Tunisie
Les extrémistes
religieux menacent la stabilité en
Tunisie
Zohra
Abid
Jeudi 29 mars
2012
Avec les appels au meurtre des juifs,
les agressions contre les journalistes,
universitaires et artistes, et les
démonstrations de force lors des
manifestations de rue, les extrémistes
religieux font peser de graves menaces
sur le pays.
Par Zohra Abid
Deux jours après les discours de la
haine et les appels au meurtre des juifs
lancés par des éléments salafistes, le
président de la communauté juive de
Tunisie, Roger Bismuth, a rompu le
silence et fait part publiquement,
mardi, de son inquiétude. Et pour cause:
M. Bismuth et les quelque 1.000 et 1.500
Tunisiens de confession juive vivant
encore en Tunisie ne peuvent plus dormir
tranquilles dans un pays qui les a vus
naître et où ils ont choisi de vivre et
de travailler.
Les appels au meurtre contre cette
petite communauté, qui se multiplient
dans le pays, proférés par des groupes
extrémistes capables de passer aux
actes, ont, en effet, de quoi inquiéter.
Et pas seulement les Tunisiens de
confession juive.
Le tourisme
victime des démonstrations de force
salafistes
Le dernier appel du genre a été
lancé, dimanche 25 mars, au centre-ville
de Tunis, à même pas cinquante mètres du
ministère de l’Intérieur et au vu et au
su des agents de la sécurité, qui
encadraient la place du 14 Janvier, où
manifestaient des milliers de salafistes.
Abou Iyadh,
le leader des salafistes tunisiens.
Le 27 mars, M. Bismuth, homme
d’affaires de son état, Tunisien de
parents et d’arrière grands-parents, a
rencontré Mustapha Ben Jaâfar, président
de l’Assemblée constituante et lui a
exprimé son immense inquiétude. Surtout
que le mois prochain, il y aura le
pèlerinage de la synagogue de la Ghriba,
dans l’île de Djerba (sud-rest), et
toute sa crainte, c’est que les 200
familles, qui comptaient se rendre en
Tunisie à cette occasion, seraient
contraintes de se désister suite à ces
menaces. Sa crainte aussi, c’est
qu’après le départ définitif de près de
200 entreprises étrangères, le secteur
du tourisme, déjà largement sinistré, va
être affecté davantage, si la situation
sécuritaire dans le pays ne s’améliore
pas dans les prochaines semaines. Il est
vrai que le spectacle récurrent des
marches de groupes extrémistes, appelant
à la mort des Occidentaux, des Juifs,
des laïcs et tutti quanti, ne donnera
pas envie aux touristes européens, et
même arabes et musulmans, de visiter la
Tunisie.
Les
déclarations soporifiques de la «troïka»
M. Ben Jaâfar a certes essayé de
rassurer M. Bismuth, et a condamné les
appels au meurtre et à la haine entre
les communautés. Le président de la
république Moncef Marzouki a fait de
même. Le ministère des Affaires
religieuses s’est fendu, lui aussi, d’un
communiqué condamnant ce phénomène. Sans
parler des partis politiques et des
associations de défenses des droits de
l’homme qui ont fait de même. Mais
est-ce suffisant? Des décisions plus
fermes ne peuvent-elles pas être prises
et appliquées, comme l’arrestation et la
traduction devant la justice de toute
personne qui, en appelant à la violence
ou à la haine raciale, se met hors la
loi? Ces personnes souvent connues, des
vidéos sont là pour laisser à la
postérité leurs actes glorieux, pourquoi
la police s’entête-t-elle à ne pas les
trouver? N’y a-t-il pas là anguille sous
roche? Pourquoi le gouvernement, dominé
par le parti islamiste Ennahdha,
donne-t-il la très désagréable
impression de vouloir ménager les
extrémistes religieux, et surtout ceux
d’entre eux qui transgressent
allègrement la loi?
La liberté
d'expression justifie-t-elle l'appel au
meurtre?
Les slogans antijuifs ont fleuri en
Tunisie dès le lendemain de la
révolution du 14 janvier 2011.
Souvenons-nous: vers la mi-février,
trois semaines après la fuite de Ben
Ali, un cortège de fanatiques religieux,
agitant pour la première fois dans le
pays leurs bannières noires ou blanches,
ont entonné des chants religieux et
appelé au meurtre des juifs, qui plus
est, devant la grande synagogue de
Tunis.
Moins d’un an après, lors de la
visite en Tunisie du chef du
gouvernement palestinien à Gaza, Ismaïl
Haniye, à l’invitation du parti Ennahdha,
certains de ceux qui l’accueillait, le 5
janvier 2012, à l’aéroport de
Tunis-Carthage, ont lancé – qui plus est
en présence du leader d’Ennahdha Rached
Ghannouchi et du chef du gouvernement
Hamadi jebali, ainsi que d’autres
figures emblématiques du parti islamiste
tunisien – des appels au meurtre des
Juifs.
Pèlerinage
juif de la Ghriba à Djerba
M. Ghannouchi
parle d’«actes isolés»
MM. Ben Jaâfar, Marzouki et
Ghannouchi, et la plupart des dirigeants
politiques et associatifs tunisiens, ont
certes dénoncé ces appels. Le chef d’Ennahdha,
dans sa manière habituelle de ménager la
chèvre et le choux, et de tenir le bâton
par le milieu – pour ne pas s’aliéner
les extrémistes de son propre camp – a
déclaré, quelques jours après, qu’il
s’agit d’«actes isolés», ajoutant que
les juifs sont chez eux et sont
considérés comme des citoyens à part
entière.
Au lendemain des appels au meurtre
des juifs du dimanche 25 mars, M.
Ghannouchi a récidivé, en condamnant les
appels au meutre des juifs et en
chantant la même engaine: les juifs
tunisiens sont chez eux et il est de
leur droit de profiter entièrement de
leur citoyenneté.
Interrogé sur les agissements des
extrémistes religieux, lors de la
conférence de presse, donnée le
lendemain, au siège de son parti à
Tunis, cheikh Ghannouchi a élevé à peine
le ton, affirmant qu’il valait mieux
pour ses «frères salafistes» (sic!) de
privilégier le dialogue pour éviter
d’être arrêtés par la police.
Roger
Bismuth.
Pour bon nombre de Tunisiens, la
position du gouvernement actuel face aux
agissements des extrémistes religieux
est laxiste voire démissionnaire. En
semant la discorde dans le pays et en
divisant le peuple entre croyants et
mécréants, musulmans et laïcs (juifs,
chrétiens, homosexuels, francophones,
pro-occidentaux, etc.), ces derniers ne
servent pas les intérêts vitaux du pays
et font courir aux Tunisiens de graves
dangers.
M. Bismuth a donc raison de souligner
que, face à ces démonstrations de force
des groupes extrémistes, paradant à
travers les grandes villes du pays, les
touristes vont finir, à la longue, par
tourner le dos à la Tunisie, un pays qui
ne ressemble plus à celui qu’ils
connaissent et qu’ils apprécient.
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Publié le 29 mars 2012 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
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