Opinion
Des Tunisiens
mobilisés contre la «dictature»...
d'Hennahdha
Zohra
Abid
Jeudi 1er décembre
2011
Alors que les élus de la constituante
négocient à l’intérieur du Palais du
Bardo l’avenir du pays, un rassemblement
a eu lieu mercredi à l’extérieur. Avec
un slogan mobilisateur, adressé à Ennahdha : non au retour de la dictature
!Reportage de Zohra Abid
Des centaines de manifestants ont
répondu à l’appel des associations, des
syndicats et de la société civile. Ils
sont venus hommes et femmes, certains
accompagnés de leurs enfants, pour dire
que le moment est grave et qu’il ne faut
pas badiner avec l’avenir de la Tunisie
plurielle.
La
dictature revient
Surtout, ne pas avancer à
reculons
L’esplanade est noire de monde. Pas
une place pour une aiguille. Au
rond-point du centre-ville, les agents
de police ont du mal à contrôler la
circulation. Ça klaxonne partout. Les
voitures avancent au ralenti, d’autres
sont garées sur le bas-côté. Un
embouteillage fou. «Il faut bien pour ne
pas avancer à reculons», dit à Kapitalis,
une femme courbée sur ses soixante-dix
ans. Pas loin d’elle, un monsieur de son
âge, reprend pratiquement les mêmes
propos. Il se présente comme un parent
d’un martyr de la révolution. Il dit
qu’il craint le retour du parti unique,
de la dictature, de la police et de la
corruption. Les pancartes brandies
dénoncent surtout le parti Ennahdha. Et
le message est clair. «La démocratie
n’est pas la domination de la majorité»
; «La dictature revient ?» ; «Tous les
pouvoirs de souveraineté aux mains du
chef du gouvernement veut dire un retour
de la dictature du parti unique» ; «Le
peuple est musulman et n’abdique pas» ;
«Ne confisquez pas notre révolution»...,
lit-on, entre autres slogans, sur les
pancartes.
Ici, on ne crie pas, on manifeste
calmement son mécontentement par un
rassemblement pacifique. Presque bon
enfant. Mais les visages sont graves, et
les regards inquiets. «C’est pour leur
dire que nous sommes là, que nous
n’abdiquons pas, qu’on ne se laisse pas
faire et que personne ne violera les
principes de notre révolution», dit à
Kapitalis, Samia, une jeune étudiante à
la Faculté des lettres de la Manouba. Le
doyen de la même faculté, l’historien
Habib Kazdaghli, qui avait été séquestré
dans son bureau lundi par des éléments
salafistes, n’est pas loin, discutant
avec les manifestants.
Pas de cumul de pouvoirs aux
mains du chef de gouvernement
Chasser la dictature, elle
revient au galop
Sami ajoute avec la même
détermination : «Les membres d’Ennahdha,
qui ont vécu soit en exil ou des années
dans les geôles de Ben Ali, sont
peut-être déconnectés du paysage
tunisien et doivent faire un effort pour
comprendre les attentes de leurs
concitoyens et ne pas essayer de tirer
le drap de leur côté. Ceux qui ont voté
Ennahdha ne dépassent pas un million et
demi de Tunisiens. Le reste a voté pour
d’autres partis. Ils n’ont donc qu’à
composer avec ces autres partis qui
représentent une majorité, c’est-à-dire
4 millions d’électeurs. Nous n’avons
pas, au final, chassé la dictature par
la porte pour qu’elle nous revienne par
la fenêtre».
Pour la diffusion en direct des
travaux de la Constituante
A ses côtés, une grappe d’étudiants
en grève aux côtés de lycéens faisant
l’école buissonnière, venus tous pour
s’exprimer sur les dérapages du parti
Ennahdha qui veut notamment accaparer
l’essentiel des pouvoirs. Sur le
trottoir d’en face, un peu loin de la
foule, universitaires, professeurs,
artistes et hommes de culture causent
avec le doyen de la Faculté des lettres
de Manouba, occupée depuis lundi par des
salafistes, demandant le droit au port
du niqab à l’université, une salle de
prière et la séparation entre étudiants
et étudiantes dans les cours... Et quoi
encore ?
Drapeau tunisien hissé d’un côté,
pancarte brandie de l’autre, Moez, un
quinquagénaire proteste contre
l’occupation en douce de la scène
publique par le parti Ennahdha. Son
voisin, Raouf Dakhlaoui, a laissé sa
librairie de Salammbô pour venir
soutenir la cause du peuple de gauche,
sa cause. «Nous n’avons pas à nous
taire, sinon adieu la Tunisie», dit-il.
Avec papa, maman, tonton et tata, une
petite blondinette d’à peine douze ans.
Elle aussi est de la manifestation avec
slogan et pancarte. A une enjambée, une
jeune dame dans tous ses états.
Pour une majorité sans Ennahdha
«Je suis là pour rappeler à l’ordre
démocratique et qu’on est venu pour dire
à ce beau monde qui se concerte à
l’intérieur qu’on est là afin qu’il
parachève la révolution des dignes. Que
tout le monde ait conscience que la
révolution a eu lieu pour la liberté, la
démocratie et surtout pour la dignité.
Les martyrs et les blessés sont sortis
dans la rue affrontant les balles et les
snipers, rien que pour la liberté, le
droit au travail, la répartition égale
des régions», explique Insaf, une
universitaire.
Au secours, la famille
revient !
Dans le cercle d’hommes et de femmes
au pied de l’esplanade, Fatiha Belhaj,
professeur d’éducation physique, se dit
écœurée. «Je n’appartiens à aucun parti.
Je suis indépendante mais citoyenne et
je refuse que mon pays déraille. Et il
est en train de dérailler. La
marginalisation continue, nous avons
même entendu que l’un des portefeuilles
ministériels va revenir au gendre de
Rached Ghannouchi, le mari de sa fille
Soumaya. Mais c’est pratiquement la même
rengaine de la dictature du parti et de
la famille qui revient sous d’autres
couleurs. Vous ne voyez pas qu’un
nouveau Sakher El Materi revient sur les
devants de la scène ?», s’inquiète
l’enseignante qui vient d’intégrer
Destourna, une liste indépendante. Et
d’ajouter que le citoyen va avec le
temps découvrir que la corruption n’a
pas disparu, que les dessous de table
seront les maîtres mots de toutes les
négociations. «Non à la bande des
voleurs !», insiste-t-elle. Selon elle,
un tas de difficultés à l’horizon. Le
ministère de l’Intérieur, qui ne veut
pas céder, est en train de négocier avec
Ennahdha, le parti islamiste qui a déjà
serré les mains à quelques corrompus de
l’Utica, des médias, des magistrats, et
la liste est longue. «A quoi bon faire
donc la révolution ? Et les régions
marginalisées, vont-elles avoir des
garanties ? Je ne crois pas !», ajoute
Fatiha, indignée. Derrière elle, un
rideau de slogans griffonnés en gras :
«Trois ministères de souveraineté, NON»
; «Non à la dictature masquée» ; «Non à
un parti qui rafle tout»...
Touche pas à ma Tunisie
Etudiants et simples
citoyens, décidés à faire entendre leur
voix aux élus du peuple, sont jusqu’au
début de l’après-midi cloués devant le
Palais du Bardo. La circulation dans la
place à l’heure de pointe est infernale.
«Nous allons revenir demain. Nous allons
faire une marche à partir de la Manouba.
Mais là, c’est pour protéger notre
université des lois des extrémistes qui
se considèrent au-dessus de toutes les
lois», lance Molka, l’étudiante à la
Faculté des Lettres de Manouba. «On
compte sur vous les médias, même si nous
avons peur que vous retourniez vos
vestes pour devenir le haut-parleur de
celui qui sera aux commandes du pays»,
a-t-elle cru devoir ajouter, sur un ton
sérieux, presque accusateur.
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Publié le 2 décembre 2011 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
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