De Gaza
Quand un père des victimes dit pourquoi,
qui va lui répondre ?!
Ahmed Alostaz
Ahmed
Alostaz
Mercredi 22 octobre 2014
Gaza n'est pas seulement une ville de
merveilles, mais aussi une ville
d'histoires magiques et tragiques, une
ville de temps suspendu et des souvenirs
cruels, une ville d'âmes saccagées et
d'autres âmes
les pleurant; Gaza est une ville
de misère.
Juste après l'agression, j'ai visité un
ami s'appelant Ahmed aussi, habitant à
Beit Hnoun, ville sinistrée
située
au nord- est de la bande de Gaza,
pendant que nous faisions le tour de la
ville pour regarder ce qui
se tient encore debout de cette
ville rasée et ce qui a été ainsi
anéanti, Ahmed me racontait des
histoires réelles des carnages perpétrés
contre certaines familles de la ville,
et d'autres familles qu'il connait,
habitant ailleurs dont l'une est
celle de Abu Mustafa.
Ahmed m'a raconté que ce pauvre homme a
perdu plus que la moitié de sa famille
en ciblant sa maison par un drone
aveugle assez sophistiqué, néanmoins il
n'appartenait à aucune partie politique
ni à un mouvement de résistance et ses
enfants non plus, j'ai été vraiment
touché par son histoire et je voulais
bien en savoir plus, alors, moi et
Ahmed, avons décidé de lui rendre visite
de sorte que nous lui présentions nos
condoléances et qu'il nous raconte son
histoire en personne.
Un jour, nous avons appelé Abu Mustafa
afin de lui demander où pouvons-nous le
rencontrer, il nous a donné une adresse
d'un deuil où il est allé présenter ses
condoléances à une famille amie perdant
un
de ses fils à l'étranger.
Nous avons pris un taxi dont je ne me
souviens plus la couleur, à Gaza les
taxis n'ont pas de couleurs précises,
allant au camp de refugiés de Jabalia où
il existe le deuil, au moment où nous y
sommes arrivés, j'ai vécu quelques
moments d'étonnement et je me suis mis à
me poser certaines questions dont:
arrive-il qu'une personne endeuillée
vienne tout simplement présenter ses
condoléances aux autres endeuillés?! Et
ce deuil, ne le rappelle-t-il pas sa
tragédie qu'il a vécue il y a quelques
semaines?!
Ne
souvient-il pas et n'a-t-il pas
de nostalgie à ses enfants tout
en voyant les autres enfants jouant
auprès du deuil?!
Du loin, Ahmed a pointé son doigt vers
Abu Mustafa en me disant ''
voilà
Abu Mustafa, celui qui porte le costume
marron,
l'as-tu vu?
"
après quelques secondes, j'ai dit
"
Oui "
, Pourtant je ne l'avais pas vu, mais
j'ai dit Oui car si j'allais dire Non,
il se serait peut-être évertué à pointer
sur lui,
parce que tous les hommes qui y
étaient, me semblaient tristes, mais pas
une tristesse d'un père venant de perdre
sa famille.
Nous nous y sommes approchés,
et
selon les coutumes, nous avons présenté
nos condoléances à la famille
endeuillée, puis nous nous sommes
dirigés vers Abu Mustafa, et là!, enfin
j'ai vu Abu Mustafa; un père de cinq
fils et trois filles, un homme âgé d'une
cinquantaine d'années, il avait le
visage presque carré à un barbe gris
léger et un beau sourire qui m'a
tellement étonné.
J'avais
dessiné un dessin de l'état de
Abu Mustafa dans mon imagination avant
de le voir, j'avais imaginé qu'il aurait
le visage pâle, à des rides pleines de
fardeaux et de préoccupations, et qu'il
aurait encore les larmes aux yeux,
j'avais
aussi dessiné ses grimaces de douleur
plaquées sur son bouille qui racontent
l'ampleur de la catastrophe, cependant
il n'avait que son beau sourire
séduisant.
Tout en s'asseyant, Abu Mustafa a eu un
appel téléphonique, il a pris un côté et
a commencé à parler,
il est revenu après quelques
minutes avec un large sourire comme une
banane, il s'est assis de nouveau avec
nous et les indices de joie apparaissent
sur son visage, il n'avait pas pu
retarder la bonne nouvelle qu'il a eue,
alors il s'est mis tout de suite à nous
raconter que l'opération de son fils
Taher,
se faisant couper la jambe et
transféré en Allemagne pour se faire
soigner pendant l'agression, a réussit
et que Taher est sorti du coma et a été
enfin hors du danger, j'ai senti que le
monde n'assimile plus Abu Mustafa de
joie, et j'ai senti qu'il avait envie de
s'envoler comme un oiseau gazouillant et
déployant ses ailes autant qu'il le
peut, mais j'ai remarqué que son sourire
disparaissait peu à peu
pendant qu'il racontait et il a
fini par dire ''
Taher
ne sait encore rien du tout sur le sort
de la famille et quand il m'en parle
j'élude le sujet, je ne sais pas comment
lui en parler, je crains que ça lui
fasse un mauvais effet''
Abu Mustafa nous a proposés d'aller
chez-lui pour nous montrer la scène du
crime dont les victimes étaient sa
femme, deux de ses fils Usama et
Mohamed; Usama était âgé de six ans et
Mohamed était âgé de sept ans et demi,
ainsi que deux de ses filles Tasnim et
Ragad; Tasnim était âgée de quatorze ans
et Ragad était âgée de treize ans, et le
blessé Taher.
Nous sommes montés à bord d'une petite
voiture appartenant à un des proches
d'Abu Mustafa, se déplaçant facilement
dans les ruelles du camp de Jabalia,
étant l'endroit le plus surpeuplé dans
la bande de Gaza.
Pendant que la voiture roulait, je
regardais partout comme si tout m'était
nouveau et étrange, je me suis senti un
étranger venant de l'Europe ou ailleurs,
pourtant j'habite dans un camp de
refugiés, mais c'était la première fois
que je vois un quartier animé
de cette façon-là; un monde fou,
des centaines de voitures qui vont et
viennent, des vendeurs s'écrient, des
salutations partout, des enfants jouent
et des rires et des sourires. Je venais
de découvrir un nouveau monde plein de
vie, vraiment, cela m'a donné tellement
d'espoir que j'ai cru que rien ne peut
mettre fin à notre vie.
Après un quart d'heure de rouler en
voiture, nous sommes arrivés à la maison
d'Abu Mustafa, une maison simple composé
d'un seul étage avec un petit jardin
empierré où un figuier, un palmier, un
citronnier et un olivier sont plantés.
Quand je suis entré, j'ai vu que la
façade de la maison est pleine
de trous et abîmée, donc j'ai su
directement que c'est ici la scène du
crime.
J'ai demandé à Abu Mustafa de nous
raconter de façon détaillée ce qui s'est
passé et comment est ce qu'ils ont vécu
la guerre .
Il a raconté:
''
Ici, nous vivions en paix et nous
pratiquions notre vie quotidienne
normalement malgré l'ambiance sanglante
que subissait Gaza, notre quartier était
beaucoup plus calme et stable
qu'ailleurs car il n'est pas frontalier,
et les gens habitant auprès des
frontières le prenaient même comme un
abri pendant l'agression. Un jour dans
l'après-midi, ma femme et mes enfants se
sont mis à l'ombre dans le jardin juste
à côté du mur, ma femme s'est mise au
milieu et mes enfants jouaient à ses
alentours et je parlais avec eux de
l'intérieur de la maison par la fenêtre,
je leur demandais s'ils veulent déjeuner
maintenant, mais ils m'ont dit qu'ils
veulent casser le jeûne avec leur mère
puisqu'elle
avait
fait le Ramadan, entre temps, ma petite
fille Rahaf avait acheté de l'épicerie
et était en train de rentrer, elle est
restée un tout petit moment chez sa mère
et ses frères sœurs, puis elle est
entrée à l'intérieur de la maison, dès
qu'elle a dépassé le seuil de la porte,
une explosion terrifiante s'est produite
dans le jardin, Rahaf a couru vers moi
et m'a embrassé en s'écriant ''
Maman
et mes frères et sœurs, maman et mes
frères et sœurs '' elle était très
horrifiée et vibrait fortement,
je l'ai soulagée et l'ai assise ,
ensuite je suis sorti dans le jardin
pour voir ce qui s'est passé, et là
c'était la catastrophe, la vue était si
affreuse que la raison ne peut pas
l'imaginer, j'ai trouvé que ma famille
s'est transformée en cadavres
déchiquetés et dispersés dans le jardin.
Pendant que les cris de mon fils blessé
Taher s'élevaient, je me suis dit en
plein étonnement sont-ils mes enfants à
qui je parlais tout à l'heure ?!!
j'ai très vite soulevé Taher, je
l'ai bien serré de craint que les
parties coupées de son corps ne tombent
par terre, je l'ai donné au voisinage
pour qu'il le transfère à l'hôpital et
je suis revenu vite à la scène du crime,
à ce moment-là j'ai trouvé que Rahaf
était sortie de la maison et en train de
regarder les cadavres coupés de sa mère
et ses frères et sueurs, je lui ai tout
de suite couvert les yeux, je l'ai prise
en dehors de la maison et je l'ai
confiée à une vieille voisine .
lorsque je suis revenu à la maison, j'ai
trouvé que toute la famille avait été
transférée à l'hôpital, alors je l'y ai
suivie,
mais quand je suis entré dans la
salle de réception de l'hôpital, j'ai
trouvé que l'équipe médicale avait
entouré mon fils Taher, et quand Taher
m'a vu il m'a dit '' Papa je veux boire
''
je
lui ai dit '' d'accord mon fils, je vais
te servir de l'eau mais patiente-toi''
j'ai jeté un coup d'œil à gauche, j'ai
trouvé mon fils Usama allongé sur un
autre lit; il avait le crâne fracturé et
la poitrine éventrée,
je me suis mis à lui parler une,
deux et même trois fois '' Usama, mon
fils, mon amour, réveille-toi,
réponds-moi ''
il
ne m'a pas répondu, mais il avait l'air
de sourire, j'ai continué à lui parler
et tout le monde à mon entourage me
regardait, je n'avais pas aimé que
quelqu'un me dise qu'il est mort, et
effectivement personne ne me l'a dit,
ils se sont contentés à taper sur mon
dos pour me soulager.
Au fond de la salle de la réception,
j'ai aperçu un troisième lit
complètement couvert, voilà pourquoi mon
cœur a commencé à battre fortement et
j'ai senti l'horreur de la situation, je
suis allé vite pour voir ce qui se cache
sous cette couverture tachée de sang,
j'ai trouvé ma femme morte, et je me
suis ainsi mis à lui
parler ''
Même toi chérie tu veux me
quitter ?! ''
On m'a dit que le reste des enfants a
été transféré à un autre hôpital à côté,
lorsque je suis arrivé, j'ai
demandé au bureau de réception où
sont-ils les blessés qui sont arrivés
tout à l'heure? ils m'ont dit qu'il n'y
avait pas eu de blessés arrivés, donc il
m'a apparu immédiatement qu'ils sont
morts, Mohamed, Tasnim et Ragad se sont
fait couper les têtes et ont été réduits
en morceaux.
Je n'ai maintenant que deux mes fils
ainés, le plus âgé fait ses études à
l'étranger et le plus jeune avait été
chez sa tante lorsque ce malheur nous a
choisis, et le pauvre blessé Taher est
encore
en Allemagne.
Malgré ce malheur insupportable, j'étais
en pleine conscience et j'avais toute ma
capacité mentale et corporelle, mais je
n'avais jamais imaginé que ce se soit
passé avec mes propres enfants,
POURQUOI?! Qu'ont-ils commis pour êtes
punis de cette manière? Je n'avais pas
cru qu'ils soient mes enfants à qui je
parlais, est-ce possible qu'ils me
quittent pour un autre monde en quelques
secondes?!!
Est-ce
possible que je les perde tout
simplement?!! Où sont-elles les valeurs
humaines ?!!
Finalement, je ne peux dire que Dieu
Merci pour tout, à Dieu ce qu'il nous
donne et ce qu'il nous prend,
actuellement,
mon calme et ma tranquillité se
découlent de ma foi profonde en Dieu et
que les criminels seront punis un jour.
''
Quand Abu Mustafa a fini, j'ai eu une
grande envie de rentrer chez moi et voir
ma famille, car j'ai su à quel point la
perte d'une famille peut occasionner un
grand vide chez chacun qui ne peut pas
être comblé facilement, je ne vous cache
pas que j'avais eu les yeux qui
larmoyaient pendant qu'il racontait, et
quand je suis rentré à la maison, je
n'ai pas cessé de ressasser les
évènements de ce crime affreux et
hideux, ainsi que de chercher des
réponses aux questions que Abu Mustafa
s'est posées...
Le sommaire des massacres à Gaza 2014
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