Tunisie
Les chrétiens en
Tunisie se sentent menacés par les
extrémistes religieux
Zohra
Abid
Vendredi 6 avril
2012
«Vous avez 3 jours pour enlever la croix
et vous convertir à l’islam, sinon vous
payez une ‘‘jezia’’ (impôt)», a lancé un
extrémiste religieux au Père Dimitry
Netsvetaev.
ParZohra Abid
Ici, nous ne sommes pas au Moyen-âge.
Ici, c’est la Tunisie
post-révolutionnaire. Nous sommes au
cœur de Tunis, à l’église orthodoxe
russe de Mohamed V. Kapitalis a frappé à
la porte de cette église et rencontré
l’archiprêtre, le Père Dimitry
Netsvetaev. Et c’est Lydia, la Tuniso-russe,
qui a raconté le calvaire de sa
communauté après les menaces reçues d’un
extrémiste islamiste, incarcéré depuis
dimanche soir. Par mesure de sécurité,
les photos de nos interlocuteurs seront
masquées.
Ni croix, ni
christ, ni église…
C’était juste après la messe de
dimanche dernier lorsqu’un individu à
bord d’une Renault Clio gris métallisé
s’est présenté à la petite église,
construite il y a près de 60 ans par (et
pour) la communauté russe qui vit en
paix, de père en fils, depuis le début
du siècle dernier.
Sur un ton grave, l’homme a donné au
Père Dimitry Netsvetaev un ultimatum de
3 jours pour qu’il enlève la croix de
l’église, se convertisse à l’islam –
quitte par la force – sinon il sera tenu
à verser une «jezia».
Le père
Dimitri et Lydia.
Père Dimitry qui n’a jamais eu de
soucis depuis son arrivée en Tunisie, il
y a une quinzaine d’années, est tombé
des nues. Là, ça devient sérieux et il
se sent pris à la gorge.
La peur au ventre, Père Netsvetaev
craint le pire pour sa famille orthodoxe
de Tunisie. A cette menace, il a fait un
hochement de tête et à peine prononcé
son «Oui monsieur».
L’homme
à la Clio grise
Entre-temps, l’homme s’est permis de
taper avec un cric la croix de l’église
avant de l’envelopper d’un sac poubelle
noir et partir après avoir répété qu’il
va revenir dans 3 jours.
Inutile d’imaginer l’ambiance à
l’intérieur de cette église. On a essayé
plusieurs fois d’appeler au secours
auprès de la police. En vain.
L’homme a, entre-temps, pris sa
voiture, avant de disparaître dans la
circulation.
Après tant d’appels, la police a
décroché et grâce à la plaque
d’immatriculation, la Brigade judiciaire
de l’arrondissement de Bab B’Har a pu
l’arrêter le jour même, un peu tard dans
la nuit. «Nous ne remercions jamais
assez cette brigade pour sa mobilisation
et qui en un temps record, a pu arrêter
cet homme qui nous terrorise», lâche la
dame, soulagée mais néanmoins inquiète.
Retour sur
des faits
Le lendemain, le prêtre a été
convoqué pour identifier celui qui
menace sa communauté. «L’individu était
menotté, assis entre deux agents de la
police en uniforme (il n’y avait en fait
que lui à identifier, un petit sourire,
Ndlr). L’homme a reconnu les faits»,
raconte Lydia.
Le père
Dimitri ne cache pas son inquiétude.
Selon des juristes, l’individu risque
au moins 5 ans de prison. Car, il n’est
pas à sa première menace. Il a déjà
visité les lieux et avait depuis
quelques mois l’œil sur l’église.
«Les menaces remontent déjà à
novembre 2011. On l’a notifié au
ministère de l’Intérieur. Le même homme
est déjà venu et a souillé quelques
symboles de l’église se trouvant sur le
mur de l’école orthodoxe dans les
jardins de l’église», raconte Lydia. Et
d’ajouter qu’après avoir informé la
police, le prêtre, accompagné d’un
responsable de l’ambassade de son pays,
a tenu informé le président Moncef
Marzouki en personne des menaces
multipliées par des islamistes radicaux.
C’était il y a une dizaine de jours.
Selon Lydia encore, un autre haut placé
de l’ambassade russe a parlé auparavant
de ce sujet au leader d’Ennahdha, Rached
Ghannouchi. Ce dernier l’a écouté mais
n’a rien dit. Pas même un mot de
réconfort!
Aucune
réaction comme si rien ne se passait…
En fait, ni le président de la
République ni le leader islamique n’ont
jusque-là réagi. Tous deux ont pris
note. Puis le dossier a été clos. Comme
s’il n’y a aucune menace dans le pays.
Selon encore notre interlocutrice,
des salafistes extrémistes sont en train
de rôder souvent autour de l’église. Les
Netsvetaev (la jeune Gallina de 18 ans,
son cadet Anthony né en Tunisie il y a
12 ans et Svetlana, l’épouse de M.
Dimitry) ne se sentent plus en sécurité
dans leur petite église.
Cette situation inquiète la maman qui
a toujours raconté avec fierté que son
petit Anthony, né en Tunisie, se sent
tunisien à 100%, que son plat préféré
est le couscous, que lorsqu’il est dans
l’avion et qu’il voit du hublot la
coupole de l’église, il dit à sa maman,
voilà mon Tunis.
«Là où j’enseigne à…, lycéens et
collègues sont d’une rare gentillesse.
Je tiens à remercier Si Lazhar le
directeur et si Mourad de
l’administration. Ils étaient là au
moment qu’il fallait, tout comme
plusieurs Tunisiens qui se sont
mobilisés pour nous soutenir et
consoler.
Les Tunisiens
se mobilisent pour protéger les
minorités
Mercredi dernier, Yamina Thabet,
présidente de l’Association tunisienne
de soutien des minorités (Atsm), créée
en septembre 2011, a rencontré les
médias au siège du Syndicat national des
journalistes tunisiens (Snjt) et pointé
du doigt les autorités.
«Le gouvernement est responsable et
doit protéger les minorités», a-t-elle
martelé avant de passer en revue les
évènements de la semaine dernière qui
ont choqué le monde entier. Des
Salafistes extrémistes se sont attaqués
au cimetière chrétien de Montplaisir à
Tunis, appelé au meurtre des juifs et de
tous ceux qui ne partagent pas leur
idéologie. Et de déplorer l’indifférence
du gouvernement à l’égard notamment des
minorités et des victimes des jihadistes.
Le combat pour le retour à la raison
vient de commencer.
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Publié le 6 avril 2012 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
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