Monde
Un accord a été trouvé pour clore le
dossier Khashoggi
Abdel Bari Atwan
Jeudi 18 octobre 2018 Par Abdel Bari
Atwan (revue de presse: Alter Info –
17/10/18)*
« Le deal
pour clore l’assassinat de Khashoggi est
ficelé et l’on commence à chercher un
bouc-émissaire comme pour Lockerbie »
Trump rejette la
faute sur des « agents indisciplinés »
Quand le Président
américain Donald Trump déclare que des «
éléments indisciplinés » pourraient être
derrière l’assassinat du journaliste
Khashoggi à l’intérieur du consulat
saoudien à Istanbul et que le Roi Salman
Ben Abdelaziz lui a affirmé qu’il ne
savait rien, cela signifie que la
recherche d’un bouc-émissaire a commencé
et qu’un arrangement entre les
Etats-Unis, la Turquie et l’Arabie
saoudite a été trouvé afin de refermer
ce dossier, sans doute pour toujours.
Le fait que
l’Arabie saoudite mène une enquête
interne est un premier aveu officiel
L’annonce par le
Roi Salman qu’il a demandé une enquête
interne autour de ce crime est un «
aveu » de l’implication d’agents
saoudiens et une volte-face par rapport
aux 13 jours précédents où l’on niait
tout rôle saoudien et l’on assurait que
Khashoggi avait quitté le consulat vingt
minutes après y être entré, tout en
prétendant se faire du souci pour lui.
Nous pensons que ce
revirement saoudien est dû aux
informations transmises par un
responsable et une source du ministère
de l’intérieur turc relayées par Reuters
comme quoi les services de sécurité
turcs disposeraient d’un enregistrement
sonore confirmant que Khashoggi a été
tué dans la consulat. Il est possible
qu’une copie de cette enregistrement ait
été envoyée en Arabie saoudite et aux
Etats-Unis.
Le Roi Salman Ben
Abdelaziz a dit la vérité quand il a
affirmé au Président américain qu’il ne
savait rien de l’affaire, car le
véritable dirigeant du Royaume est le
Prince héritier Mohammed Ben Salman.
C’est donc lui qui est pointé du doigt
et son entourage. Qui à l’intérieur des
services de sécurité pourrait commettre
un tel crime dans le consulat saoudien à
l’encontre d’un journaliste célèbre et
envoyer une équipe composée de 15
hommes, à part le premier décisionnaire
dans le Royaume actuellement ? Celui qui
a pris la décision d’attaquer le Yémen
ne va pas hésiter longtemps avant
d’assassiner un journaliste qui est un
ancien de la maison.
L’intervention du
Roi Salman, ou plutôt l’intervention en
son nom , alors que le Royaume est en
difficulté est devenue habituelle :
quand l’Arabie saoudite et son Prince
héritier ont été accusés de soutenir la
Transaction du siècle et la judaïsation
de Jérusalem, qui en est un des
principaux éléments, le Roi d’Arabie
saoudite a publié un communiqué
confirmant que son pays restait fidèle à
l’initiative de paix arabe pour un Etat
palestinien indépendant avec Jérusalem
comme capitale, et qu’il était sur la
même ligne que les Palestiniens. Ce
scénario est en train de se répéter à la
lettre.
La question est
maintenant de savoir qui sera le «
bouc-émissaire » sacrifié à la place du
Roi saoudien, du Prince héritier et des
dirigeants du Royaume ? Quel est le prix
à payer à la Turquie et aux Etats-Unis
pour étouffer ce crime ?
La transaction
de Lockerbie
Pour répondre à
cette question, du moins en partie, il
faut revenir à l’affaire de Lockerbie et
la transaction qui a été trouvée pour
sauver le Colonel Muammar Khadafi et
lever le terrible blocus de la Libye. Il
est d’ailleurs paradoxal que le Royaume
d’Arabie saoudite et le prince Bandar
Ben Sultan, son ambassadeur à Washington
de l’époque, ait été parmi les
principaux artisans de cette
transaction.
J’ai rencontré en
personne le principal accusé, ou plutôt
le « bouc-émissaire » libyen de cette
affaire, Abdelbaset Al-Megrahi. C’était
un agent des services de sécurité
libyens, qui a été condamné à la prison
à vie pour avoir mis une bombe dans une
des valises de l’avion de la Pan Am qui
a explosé au-dessus de l’Ecosse et fait
environ 300 victimes. Al-Megrahi, qui
m’avait invité à lui rendre visite dans
sa prison à Glasgow, m’a affirmé qu’il
n’avait rien à voir avec ce crime. Il
souffrait d’un cancer de la prostate en
phase terminale et n’avait plus que
quelques mois à vivre. Il s’est alors
mis à pleurer à chaudes larmes, comme
jamais je n’ai vu quelqu’un pleurer.
Al-Megrahi m’a dit
qu’il aurait assez de courage pour dire
qu’il avait commis ce crime car il
n’avait plus rien à perdre mais m’a
affirmé qu’il avait été sacrifié pour
sauver d’autres personnes. Abdel Rahman
Shalgham, ancien Ministre libyen des
affaires étrangères et camarade de
classe, m’a confirmé quelques semaines
plus tard que la Libye n’avait rien à
voir avec Lockerbie et qu’ils avaient
payé environ trois milliards de dollars
en compensation aux Etats-Unis afin que
le blocus soit levé. Cet homme est
toujours vivant…
Que va obtenir
le Président américain en échange de sa
collaboration ?
Pour la troisième
fois, nous répétons que les transactions
passent avant les droits de l’homme,
notamment pour un président comme Trump,
qui ne jure que par les commissions et
ne sait rien faire d’autre que du
chantage aux pays du Golfe pour leur
voler leurs milliards. Dans toute
l’histoire des Etats-Unis, on n’a jamais
vu un Président faire du chantage de
manière aussi effrontée et déclarer à
quatre reprises en quelques jours que
les gouvernements de ces pays ne
resteraient pas plus de deux semaines en
place sans la protection américaine. Il
est même allé encore plus loin en
déclarant que l’Iran occuperait l’Arabie
saoudite en 12 minutes sans cette
protection.
Nous ne connaissons
pas la somme que va obtenir Trump pour
sortir le gouvernement saoudien de ce
bourbier mais elle devrait dépasser les
centaines de milliards et il ne fait
aucun doute que Pompeo, qui est parti
pour Riyad aujourd’hui, apporte la «
facture » détaillée dans ses valises.
Que Dieu fasse
miséricorde à Khashoggi, vivant ou mort.
Le prochain scoop qui devrait faire la
une des journaux concerne la découverte
de son cadavre et les circonstances de
sa mort dans le consulat saoudien… »
Abdel Bari Atwan est
le rédacteur en chef du journal
numérique Rai
al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire
secrète d’al-Qaïda, de ses
mémoires, A
Country of Words, et d’Al-Qaida
: la nouvelle génération. Vous
pouvez le suivre sur Twitter: @abdelbariatwan
*Source :
Alter Info (publié par
Olivier Demeulenaere)
Version
originale :
raialyoum.com,
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