyberdissidence par des
organismes américains comme l’Alliance
of Youth Movements (AYM) elle-même
sponsorisée par le Département d’État
ainsi que les géants américains des
nouvelles technologies comme Google,
Facebook ou Twitter [15].
Les
« gentils » émeutiers de la place Maïdan
Malgré la grande diversité de la
« faune » révolutionnaire qui a occupé
la place Maïdan à Kiev, les observateurs
s’accordent à reconnaître que la
dissidence est composée de quatre
différents groupes positionnés sur un
spectre politique allant de la droite à
l’extrême-droite.
Tout d’abord, il y a « Batkivshina »
ou Union panukrainienne « Patrie » qui
est un parti politique dont le leader
est Ioulia Timochenko, secondée par
Olexandre Tourtchinov, un ami de longue
date, considéré comme son « fidèle
écuyer » [16]. C’est ce dernier
qui a été récemment nommé président
intérimaire de l’Ukraine après le départ
de Ianoukovytch.
Fondé en 1999,
Batkivshina est un parti libéral
pro-européen. Il est membre observateur
du Parti
populaire européen (PPE) qui
rassemble les principaux partis de
la droite européenne dont le CDU (Union
chrétienne-démocrate d'Allemagne) de la
chancelière allemande Angela Merkel. À
noter que la Fondation Konrad Adenauer
(Konrad Adenauer Stiftung), think tank
du CDU, est aussi affilié au PPE.
D’autre part, le PPE entretient des
relations étroites avec l’International
Republican Institute (IRI). Wilfried
Martens, le président du PPE de
l’époque, a soutenu John
McCain lors de l’élection
présidentielle américaine de 2008 [17].
Bien sûr, comme précisé précédemment,
John McCain est aussi et surtout
président du CA de l’IRI.
Selon un des responsables du « Mejlis
of the Crimean Tatar People », mouvement
associé au parti « Patrie », l’IRI est
actif en Ukraine depuis plus de 10
années, c’est-à-dire qu’il n’aurait
jamais quitté le territoire depuis la
révolution orange [18].
Arseni Iatseniouk, personnalité
pro-occidentale de premier plan de la
vie politique ukrainienne, est considéré
comme un « leader phare de la
contestation en Ukraine » [19].
Pur produit de la révolution orange (il
a occupé des postes ministériels sous la
présidence Iouchtchenko), il a d’abord
créé son propre parti (le Front pour le
changement) avant de rejoindre les rangs
de Batkivshina et de se rapprocher de
Timochenko. Iatseniouk, qui vient d’être
désigné premier ministre, a été
plébiscité par les émeutiers de la place
Maïdan. Il a pour mission de diriger un
gouvernement d'union nationale avant
l'élection présidentielle anticipée
prévue le 25 mai 2014 [20].
Le
second parti impliqué dans la violente
contestation ukrainienne est l’UDAR
(Alliance démocratique ukrainienne pour
la réforme). Ce parti, libéral et
pro-européen lui aussi, a été créé en
2010 par la fusion de deux partis dont
l’un est le parti Pora, issu du
mouvement de jeunes qui avait été à
l’avant-garde de la révolution orange
dont on a discuté auparavant. UDAR (qui
veut dire « coup » en Ukrainien) est
dirigé par le boxeur et ex-champion du
monde des poids-lourds
Vitali Klitschko.
Né au Kirghizstan, Klitschko est
ukrainien mais a vécu à Hambourg et Los
Angeles pendant plusieurs années, de
sorte que ses trois enfants sont de
nationalité américaine car nés aux
États-Unis [21].
Une rapide navigation sur le site du
parti permet de se rendre compte qu’UDAR
compte parmi ses uniques partenaires
étrangers : l’IRI (de McCain), le NDI
(présidé par Madeleine K. Albright,
l’ancienne secrétaire d’État américaine)
et le CDU (de Merkel). Notons ici que
l’IRI et le NDI sont deux des quatre
organisations satellites de la NED.
Dans un rapport du German Foreign
Policy intitulé « Notre homme à Kiev »
datant de décembre 2013, on peut lire à
propos de Klitschko et de son parti : « Selon
les rapports de presse, le gouvernement
allemand aimerait que le champion de
boxe Vitali Klitschko brigue la
présidence pour l'amener au pouvoir en
Ukraine. Il souhaite améliorer la
popularité de la politique de
l'opposition en organisant, par exemple,
des apparitions publiques conjointes
avec le ministre des Affaires étrangères
allemand. A cet effet, une réunion est
également prévue pour Klitschko avec la
chancelière Merkel lors du prochain
sommet de l'UE à la mi-Décembre. La
Fondation Konrad Adenauer a, en effet,
non seulement soutenu massivement
Klitschko et son parti UDAR, mais selon
un politicien de la CDU, le parti UDAR a
été fondée en 2010 sur les ordres
directs de la fondation de la CDU. Les
rapports sur les activités de la
Fondation pour le développement du parti
de Klitschko donnent une indication de
la façon avec laquelle les Allemands
influencent les affaires intérieures de
l'Ukraine via UDAR » [22]. Ainsi,
UDAR serait une création du CDU, ce qui
explique la forte implication de la
diplomatie allemande dans le
« bourbier » ukrainien. Cette
information est confirmée par de
nombreux autres articles [23].
Le
troisième mouvement a participé à
l’insurrection ukrainienne
pro-occidentale. Il s’agit de
« Svoboda » (liberté en ukrainien) qui
est un parti d’extrême-droite
ultranationaliste dirigé par Oleh
Tyahnybok. Svoboda a fait couler
beaucoup d’encre à cause de ses
positions xénophobe, antisémite,
homophobe, antirusse et anticommuniste
[24]. Ce parti, qui n’est ouvert qu’aux
Ukrainiens « pure laine », glorifie des
personnages historiques ukrainiens
ouvertement fascistes et pro-nazis comme
le tristement célèbre Stepan Bandera.
Pendant la seconde guerre mondiale, ce
dernier a combattu les Soviétiques tout
en ayant des liens avec l’Allemagne
nazie [25]. Ajoutons à cela que Svoboda
est étroitement lié à une organisation
paramilitaire, les « Patriotes de
l'Ukraine » [26]. Considérée comme
néo-nazie, elle a été très active durant
les récents évènements qui ont
ensanglanté les rues de Kiev.
Les trois partis
cités précédemment ont formé une
alliance appelée « Groupe d’action pour
la résistance nationale » pour mener à
bien la déstabilisation du gouvernement
Ianoukovytch. En plus, on vient
d’apprendre qu’une nouvelle coalition a
été créée au parlement ukrainien post-Ianoukovytch.
Nommée "Choix européen", elle réunit 250
députés de différents groupes
parlementaires dont Batkivtchina, UDAR
et Svoboda [27]. Et pour compléter la
mainmise du nouveau pouvoir sur les
institutions ukrainienne, Oleg Mahnitsky
vient d’être nommé Procureur général de
l'Ukraine, poste d’importance capitale
en cette période de soubresauts
« révolutionnaires » et d’évidents
règlements de comptes « démocratiques ».
Petite précision : Mahnitsky est membre
du parti Svoboda [28]. La cerise sur le
gâteau? Dans le nouveau gouvernement
post-Euromaïdan largement dominé par le
parti Batkivshina de Timochenko, trois
portefeuilles ont été octroyés à des
membres de Svoboda : Oleksandr Sych,
vice-Premier ministre; Andriy Mokhnyk,
Ministre de l’environnement et Oleksandr
Myrnyi, Ministre de l’agriculture [29].
Une autre nomination
n’est pas passée inaperçue dans ce
gouvernement : celle de Pavel Sheremeta
qui, de 1995 à 1997, était directeur de
programme à l'Open Society Institute de
Budapest, la fameuse fondation de George
Soros [30].
Le
quatrième groupe factieux présent sur la
place Maïdan est probablement le plus
violent de tous. Connu sous
l’appellation « Pravy Sektor » (Secteur
de Droite), il représente la coalition
d’une multitude de groupuscules de
l’extrême-droite radicale et fasciste
qui considère que Svoboda est « trop
libéral » (sic) [31]. Créée en novembre
2013 [32], l’organisation a pour leader
Dmitro Yarosh, le chef d’une
organisation d’extrême-droite nommée « Trizub »
(Trident) qui est réputée être le noyau
dur de la brutale dissidence [33]. En
plus de Trizub, on y trouve, en
particulier, les « Patriotes de
l'Ukraine », l’« Ukrainska Natsionalna
Asambleya – Ukrainska Narodna
Sambooborunu – UNA-UNSO » (Assemblée
Nationale Ukrainienne – Autodéfense
Nationale Ukrainienne), Bilyi Molot
(Marteau Blanc) ainsi que l’aile
radicale de Svoboda [34].
Dans une interview au
magazine TIME publiée le 4 février 2014,
Yarosh a déclaré que « ses cohortes
antigouvernementales à Kiev sont prêtes
à la lutte armée »
[35]. « Nous ne sommes pas des
politiciens, nous sommes des soldats de
la révolution nationale », a-t-il
ajouté. Il faut dire que le meneur du
Pravy Sektor a passé quelques années
dans l’armée soviétique et que, pour
lui, la « "révolution nationale" est
impossible sans violence et qu'elle
devrait conduire à un état "purement
ukrainien" avec, pour capitale, Kiev
» [36]. Il a aussi révélé dans son
interview que sa coalition avait amassé
un arsenal d’armes létales. Et de
préciser : « Juste assez pour
défendre l’Ukraine des occupants
internes (i.e. les membres du
gouvernement) ».
En effet, de nombreuses photos et
vidéos montrent des militants du Pravy
Sektor en tenues paramilitaires en train
de s’entraîner publiquement sur la place
Maïdan [37], impliqués dans des
échauffourées d’une extrême violence
avec des forces de l’ordre ou utilisant
des armes à feu contre les « Berkout »
(police antiémeute) [38].
En reportage à partir
de Kiev, le journaliste britannique
David Blair nous donne son point de vue
sur l’organisation du Pravy Sektor: « Ce
qui est clair, c'est qu'ils sont très
organisés. Un approvisionnement régulier
des masques à gaz, de la nourriture et
des surplus de camouflage de l'armée
arrivent aux bénévoles sur les
barricades. D'anciens soldats offrent
une formation de combat à mains
nues en dehors de la tente qui sert de
petite base de Pravy
Sektor sur la place de l'Indépendance à
Kiev. Les bénévoles ont décrit un
système de commande avec plusieurs
dirigeants qui commandent l'armée
hétéroclite déployée à la barricade
principale sur la rue Grushevskogo à
Kiev. La question qui vient à l’esprit
de beaucoup de gens est qu’est-ce qu’un
groupe aussi puissant, en dehors du
contrôle des politiciens traditionnels,
ferait si la révolution réussit et le
gouvernement tombe » [39].
Personne ne peut dire si la révolution a
réussi ni même si cette insurrection
peut être considérée comme telle. Mais
ce dont on est sûr, c’est que le
gouvernement est réellement tombé et que
Dmitro Yarosh a été nommé adjoint au
président du Conseil de sécurité et de
défense nationale d’Ukraine [40],
organisme consultatif d’état chargé de
la sécurité nationale dépendant du
président du pays. Et qui est le
président de ce conseil? Nul autre qu’Andriy
Parubiy, « le commandant du Maïdan »
[41], « le chef d'état-major de la
révolution ukrainienne » [42] qui, le
temps d’une « révolution », a rangé ses
vêtements de député du parti
Batkivshchyna pour enfiler celui de
« généralissime » de l’« armée » des
émeutiers de l’Euromaïdan. Mais, le plus
intéressant est de savoir que Parubiy
est un transfuge du parti Svoboda. En
effet, il est, avec Oleh Tyahnybok,
cofondateur en 1991 du Parti
Social-Nationaliste d'Ukraine (SNPU),
rebaptisée Svoboda en 2004 [43]. Comme
quoi, les barricades, les émeutes, la
désobéissance civile, la violence et le
fascisme peuvent mener très haut
en Ukraine.
Il
faut reconnaître que les évènements de
Kiev ont fait saliver un grand amateur
de guerres « sans les aimer ». Ainsi,
tel un squale attiré par le sang,
Bernard-Henri Levy (BHL), le fameux
« rossignol des charniers », est allé à
Kiev rencontrer les émeutiers. Toute
honte bue après le fiasco libyen et
mentant comme un arracheur de dents, il
s’y exclama : « Je n’ai pas
vu de néo-nazis, je n’ai pas entendu
d’antisémites
» [44].
Pour contredire le
« dandy » aux chemises blanches
échancrées, voici ce qu’en dit
l’Ukrainienne Natalia Vitrenko,
présidente du Parti socialiste
progressiste d'Ukraine : « Au début,
[les meneurs] étaient les députés de
l’opposition Iatseniouk, Klitschko et
Tyahnybok. Ces trois personnes menaient
le Maïdan. Mais, ensuite, c’est le Pravy
Sektor qui a pris les choses en main.
Depuis la mi-décembre, la politique du
Maïdan a été dictée par Pravy Sektor qui
est une alliance de différents partis et
mouvements néo-nazis. Ce sont des
groupes paramilitaires, des terroristes
très bien entrainés » [45].
Mais la meilleure
réponse, celle qui correspond le mieux
au niveau de la déclaration de BHL, est
à mettre au compte de la journaliste
Irina Lebedeva : « Il [BHL] est
chanceux, les militants de Svoboda et du
Pravy Sector, organisations prônant la
pureté raciale, ont certainement reçu
des instructions claires de ne pas
toucher à celui-là » [46].
Timochenko:
blonde ou brune?
La figure politique
ukrainienne la plus médiatisée par les
organes de presse occidentaux mainstream
est incontestablement Ioulia Timochenko.
Traitée comme un personnage historique
plus grand que nature, elle bénéficie de
surnoms élogieux mais surtout pompeux :
la « Marianne à la tresse », la
« Princesse du gaz », la « Jeanne d'Arc
ukrainienne » ou la « Dame de fer ».
Mais même si d’aucuns ont remarqué une
statuette de Jeanne d'Arc et les
mémoires de Margaret Thatcher trôner
dans son bureau [47], son parcours est
loin d’être si vertueux. En fait, sa
pratique politique relève plus des
romans à scandales politico-financiers
(voire maffieux) que de l’abnégation
pour la patrie et le peuple ukrainiens.
Jugez-en.
À
propos de romans, commençons par Olexandre Tourtchinov qui est,
paraît-il, un vrai romancier spécialisé
dans le genre « science-fiction ». Oui,
celui qui est actuellement président de
l’Ukraine, qui a été qualifié de
« fidèle écuyer » de Timochenko et qui
est né, comme elle, dans la ville de
Dnipropetrovsk.
En 1994, Tourtchinov
crée avec Pavlo Lazarenko, un notable de
Dnipropetrovsk, le parti Hromada
dont Timochenko deviendra la présidente
en 1997. Une année plus tard, en 1995,
la « Marianne à la tresse » qui avait
humblement commencé sa carrière de chef
d’entreprise avec un prêt de 5000$,
réorganise sa modeste « Compagnie du
pétrole ukrainien » (créée en 1991) pour
fonder, avec l’aide de Lazarenko, la
compagnie de distribution
d'hydrocarbures « Systèmes
énergétiques unis d'Ukraine » (SEUU).
Cette même année, Lazarenko est nommé
vice-Premier ministre chargé de
l’énergie. Très certainement favorisés
par les leviers politiques inhérents au
poste de Lazarenko, les résultats de
SEUU explosent : 10 milliards de dollars
de chiffre d’affaires et 4 milliards de
profits pour l’année 1996! Et tout cela
grâce à des contrats très lucratifs
reliés à la vente en Ukraine de gaz
naturel russe [48]. Les années de
bonheur continuent avec la promotion de
Lazarenko au poste de Premier ministre
en mai 1996, bien qu’il échappât à un
attentat à la bombe à peine 2 mois plus
tard [49]. Au début de l’année 1997, la
SEUU contrôlait plusieurs banques, avait
des participations dans des dizaines
d'entreprises de la métallurgie et la
construction mécanique, était
copropriétaire de la troisième plus
grande compagnie aérienne de l'Ukraine
et de son deuxième plus grand aéroport,
celui de Dnipropetrovsk, en plus de
participation dans le
développement de gazoducs turcs et
boliviens, ainsi que le contrôle de
plusieurs journaux locaux et nationaux
[50].
Comme l’enrichissement
« exponentiel » est souvent synonyme
d’affaires louches, des soupçons ont
commencé à peser sur Lazarenko et
la SEUU. En avril 1997, le New York
Times rapporta que Lazarenko possédait
des parts dans cette compagnie. D’autres
affaires furent dévoilées et, en juillet
de la même année, le président Koutchma
congédia Lazarenko. La suite est
rocambolesque. En 1998, Lazarenko est
arrêté par la police suisse à la
frontière franco-helvétique et accusé
par les autorités de Berne de
blanchiment d’argent et relâché après le
paiement d’une forte caution. Dans un
article publié en 2000 et intitulé
« Les comptes fantastiques de M.
Lazarenko », Gilles Gaetner parle d’un
détournement des deniers publics
ukrainiens de l’ordre de 800 millions de
dollars, « sans doute la plus
importante affaire de blanchiment de
l'après-guerre » [51]. Lazarenko
fuit alors aux États-Unis où il cherche
à obtenir l’asile politique, mais il y
est arrêté en 1999.
Bien qu’élus sous la bannière Hromada,
Timochenko et Tourtchinov quittent ce
parti en 1999 après les déboires de
Lazarenko pour créer, ensemble, le parti
Batkivshina [52].
Poursuivi par la justice américaine,
Lazarenko est condamné en 2006 à neuf
ans de prison pour extorsion de fonds,
blanchiment d'argent par les banques
américaines et fraudes [53]. Un rapport
2004 du « Transparency International
Global Corruption » classe Lazarenko
parmi les 10 leaders politiques les plus
corrompus du monde [54]. La justice
ukrainienne poursuit toujours Lazarenko
pour l’assassinat du député Evguen
Scherban et de sa femme en 1996. Selon
l’accusation, le groupe de Scherban
était en concurrence avec la SEUU et
gênait ses activités.
Lazarenko a été
libéré en novembre 2013, mais il a été
placé dans un centre de détention pour
migrants à cause de l’expiration de son
visa [55].
L’arrestation de Lazarenko n’entame
en rien l’opportunisme politique de
Timochenko. Dès que Viktor Iouchtchenko
accède au poste de Premier ministre en
1999, elle est nommée vice-Premier
ministre chargé de l’énergie, poste
occupé par Lazarenko quelques années
auparavant. Néanmoins, elle est
finalement touchée par le scandale
Lazarenko et accusée en 2001 de
« contrebande et de falsification de
documents », pour avoir frauduleusement
importé du gaz russe en 1996 lorsqu’elle
était présidente de SEUU [56].
Timochenko est arrêtée et fera quelques
semaines de prison [57]. En 2002, elle
est victime d’un grave accident de la
route qu’elle interprètera comme une
tentative d’assassinat [58].
C’est pendant cette
période qu’elle change de look. De
brune, elle devient blonde. « Ioulia
troque son style de femme d'affaires
sexy cheveux libres et tailleurs
moulants contre celui, plus sage, de
parlementaire en col Claudine, jupe
au-dessous du genou. Elle adopte sa
coiffure actuelle, la fameuse tresse
blonde disposée en couronne autour de sa
tête » [59].
En 2004, la
« révolution » orange éclate et
Timochenko en devient l’égérie.
Iouchtchenko accède à la magistrature
suprême en 2005 et, elle, Premier
ministre par deux fois. Toutes les
accusations sont, comme par
enchantement, oubliées.
Divulgué par
Wikileaks, un rapport au congrès
américain datant de 2005 décrit ainsi la
« princesse du gaz » : « Timochenko
est un leader énergique et charismatique
avec un style politique parfois combatif
qui a fait une campagne efficace pour M.
Iouchtchenko. Cependant, elle est un
personnage controversé en raison de son
lien au milieu des années 1990 avec les
élites oligarchiques, dont l'ancien
Premier ministre Pavlo Lazarenko, qui
purge actuellement une peine dans une
prison américaine pour fraude,
blanchiment d'argent et extorsion.
Timochenko a servi en tant que chef
d'une entreprise de négoce en gaz et de
vice-Premier ministre dans le
gouvernement notoirement corrompu de
Lazarenko. On dit qu’elle est
extrêmement riche […]. Elle a ensuite
été l’objet d’une enquête pour
corruption et blanchiment d'argent et a
été brièvement emprisonnée. Toutes les
accusations ont été officiellement
abandonnées après l'élection de Viktor
Iouchtchenko. La Russie a également
déposé des accusations de corruption
contre elle peu de temps avant la
campagne électorale » [60].
L’accès au pouvoir du couple
Iouchtchenko – Timochenko (grâce à la
vague orange), permet à Tourtchinov
d’occuper le poste de chef des Services
secrets ukrainiens (SBU) en février
2005. Toutefois, en 2006, une enquête le
vise ainsi que son adjoint. Il leur est
reproché d’avoir détruit le dossier d’un
dangereux parrain du crime organisé
ukrainien,
Semyon Mogilevich [61]. Ce maffieux
est soupçonné de diriger un vaste empire
criminel et est décrit par le FBI, en
1998, comme « le gangster le plus
dangereux du monde » [62]. Les
accusations furent étonnamment
abandonnées quelques mois plus tard. Il
obtint même une excellente promotion. En
effet, à son deuxième mandat de Premier
ministre (2007), Timochenko lui octroie
le poste de vice-Premier ministre,
fonction qu’il occupera jusqu’en 2010,
date à laquelle elle perd les élections
présidentielles contre Ianoukovytch.
Les
relations conflictuelles du couple
Iouchtchenko – Timochenko donna le coup
de grâce aux mirages de la
« révolution » orange. Timochenko est
accusée d'avoir trahi l'intérêt national
pour préserver ses ambitions
personnelles [63].
L’arrivée de Ianoukovytch au pouvoir
mit fin à l’impunité de la candidate
battue par les urnes et son dossier
judiciaire est ressorti du placard pour
des anciennes et nouvelles « affaires ».
Timochenko est poursuivie dans de
nombreux dossiers: mauvaise utilisation
de fonds perçus en 2009 pour la vente
de quotas d'émission de CO2,
abus de pouvoir lors de la signature en
2009 de contrats sur le gaz avec la
Russie considérés défavorables à son
pays, fraude fiscale et détournement de
fonds relatifs à l’affaire Lazarenko et
sa responsabilité dans la gestion de la
SEUU [64]. Plus grave encore, elle est
accusée de complicité de meurtre (avec
Lazarenko) dans l’affaire Scherban
(1996). Selon le procureur général
adjoint, « la victime était en
conflit avec Mme Timochenko, qui
s'occupait alors de la distribution du
gaz russe en Ukraine et tentait de
contraindre des entreprises de la région
industrielle de Donetsk (Est) à acheter
cette matière première à sa société
Systèmes Énergétiques Unis d'Ukraine
(SEUU), grâce au soutien du Premier
ministre à l'époque, Pavlo Lazarenko
»; « Evguen Chtcherban, un
homme fort de la région et dont le
groupe était un concurrent de la société
de Mme Timochenko, s'était publiquement
opposé à l'expansion de SEUU, et l'a
payé de sa vie » [65]. Il ajouta à
cela « qu'il y avait des témoins
qu'elle et l'ancien Premier ministre
Pavlo Lazarenko avaient payé pour les
meurtres ». Ces allégations sont
soutenues par Ruslan, le fils de M.
Shcherban, qui a survécu à l'assassinat
de ses parents. Dans une conférence de
presse, il a déclaré avoir remis des
documents au bureau du procureur général
impliquant les deux anciens premiers
ministres (Lazarenko et Timochenko) dans
les meurtres [66].
Le bureau du procureur général
d'Ukraine a publié un document
explicatif du rôle de Timochenko
dans le meurtre de M.
Shcherban.
Cliquez sur le lien ci-dessous
pour le lire:
|
La
complicité de Timochenko est aussi
envisagée dans deux autres assassinats:
l’homme d’affaires Alexander Momot (tué
en 1996, quelques mois avant Shcherban)
et l’ancien gouverneur de la Banque
nationale d’Ukraine, Vadym Hetman (tué
en 1998) [67].
Timochenko a été
condamnée à sept ans de prison en
octobre 2011 et placée en détention pour
son implication dans l’affaire des
contrats gaziers [68].
Les
événements inespérés de l’Euromaïdan
sont venus extirper « la princesse du
gaz » de sa geôle. Et de quelle manière!
Le samedi 22 février 2014, à 12h08,
Tourtchinov, le bras droit de
Timochenko, est élu président du
Parlement ukrainien. Trente minutes plus
tard, comme s’il s’agissait de l’affaire
la plus urgente à régler dans un pays en
pleine insurrection, le parlement vote
la libération « immédiate » de
Timochenko. À titre de comparaison, ce
n’est qu’à 16h19 que ce même parlement
votera la destitution de Ianoukovitch
[69].
Avec la nomination du militant
d’extrême-droite Oleg Mahnitsky comme
procureur général, ainsi que celle d’un
très grand nombre de membres du parti
Batkivshina à des postes-clés au sein de
l’appareil de l’état, on peut aisément
prédire que Timochenko n’aura plus, au
moins pour un certain temps, à
s’inquiéter de ses problèmes
judiciaires.
Il faut reconnaître qu’à deux
reprises Timochenko a été arraché des
mains de la justice grâce à des émeutes
populaires de grande ampleur : la
« révolution » orange en 2004 et,
maintenant, l’Euromaïdan.
En plus de ses talents de romancier,
il paraît que le président Tourtchinov
est aussi pasteur évangélique. Serait-ce
à ce titre qu’il a « sauvé » son amie de
toujours?
Mais « Kiev vaut bien une messe »,
non?
L’insolente ingérence occidentale
L’Euromaïdan peut être considéré
comme une « révolution » colorée, revue
et corrigée à la sauce « printemps »
arabe, arôme syrien. En effet, bien que
de nombreuses similitudes puissent être
trouvées entre la « révolution » orange
et l’Euromaïdan, deux différences
fondamentales sont à noter. La première,
déjà discutée précédemment, est relative
à la violence des émeutes qui est
essentiellement due à l’omniprésence de
manifestants de l’extrême-droite
fasciste et néo-nazie. Par comparaison,
la « révolution » orange était basée sur
les théories non-violentes de Gene
Sharp. La seconde différence relève de
l’insolente présence physique de
personnalités occidentales, politiques
et civiles, sur la place Maïdan,
haranguant les foules et incitant à la
désobéissance civile, en complète
contradiction avec le principe
fondamental de non-ingérence dans les
affaires internes d’un pays souverain,
dont les dirigeants ont été
démocratiquement élus.
Commençons par John McCain, président
du conseil d’administration de l’IRI
qui, à Kiev, est en terrain connu.
Effectivement, après (et non pendant) la
« révolution » orange, il s’était déjà
rendu en Ukraine (en février 2005) pour
y rencontrer ses « poulains » qu’il
avait largement financés.
Le sénateur américain
s’est aussi rendu dans les pays arabes
« printanisés » : Tunisie (21 février
2011), Égypte (27 février 2011), Libye
(22 avril 2011) et Syrie (27 mai 2013).
Lors des deux premiers voyages, les
gouvernements étaient déjà tombés. Dans
les deux derniers, la bataille faisait
rage (elle le fait encore en Syrie).
À Kiev, McCain s’adressa aux révoltés
du Maïdan le 14 décembre 2013. « Nous
sommes ici pour soutenir votre juste
cause, le droit souverain de l'Ukraine à
choisir son propre destin librement et
en toute indépendance. Et le destin que
vous souhaitez se trouve en Europe
», a-t-il claironné [70].
Il y
rencontra le « triumvirat du Maïdan »,
c’est-à-dire Iatseniouk, Klitschko
et Tyahnybok. Il n’a pas été embarrassé
de poser avec Tyahnybok, alors que ce
dernier aurait été interdit, l'année
dernière, d'entrer aux États-Unis en
raison de ses discours antisémites [71].
Non, rien ne l’a gêné de traiter avec le
leader de Svoboda, un parti ouvertement
ultranationaliste, xénophobe et prônant
des valeurs néo-nazies, tout comme rien
ne l’a dérangé de soutenir de
sanguinaires terroristes en Libye ou en
Syrie. La fin justifie les moyens :
l’important est de soustraire l’Ukraine
du giron russe.
L’ingérence
américaine s’est aussi illustrée par
« l’affaire Nuland » qui a montré que le
vocabulaire diplomatique utilisé par
certains hauts fonctionnaires américains
n’avait rien à envier à celui des
charretiers. « Fuck the UE! »,
s’est-elle exclamée. Ce qui en dit long
sur la lutte d’influence qui oppose
l’oncle Sam au vieux continent.
Et comment Victoria Nuland, la
sous-secrétaire d'État pour l'Europe et
l'Eurasie, appelle-t-elle les leaders
de l’Euromaïdan? « Yats » et « Klitsch »
[72]? Comme « Jon » et « Ponch » dans la
populaire série américaine « CHiPs »?
Utiliser un langage si familier suppose
une évidente proximité et une indéniable
connivence entre les membres du
triumvirat et l’administration
américaine, c’est le moins qu’on puisse
dire.
En plus de L’IRI, la
NED est présente à Kiev. Pour s’en
rendre compte, il n’y a qu’à suivre
Nadia Diuk qui écrit à partir de Kiev et
dont les articles sont publiés dans « le
Kiyv Post » et d’autres fameux journaux.
Les titres de ses articles sont
idylliques : « La révolution
auto-organisée d’Ukraine » [73], « Les
visions du futur de l’Ukraine » [74],
etc. Déjà, en 2004, en pleine
« révolution » orange, elle écrivait
« En Ukraine, une liberté indigène »
[75] pour prouver que la « révolution »
était spontanée, ce qui contredit toutes
les études (occidentales) qui ont été
publiées subséquemment. Il faut se
rendre à l’évidence que la teneur de ses
articles n’a guère changé avec le temps.
Et pour cause, Mme Diuk est
vice-présidente à la NED, chargée
des programmes pour l’Europe, l’Eurasie,
l’Afrique, l’Amérique latine et les
Caraïbes [76].
Les rapports annuels de la NED
montrent que, juste pour 2012, les
montants octroyés à une soixantaine
d’organismes ukrainiens s’élevaient à
près de 3,4 millions de dollars [77].
Dans ce rapport, il est indiqué que
l’IRI de McCain et le NDI d’Albright ont
respectivement bénéficié de 380 000 et
345 000 $ pour leurs activités en
Ukraine.
Cette évidente implication américaine
en Ukraine a été signalée par Sergueï
Glaziev qui a déclaré que « les
Américains dépensent 20 millions de
dollars par semaine pour financer
l'opposition et les rebelles, y compris
pour les armer » [78].
Le second pays occidental largement
impliqué dans l’Euromaïdan est
l’Allemagne. Une dizaine de jours avant
McCain, Guido Westerwelle, le chef de la
diplomatie allemande, a pris un bain de
foule au milieu des manifestants de la
place Maïdan en compagnie de ses
« protégés » « Yats » et « Klitsch » ou,
plus poliment, Iatseniouk et Klitschko.
Après s’être entretenus avec eux à huis
clos, il déclara « Nous ne sommes
pas ici pour soutenir un parti, mais
nous soutenons les valeurs européennes.
Et quand nous nous engageons pour ces
valeurs européennes, il est
naturellement agréable de savoir qu'une
grande majorité des Ukrainiens partagent
ces valeurs, veulent les partager et
souhaitent suivre la voie qui mène à
l'Europe » [79]. En parlant de
majorité, Westerwelle n’a certainement
pas consulté les récents sondages qui
montrent que seuls 37% de la population
ukrainienne est favorable à une adhésion
de leur pays à l’Union Européenne [80].
D’ailleurs, les citoyens européens le
sont-ils? Pas si sûr. Par exemple, un
très récent sondage montre que 65% des
Français sont opposés à l'idée d'une
aide financière apportée par la France
et l'Union européenne à l'Ukraine et 67%
sont contre une entrée de ce pays dans
l'UE [81].
D’autre part, la
chancelière allemande a, comme son
ministre, reçu Iatseniouk et Klitschko
le 17 février 2014 à Berlin. Le candidat
sur lequel ont misé Merkel, le CDU et
son think tank, la Fondation Konrad
Adenauer, est Klitschko [82]. Néanmoins,
le parti de Timochenko est aussi
considéré comme un allié du PPE et du
CDU ainsi que l’avait affirmé M. Martens
lors d’un discours au Club de la
Fondation Konrad Adenauer en 2011 : « Ioulia
Timochenko est une amie de confiance et
son parti est un membre important de
notre famille politique ». Dans ce
même discours, il avait déclaré que sa
position était similaire à celle de
McCain quant au soutien à Timochenko
(pour sa libération lorsqu’elle était
emprisonnée) [83].
Il faut souligner que
cette convergence de vue entre l’IRI et
la Fondation Konrad Adenauer n’est ni
fortuite, ni récente. En réalité, elle
remonte à la création de la NED comme
nous l’explique Philip Agee,
l’ancien agent de la CIA qui avait
quitté l’agence pour vivre à Cuba [84].
Tout d’abord, il faut comprendre que la
NED a été créée pour prendre en charge
certaines tâches qui relevaient
originalement de la CIA, en l’occurrence
la gestion des programmes secrets de
financement de la société civile
étrangère. Après avoir consulté un vaste
éventail d'organisations nationales et
étrangères, les autorités américaines
furent intéressées par les fondations
des principaux partis de l’Allemagne de
l’Ouest qui étaient financées par le
gouvernement allemand : la Friedrich
Ebert Stiftung des sociaux-démocrates et
la Konrad Adenauer Stiftung des
démocrates-chrétiens. Nous trouvons
actuellement une structure analogue dans
le paysage politique américain. L’IRI et
le NDI, les deux satellites de la NED,
sont respectivement reliés aux partis
républicain et démocrate américains et,
comme ses homologues allemands, sont
financés par des fonds publics. Comme la
CIA collaborait avec ces « Stiftungs »
allemands pour financer des mouvements à
travers le monde bien avant la création
de la NED par le président Reagan en
1983, les relations sont restées solides
jusqu’à nos jours.
Bien que plus discret que les deux
précédents, le troisième pays impliqué
dans les événements ukrainiens est le
Canada. Cet intérêt est probablement dû
au fait que le Canada abrite la plus
grande diaspora ukrainienne dans le
monde après celle de la Russie. Plus de
1,2 millions de canadiens sont d’origine
ukrainienne [85].
John Baird, le ministre des affaires
étrangères canadien a rencontré le
triumvirat ukrainien le 4 décembre 2013
à Kiev et, comme les autres, a effectué
un « pèlerinage » à la place Maïdan. Le
chef de la diplomatie canadienne est
revenu à Kiev le 28 février 2014 pour y
rencontrer les nouvelles autorités : le
président Tourtchinov, le Premier
ministre Iatseniouk et la « Jeanne d'Arc
ukrainienne ». Questionné sur son
soutien « inconditionnel » de l’Ukraine
et ses conséquences sur les relations
avec la Russie, il répondit : « Nous
n’allons certainement pas nous excuser
pour avoir soutenu le peuple ukrainien
dans sa lutte pour la liberté »
[86]. À noter que Paul Grod, le
président du Congrès des
Ukrainiens-Canadiens (UCC) a accompagné
Baird dans ses deux voyages. Ses
positions sont calquées sur celles de la
diplomatie canadienne.
Les positions et les réactions de
tous ces politiciens laissent cependant
perplexes. Certes, les vies perdues lors
de ce sanglant conflit sont à déplorer,
mais qu’auraient-ils fait si des
manifestants violents, appartenant à des
groupes extrémistes, auraient occupé le
centre-ville de leur capitale, tué des
membres des forces de l'ordre, kidnappé
des dizaines de policiers, occupé
des locaux officiels et troublé l’ordre
public pendant des mois? Et n’ont-ils
pas une part de responsabilité dans
l’augmentation du nombre de victimes en
venant jeter de l’huile sur le feu du Maïdan?
En France, par exemple, le ministre
de l’Intérieur Manuel Valls s’est
insurgé contre une récente manifestation
de « Black Bloc » qui a fait six blessés
parmi les policiers, le 22 février 2014.
Voici ses commentaires : « Cette
violence venant de cette ultra-gauche,
de ces Black Bloc, qui sont originaires
de notre pays mais aussi de pays
étrangers est inadmissible et elle
continuera à trouver une réponse
particulièrement déterminée de la part
de l’État ». Après avoir rendu
hommage «au préfet de la Loire
Atlantique, aux forces de l’ordre,
policiers et gendarmes, qui avec
beaucoup de sang froid et de
professionnalisme ont contenu cette
manifestation », il ajouta : «
Personne ne peut accepter de telles
exactions » [87].
Et les Ukrainiens, doivent-ils les
accepter? Et comment aurait réagi la
classe politique française et
occidentale si ces « Black Bloc »
avaient été financés, formés ou soutenus
par des organismes et politiciens
étrangers, Russes, Chinois ou Iraniens
venus à Nantes pour les soutenir?
Je vous laisse le soin d’y répondre.
En définitive, il faut se rendre à
l’évidence que l’Euromaïdan, tout comme
la « révolution » orange, est un
mouvement largement soutenu par des
officines occidentales. Cette conclusion
ne doit pas éclipser la réelle
corruption de toute la classe politique
ukrainienne. Vouloir nous présenter,
comme le font les médias occidentaux
mainstream, les « bons » avec Timochenko
et les « mauvais » avec Ianoukovytch
est une vision biaisée de la réalité. Le
gouvernement Ianoukovytch ayant été
démocratiquement élu, les évènements
récents sont, sans équivoque, un coup
d’État.
Ce coup d’État a permis à des
militants de l’extrême-droite
ukrainienne, ultranationaliste fasciste
et néo-nazie, de faire partie du nouveau
gouvernement ukrainien. Cette présence,
ouvertement appuyée par les
gouvernements occidentaux est néfaste
pour l’avenir et la stabilité du pays.
La hâtive, expéditive, controversée et
incompréhensible abrogation de la loi «
sur les bases de la politique
linguistique de l’État » est un exemple
patent [88].
En outre, ce rapprochement « forcé »
de l’Ukraine avec l’Union Européenne et
son corollaire l’éloignement de ce pays
de la Russie n’est pas bénéfique pour le
peuple ukrainien. Selon des spécialistes
occidentaux et non-occidentaux, la
proposition russe était de loin plus
intéressante que celle conjointe de
l’Union Européenne et des États-Unis qui
n’ont d’autre alternative que d’offrir
la « médecine FMI » à ce Pays [89].
Contrairement aux vœux pieux de
Timochenko clamés au Maïdan, il serait
utopique de penser que l’Ukraine fasse
partie de l’Union « dans un avenir
proche » [90], au vu de la
situation désastreuse de certains pays
européens comme la Grèce, par exemple.
La « Marianne aux tresses » n’a
probablement pas entendu le ministre
français des Affaires européennes,
Thierry Repentin. « Dans toutes les
négociations pour offrir à l'Ukraine un
accord d'association, nous avons
bataillé ferme pour retirer toute
allusion à une adhésion à l'UE. Pas
question de changer de position »
a-t-il déclaré dans un article publié le
3 février dernier [91].
Si l’Ukraine ne peut prétendre à une
adhésion à l’Union Européenne et que les
défenseurs occidentaux de sa
« révolution » ne mettent pas la main à
la poche, tout semble indiquer que ce
pays n’est qu’un « cheval de Troie »
pour gêner la Russie qui prend trop de
place et beaucoup d’aisance dans les
enjeux internationaux, à l’instar de son
rôle dans le conflit syrien. Une façon
comme une autre d’ouvrir une nouvelle
ère de guerre froide. Les troubles en
Crimée et les menaces de l’exclusion de
la Russie du G8 [92] n’en sont que les
prémices.
Les Ukrainiens doivent savoir qu’ils
sont condamnés à vivre en bon voisinage
avec la Russie avec laquelle ils ont une
frontière commune et des liens
historiques, commerciaux, culturels et
linguistiques.
Une chose est sûre, cependant: le
réveil « postrévolutionnaire » sera
douloureux pour les Ukrainiens.
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Le sommaire d'Ahmed Bensaada
Le dossier Ukraine
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