Tunisie
Révolution
tunisienne, deux ans après :
Le cœur n'est plus à la fête !
Zohra Abid
Samedi 12 janvier
2013
L'avenue Habib
Bourguiba à Tunis, investie depuis hier
par des dizaines d'artistes, est
devenue, le temps des festivités du 2e
anniversaire de la révolution, un
atelier de peinture à ciel ouvert. Mais
les tons, comme le ciel, sont gris...
Par Zohra
Abid
La veille du 14 janvier, deuxième
anniversaire de la révolution
tunisienne, le ministère de la Culture a
invité les artistes à faire la fête à
leur manière dans l'Avenue (c'est ainsi
qu'on appelle l'avenue Habib Bourguiba
depuis la révolution du 14 janvier), à
chanter du rap et de la «soulamia»
(chant liturgique musulman) et à peindre
des tableaux souvenirs.
Au cœur du tableau, une armada
d'agents de la police
Mais l'avenue ne sera pas réservée
entièrement à l'art et à la fête. C'est
juste un carré de mouchoir de quelques
mètres, loin de la bâtisse grise du
ministère de l'Intérieur. Le reste, à
part les deux tentes réservées à la
musique, au chant et au théâtre,
appartient surtout aux véhicules de
police.
Ici, le ministère de l'Intérieur a
multiplié, à l'occasion, le nombre
d'agents et placé un bus jaune devant
l'entrée colossale du Théâtre municipal.
Sait-on jamais...
«On nous a dit que les œuvres
tirées de cette manifestation de 3 jours
seront rassemblées dans un livre d'art
qui sera mis en vente. C'est bien qu'on
nous associe à l'art révolutionnaire.
D'ailleurs, c'est pour cette raison
qu'on a accepté la somme symbolique de
150 dinars l'œuvre. Ce qui nous
intéresse, c'est d'être là. Et que l'art
survive malgré certains individus qui
cherchent à le biffer de la société
tunisienne. Bon gré mal gré, nous serons
toujours présents et on ne va pas lâcher
prise», a dit à Kapitalis,
l'artiste Jamel Abdennacer.
Une lueur
d'espoir au fond de la toile
Ce dernier, malgré l'ambiance lourde,
se dit optimiste: «Ce que je sens,
je le peins. Mon tableau est plein de
motifs gais. C'est ça la Tunisie,
d'hier, d'aujourd'hui et de demain. Il
faut que l'on sache que nous n'allons
jamais céder et que la Tunisie est un
jardin de mille et une fleurs».
Son voisin renchérit: «C'est vrai,
l'an dernier, c'était sous le pont d'en
face. On nous a donné 1 million de
millimes pour chaque toile peinte. Peu
importe, moi je suis là et je ne vais
rien demander. Il me suffit de figurer
sur la liste des artistes présents et
l'argent ne m'intéresse pas... Puis, on
comprend. Les caisses de notre ministère
sont vides et une partie du budget a été
versée dans les caisses du ministère des
Affaires religieuses».
Le peintre, qui était courbé,
badigeonnant sa toile à même le sol, se
lève et poursuit sa discussion devant
une grappe de passants: «Je
participe à ma façon pour dénoncer la
terreur et toutes ces nouvelles
pratiques qui nous tombent du ciel. Ceux
qui cherchent à éradiquer l'art et la
culture de notre belle Tunisie, tournée
vers le futur et non au 7e siècle,
doivent savoir que nous serons là, à
leur faire barrage».
La politique
dans toutes les sauces
Le débat a commencé à chauffer,
chacun donnant libre cours à ses peurs.
«La Tunisie ne sera jamais la
Somalie ou le Mali. Que le Qatar et les
wahhabites de l'Arabie saoudite sachent
que la Tunisie ne changera jamais»,
a lancé à haute voix une dame d'un
certain âge. Elle voulait faire entendre
sa position à l'équipe de la télévision
qatarie Al-Jazira qui enregistre un
documentaire sur les festivités.
Les uns devant leur chevalet,
absorbés par leurs pinceaux et pots de
couleurs, les autres ont plaqué leurs
toiles sur les troncs des ficus qui
jalonnent la bretelle de l'avenue,
d'autres ont étalé les leurs soit sur
des supports en acier soit à même le sol
et tout le monde se dépêche. Car après
cette équipe du matin, une autre est au
programme de l'après-midi.
Des gouttelettes de peintures noires,
bleues, jaunes, vertes et surtout rouges
tachent les pavés. «Pourvu qu'on
voie ces pavés tachetés de peintures que
de les voir de rouge sang», relève
une étudiante aux Beaux Arts.
Ciel, il fait encore gris !
La jeune artiste moulée dans son
jean, une éponge à la main, devant un
seau de peinture diluée, peignait son
univers selon ce qu'elle ressent. Les
couleurs sont grises. «Un piéton
vient de me renverser le pot et n'a même
pas pris la peine de s'excuser...»,
a-t-elle murmuré.
Celui qui a renversé le pot l'a
regardé de travers et a continué son
chemin. Lui aussi a murmuré : «Ils
n'iront pas très loin. On verra!»,
a-t-il dit à son amie. Et comme par
hasard, une niqabée.
«C'est sympa, mais le programme
est très carré. On aurait aimé que
l'appel du ministère de la Culture soit
lancé à tous les artistes, même en
herbe. On aurait aimé voir des jeunes
jouer au violon, d'autres à la guitare,
d'autres artistes d'animation de rues et
d'art vivant, je veux dire des
saltimbanques», raconte un passant.
Il pense que la dictature est de retour
et «on le sent, rien que par
l'ambiance lourdaude et la présence
massive de la police», poursuit-il.
«Et comme au bon vieux temps de Ben
Ali, si ce n'est pire. C'était une
insurrection et non une révolution. Il
suffit de regarder tout autour de vous»,
conclut-il sur une note pessimiste.
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Publié le 12 janvier 2013 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
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