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The
Forward
Dès lors que c'est la survie du peuple juif qui est en question,
il n'y a pas de place pour la morale
Yehezkel Dror *
Yehezkel Dror - Photo
public-policy.huji.ac.il/
Jeudi 15 mai 2008
http://www.forward.com
Peu de
gens disconviennent du fait que tout dirigeant juif, toute
organisation juive, toute communauté juive et tout individu juif
a pour devoir de contribuer à assurer la continuité du peuple
juif [sic]. Mais, dans un monde où l’existence à long-terme de
l’Etat juif est loin d’être garantie, l’impératif d’exister
donne lieu, inévitablement, à de difficiles questions, dont la
principale est celle-ci : quand la survie du peuple juif entre
en conflit avec la morale [sic] du peuple juif [sic], son
existence en vaut-elle la chandelle, ou même, cette existence
est-elle possible ?
L’existence physique, aurais-je tendance à arguer, doit être
première. Aussi morale une société aspire-t-elle à être,
l’existence physique est nécessairement un préalable.
Des
dangers manifestes, tant internes qu’extérieurs, menacent
l’existence-même d’Israël en tant qu’Etat juif. Il est très
vraisemblable que l’effondrement d’Israël [I have a dream… ndt]
ou la perte par l’Etat d’Israël de son identité juive aurait
pour effet de saper l’existence du peuple juif dans son
ensemble. Et même en l’existence d’un Etat juif, des dangers,
moins évidents mais non moins fatals, menacent l’existence
durable dans le long-terme de la diaspora. Quand les nécessités
de l’existence entrent en conflit avec d’autres valeurs, par
conséquent, la
realpolitik devrait se voir accorder la priorité. Depuis la
menace d’un conflit désastreux avec des actants islamistes tel
l’Iran, jusqu’à la nécessité de maintenir des distinguos entre
« nous » et « les autres » afin de limiter l’assimilation, cet
impératif devrait servir de guide aux décideurs politiques.
Regrettablement, l’histoire humaine rejette l’affirmation
idéaliste voulant que, pour vivre longtemps, un Etat, une
société ou un peuple se doit d’être moral. Etant donné les
réalités prévisibles du 21ème siècle et au-delà, des
choix cornéliens sont inévitables, dans lesquels les nécessités
de l’existence contredisent, bien souvent, d’autres valeurs
importantes.
D’aucuns
pourraient arguer que faire de l’existence la priorité pourrait
être contreproductif en termes d’existence-même, car ce qui peut
être considéré comme une action immorale peut saper le soutien,
tant interne qu’extérieur, essentiel à l’existence [de l’Etat
d’Israël]. Toutefois, la logique propre à la
realpolitik donne la
primauté à l’existence, ne laissant qu’une place minorée à de
quelconques considérations éthiques. La triste réalité, c’est
que le peuple juif risque d’être confronté à des choix
tragiques, dans lesquels d’importantes valeurs doivent être
sacrifiées, dans l’intérêt de valeurs encore plus importantes
[ce problème ne date pas d’hier… ndt].
Des
décisions qui soient responsables, dans de telles situations
difficiles, requièrent une prise de connaissance sans ambiguïté
des questions morales en cause, en soupesant avec soin toutes
les valeurs et toutes les assomptions de responsabilité dans la
formation de son propre jugement autonome. Ces décisions exigent
aussi un effort pour réduire autant qu’il est possible la
violation de valeurs morales.
Néanmoins, confronté à de tels dilemmes, le peuple juif ne doit
pas se laisser obnubiler par le politiquement correct, ni par
d’autres modes susceptibles de faire obstacle à la pensée. Quand
il s’agit de la Chine, par exemple, certains efforts visant à
renforcer les liens entre la superpuissance chinoise en
puissance et le peuple juif devraient imposer une sourdine aux
campagnes bien-intentionnées visant à interférer dans la
politique intérieure de Pékin, notamment dans sa manière de
gérer le Tibet. Il en va de même pour la Turquie : étant donné
le rôle crucial de pacificateur que joue ce pays au
Moyen-Orient, le débat autour de la question de savoir si les
Ottomans ont commis (ou non) des atrocités contre les Arméniens
doit être laissé aux historiens, et de préférence à des
historiens non-juifs [voilà qui fera des vacances, pour Marc
Ferro… ndt].
Cela, non
pas nécessairement afin de soutenir la politique chinoise, ni
pour dénier l’histoire arménienne. Non : il s’agit, bien
davantage, de reconnaître qu’aussi morales ces prises de
position peuvent (ou ne peuvent pas) être, le peuple juif donne
donner la primauté à l’existence.
Ce qui
est requis, c’est une évaluation
a priori des valeurs,
afin de disposer de guides tout prêts pour (nous) former un
jugement dans des contextes spécifiques, ou dans des conditions
de crise. La question, plus globalement, est de savoir si
l’impératif, pour le peuple juif, d’exister, est un impératif
catégorique surpassant la quasi-totalité des autres valeurs, ou
bien s’il s’agit d’un impératif parmi beaucoup d’autres
impératifs de rang similaire. Etant donné tant l’histoire que la
situation actuelle du peuple juif, j’aurais tendance à soutenir
que l’impératif de garantir son existence est un devoir moral
impératif, qui préside à tous les autres.
Laissons
de côté le recours à des arguments transcendantaux, aux
commandements bibliques et aux paroles des sages, qui sont, tous
les uns autant que les autres, ouverts à diverses
interprétations. La justification de la priorité qui doit être
accordée aux nécessités de l’existence est quadruple :
Primo, le
peuple juif a un droit inhérent à exister, exactement comme
n’importe quel autre peuple ou n’importe quelle autre
civilisation.
Secundo,
un peuple qui a été régulièrement persécuté depuis deux mille
ans est moralement fondé, en termes de justice distributive, à
être particulièrement impitoyable lorsqu’il s’agit pour lui de
prendre soin de son existence, notamment en matière de droit
moral, que dis-je, de devoir, de tuer et d’être tué, si cela est
essentiel pour garantir son existence – fusse au prix d’autres
valeurs, et d’autres personnes. Cet argument est d’autant plus
imparable, à la lumière des tueries sans précédent, voici
seulement quelques décennies, d’un tiers du peuple juif – un
crime de masse qui a été soutenu directement et indirectement,
ou tout du moins, qui n’a pas été empêché, quand cela aurait été
possible, par de larges segments du monde civilisé.
Tertio,
étant données l’histoire du judaïsme et l’histoire du peuple
juif, il y a de fortes chances que nous allons continuer à
apporter des contributions éthiques particulièrement nécessaires
à l’humanité. Toutefois, pour pouvoir le faire, nous avons
besoin d’une existence stable.
Quarto,
l’Etat d’Israël est le seul pays démocratique dont
l’existence-même est mise en danger par des acteurs profondément
hostiles, sans, là encore, que le monde prenne les contremesures
décisives qui s’imposent. Cela justifie – que dis-je, cela
implique – des mesures qui non seulement seraient inutiles, mais
qui seraient même potentiellement immorale dans des
circonstances autres.
Le peuple
juif doit accorder beaucoup plus de poids à l’impératif qui est
le sien, de garantir sa survie, qu’à toute autre valeur. Il y a,
bien entendu, des limites ; rien ne saurait justifier la mise en
branle d’un génocide [pfioûûûû ! ndt]. Mais, à part de rares
exceptions, où être tué est détruit est préférable à la
transgression de normes absolues et totales, l’existence du
peuple juif, y compris celle de l’Etat d’Israël, doit être
considérée comme la première des priorités.
Ainsi, si
la sécurité d’Israël est renforcée de manière significative par
de bonnes relations avec la Turquie et avec la Chine, d’aucuns
arguent que la Turquie est coupable de génocide, dans le passé,
contre les Arméniens, et que la Chine, aujourd’hui, est en train
de réprimer des Tibétains et son opposition interne et que les
dirigeants et les organisations juifs doivent soutenir la
Turquie et la Chine, ou au minimum rester neutres en ce qui
concerne les affaires intérieures de ces deux pays. Au minimum,
les dirigeants juifs ne doivent pas se joindre au chœur des
acteurs libéraux [comprendre progressistes, ndt] et humanitaires
qui condamnent et la Turquie, et la Chine.
De la
même manière, les dirigeants juifs doivent soutenir les mesures
très dures prises contre des terroristes qui, potentiellement,
mettent des juifs en danger, fusse au prix de violations des
droits de l’homme et du droit humanitaire international. Et si
la menace est suffisamment grave, le recours à des armes de
destruction massive par Israël serait justifié, dès lors qu’il
serait manifestement nécessaire afin d’assurer la survie de
l’Etat, quelque important que soit le nombre énorme des victimes
civiles innocentes que l’on aurait à déplorer.
A n’en
pas douter, le débat est largement ouvert sur la question de
savoir ce qui est véritablement nécessaire à l’existence. Le
fait de donner la priorité à l’impératif d’exister n’implique
pas nécessairement que l’on soutienne de A jusqu’à Z la
politique d’Israël. De fait, c’est l’inverse qui est vrai : les
dirigeants, les organisations et les individus de la diaspora
ont le devoir de critiquer la politique israélienne, qui, de
leur point de vue, met en danger l’Etat juif et l’existence du
peuple juif. Ils ont aussi le devoir de proposer des politiques
alternatives garantissant l’existence (du peuple juif) [n’est-ce
pas, UJFP, Paix Maintenant, Capjpo et autre AFPS ?? ndt].
Mais, en
fin de compte, il n’y a aucun moyen de contourner les
implications pratiques, impitoyables et douloureuses, du fait de
donner la priorité à l’existence, en tant que norme morale
supérieure, sur le fait d’être moral par d’autres aspects. Quand
cela est important pour l’existence (du peuple juif), la
violation des droits d’autrui doit être acceptée, avec regret,
certes, mais avec détermination. Le soutien (ou la condamnation)
de divers pays et de leurs politiques respectives doit être
tranché, avant toute chose, à la lumière des conséquences
probables [de ce jugement] pour l’existence du peuple juif.
En
résumé : les impératifs de l’existence doivent se voir accorder
la priorité sur d’autres considérations – aussi importantes
soient-elles – dont les valeurs progressistes et humaines, ou
encore le soutien des droits de l’homme et de la
démocratisation.
Cette
conclusion tragique, mais néanmoins finale, n’est pas facile à
avaler, mais elle est essentielle pour le futur du peuple juif.
Une fois notre existence garantie, ce qui inclut la sécurité
fondamentale d’Israël, beaucoup peut – et doit – être sacrifié
sur l’autel du
tikkun olam [héb. :
« réparation du monde », ndt]. Mais étant donné les réalités
présentes et le futur prévisible, la garantie de l’existence est
la priorité des priorités.
[* Yehezkel Dror, président-fondateur du Jewish People Policy
Planning Institute, est professeur émérite de sciences
politiques à l’Université hébraïque de Jérusalem. Lauréat du
Prix Israël, il a fait partie de la commission Winograd
d’enquête sur la guerre israélienne contre le Hezbollah de l’été
2006.]Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier
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