Envoyé spécial.
« La situation est très difficile à
Gaza. Tout s’est passé très vite. Une partie des forces fidèles
à Mahmoud Abbas, les brigades d’Al-Aqsa, sont restées
neutres au début. Les autres, qui n’avaient pas touché leurs
salaires depuis 2006, étaient démotivés. La majorité
d’entre eux a refusé de se battre. En revanche, les
combattants du Hamas, qui n’ont pas de problème de salaires,
étaient plus déterminés. C’est ainsi que s’explique la
victoire d’une dizaine de milliers de combattants contre les
30 000 membres des forces de sécurité de l’Autorité
palestinienne », explique Ziad Medoukh, professeur de français
à l’université d’Al-Aqsa de Gaza.
« Aujourd’hui, observe-t-il, les gens
sont encore sous le choc. Ils sont déboussolés. Ils n’ont
pas encore réalisé. Ils ne se sont pas réveillés. Ils
subissent la situation, dit-il. Il règne un calme relatif, mais
il n’y a plus d’activité. La vie est morte. Les gens hésitent
à parler. Ceux du Fatah se cachent. On ne sait pas ce qui se
passe. On n’a pas d’information. Sur les 12 chaînes de télé
et de radio existantes, il n’y en a plus que trois : Iman,
une station religieuse, Al-Aqsa, qui appartient au Hamas, et
Al-Qods, propriété du Djihad islamique. Toutes les autres chaînes
de radio et de télé ont cessé d’émettre ou ont été fermées.
Il n’y a plus qu’un seul son de cloche. C’est cela la réalité
à Gaza aujourd’hui. On vit un double enfermement. Israël, en
plus d’avoir imposé l’embargo financier, a fermé tous les
points de passage. Un exemple : je devais accompagner un
groupe d’étudiants à Montpellier en France pour participer
à une rencontre sur la situation en Palestine. Tout est tombé
à l’eau. Les Israéliens refusent de nous laisser passer par
le poste frontière de Rafah pour gagner l’Égypte, ensuite la
France. Mes étudiants ont accusé le coup. Le Hamas de son côté
a interdit toutes les activités culturelles et la tenue de réunions
publiques. On ne débat plus comme avant. La liberté
d’expression dont on jouissait est terminée. C’est fini ! »
Malgré les erreurs commises par l’Autorité palestinienne,
indique l’universitaire, il n’y a jamais eu d’entrave à
la liberté d’expression. « Vous savez, les Palestiniens
ont été habitués à vivre avec l’existence de plusieurs
formations - le Fatah, le FPLP, le FDPLP, les islamistes, les
communistes et les laïques. Je pense qu’ils ne vont pas
accepter la domination d’un seul groupe politique même au nom
de Dieu et de son prophète, et ce y compris par une partie de
la base du Hamas. Il ne faut pas oublier que le Hamas c’est 30
% de la population de Gaza. »
Pour autant, Ziad Medoukh et ses collègues de
l’université - près de 500 enseignants - n’ont pas abdiqué.
Ils ont décidé de poursuivre leur travail, de ne pas
abandonner les 13 000 étudiantes et étudiants de l’université
de Gaza à leur sort. Elle fonctionne encore. « Au moment
où je vous parle, nous faisons passer les examens de fin de
semestre aux étudiants. Si les Palestiniens n’ont pas encore
d’État, ne sont pas libres, ils tiennent plus que tout à
l’éducation et à la formation. C’est leur capital. »
Les Palestiniens détiennent le record du nombre
d’universitaires diplômés du monde arabe. L’illettrisme et
l’analphabétisme ont pratiquement disparu.
« À quoi bon incriminer les uns ou les
autres puisque le mal est fait : des Palestiniens ont tué
d’autres Palestiniens. Il faut rapidement trouver une
solution, poursuit Ziad Medoukh, qui entend demeurer confiant.
Les gens vont se réveiller et demander des comptes à tous pas
seulement au Hamas. La société civile - elle existe à Gaza -
va réagir une fois le choc passé. À cela s’ajoute la
pression internationale. Tout cela va pousser le Hamas à
trouver une issue, car cette situation est préjudiciable pour
tous, y compris pour le Hamas. Cette situation, j’en suis
convaincu, ne va pas durer. »
Hassane Zerrouky
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Publié avec l'aimable autorisation du journal l'Humanité