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Avec la complicité de Washington,
Musharraf impose la loi martiale
Vilani Peiris et Keith Jones
Le général Pervez Musharraf
5 novembre 2007
L’homme fort de l’armée
pakistanaise, le général Pervez Musharraf, un allié clé de
l’administration Bush dans sa soi-disant guerre au terrorisme
sort les griffes encore une fois. Dans la soirée de samedi, les
forces de sécurité ont été déployées à Islamabad, occupant
les édifices du Parlement et de la Cour suprême, fermant les chaînes
privées de télévision et plaçant les membres de l’opposition
en « détention préventive ». Musharraf, qui a pris
le pouvoir au moyen d’un coup d’état en octobre 1999, a décrété
l’état d’urgence.
Dans ce qui constitue en
fait un second coup, Musharraf a indéfiniment suspendu la
constitution et la liberté de parole, la liberté de
rassemblement, la liberté d’association et la liberté de déplacement.
Il a aussi abrogé le pouvoir constitutionnel des tribunaux d’émettre
des injonctions contre lui en tant que président, contre le
premier ministre ou contre quiconque agissant sous leur autorité.
Musharraf a imposé une sévère censure à la presse et introduit
de dures peines pour le « crime » de « ridiculiser »
le président, les forces armées ou tout autre organe exécutif,
législatif ou judiciaire.
Les forces de sécurité
ont arrêté et détiennent sans accusation des centaines, si ce
n’est des milliers de politiciens et d’avocats de
l’opposition qui ont contribué à diriger la récente agitation
populaire contre le gouvernement militaire. Parmi les détenus, on
compte Jahvé Hashmi, le dirigeant de la Ligue musulmane du
Pakistan (Nawaz) et Aitzaz Ahsan, le chef de l’Association du
barreau de la Cour suprême du Pakistan et partisan en vue du
Parti du peuple du Pakistan (PPP).
Toutes les chaînes de télévision
privées et quelques radios internationales, y compris BBC World,
étaient encore fermées dimanche. La police et les forces
paramilitaires sont postées aux points de contrôle de la
capitale et, selon des reportages, rapidement déployées pour
briser tout mouvement de protestation.
Musharraf a démis de ses
fonctions le juge en chef de la Cour suprême, Muhammad Chaudhry.
On dit que Chaudhry et six autres juges de la Cour suprême qui
avaient refusé d’endosser l’ordre d’urgence de Musharraf,
le soi-disant ordre constitutionnel provisoire (OCP) ont été
assignés à résidence. Un lèche-botte de Musharraf, le juge
Abdul Hameed Dogar, a été nommé en remplacement de Chaudhry.
Les hautes cours provinciales ont aussi été purgées, plusieurs
juges refusant de promettre de soutenir l’OCP de Musharraf, les
autres n’ayant même pas eu l’occasion de le faire.
Toutes ces mesures soulèvent
la menace que l’armée aura recours à la violence de masse si
le peuple pakistanais devait résister. Mais l’ampleur du coup
de Musharraf et sa détermination à militariser le pays sont démontrées
par sa décision de proclamer un ordre constitutionnel provisoire
et de le faire en tant que chef des forces armées pakistanaises
plutôt que d’utiliser l’autorité du président pour se
donner les pouvoirs d’urgence que prévoit la constitution
pakistanaise de 1973.
« C’est
l’imposition d’un véritable régime militaire », a dit
Hasan Askari Rizvi, un expert des affaires militaires
pakistanaises. «Il n’y a pas de constitution et le Pakistan est
dirigé en vertu d’un ordre constitutionnel provisoire émis par
Musharraf en tant chef de l’armée et non en tant que président
du Pakistan. »
Complicité
américaine
L’administration Bush,
le gouvernement travailliste britannique et les autres puissances
occidentales ont répondu au coup de force de Musharraf avec les
plus faibles critiques que l’on puisse imaginer.
La secrétaire d’Etat américaine,
Condoleezza Rice, qui comme son patron, George W. Bush, a
plusieurs fois fait l’éloge de Musharraf et de son soi-disant
engagement envers la démocratie, a décrit la déclaration de
l’état d’urgence comme « très regrettable »,
tout en réaffirmant que Washington continuera à coopérer étroitement
avec le régime militaire pakistanais. Rice a appelé « tous
les protagonistes à se restreindre dans ce qui est de façon évidente
une situation très difficile ».
Prenant la parole dans un
avion en route vers Israël, Rice a dit que les Etats-Unis avaient
conseillé à Musharraf de ne pas aller dans cette direction et
qu’ils voulaient « un retour rapide à la
constitutionnalité ». Mais elle a vite adouci cette faible
critique en ajoutant que Musharraf avait jusqu’ici fait « beaucoup »
pour mettre le Pakistan sur la « voie de la démocratie ».
Dimanche, Rice a affirmé que Washington
allait revoir l’aide fournie au Pakistan. Depuis septembre 2001,
Washington a offert à Islamabad au moins 10 milliards de
dollars, une somme constituée majoritairement d’aide militaire.
Cependant, la déclaration de Rice n’était pas une menace, mais
une simple admission que certaines lois américaines pourraient
forcer l’administration Bush à réduire son aide financière au
régime militaire du Pakistan.
Le Pentagone a été probablement encore
moins critique du coup de force de Musharraf. Le porte-parole du
Pentagone, Geoff Morrell, a affirmé : « La déclaration
[d’état d’urgence] n’influencera pas notre soutien
militaire au Pakistan dans sa guerre contre le terrorisme. »
Le ministre britannique des Affaires étrangères,
David Miliband, a repris les commentaires de Rice. « Nous
collaborons étroitement avec les amis du Pakistan à travers la
communauté internationale en montrant de la retenue et en
travaillant ensemble vers une résolution pacifique et démocratique. »
Affirmant être « profondément inquiet », Miliband a
affirmé qu’il exprimerait l’opposition de la Grande-Bretagne
à la suspension de la constitution par Musharraf en s’adressant
personnellement au ministre pakistanais des Affaires étrangères,
Khurshid Kasuri.
La réaction placide face au coup de force
de Musharraf et à sa menace implicite de massacres offre un vif
contraste avec les vigoureuses dénonciations venues de
Washington, de Londres et d’autres capitales occidentales le
mois dernier après que la junte militaire birmane eut violemment
réprimé des manifestations s’opposant à la montée des prix
du pétrole et au manque de démocratie.
La différence est que le régime
pakistanais est un allié crucial de Washington dans la poursuite
de ses intérêts prédateurs dans les régions riches en pétrole
de l’Asie centrale et du Moyen-Orient. Musharraf a offert un
appui logistique essentiel aux invasions et occupations américaines
de l’Afghanistan et de l’Irak et il a fourni aux services du
renseignement américains des centres de torture à l’extérieur
du pays. Il aurait aussi permis à l’armée des Etats-Unis de se
servir du territoire pakistanais pour se préparer à une guerre
contre l’Iran en tenant des exercices d’entraînement au
Pakistan et en simulant des incursions de reconnaissance à la
frontière le séparant de son voisin de l’ouest.
Ceci étant dit, le recours de Musharraf à
l’état d’urgence constitue un énorme fiasco pour
l’administration Bush.
Reconnaissant que le régime de Musharraf se
désintégrait face à l’opposition populaire croissante,
Washington tente depuis longtemps d’en arriver à un
rapprochement entre le régime militaire de Musharraf et le Parti
du peuple pakistanais de Benazir Bhutto.
Comme l’a écrit le New York Times
dimanche dans un article intitulé « Un partenaire égaré
laisse la Maison-Blanche en plan» : « Durant plus de
cinq mois, les Etats-Unis ont tenté d’organiser une transition
politique au Pakistan qui aurait d’une certaine façon maintenu
le général Pervez Musharraf au pouvoir sans discréditer complètement
la défense par le président Bush de la démocratie dans le monde
musulman.
« Samedi, cette stratégie méticuleusement
planifiée s’est effondrée de façon spectaculaire. »
Et c’est n’est pas seulement parce que
l’imposition de la loi martiale par Musharraf a démenti encore
une fois le verbiage démocratique utilisé par l’administration
Bush et l’élite politique et financière américaine pour
justifier leurs guerres criminelles en Irak et en Afghanistan.
Washington et Londres voient bien que le
coup de force de Musharraf est un pari désespéré qui pourrait
mal tourner et précipiter une explosion populaire qui se
retournerait contre les intérêts des généraux pakistanais, de
la bourgeoisie pakistanaise dans son ensemble et de l’impérialisme
américain.
Afin justement d’empêcher qu’un tel développement
ne se produise, l’administration Bush et le gouvernement
britannique ont cherché à sceller une entente entre Musharraf et
le parti populiste PPP qui, à deux précédentes occasions où
s’était effondrée une dictature militaire soutenue par les
Etats-Unis, était venu à la rescousse de l’armée contre la
colère populaire et avait ainsi maintenu en place le principal
rempart de l’ordre bourgeois.
Juste avant le simulacre d’élection présidentielle
du 6 octobre, les Etats-Unis avaient manigancé un accord entre le
PPP et Musharraf en vertu duquel le PPP s’était dissocié du
reste de l’opposition, légitimant ainsi la dernière perversion
de la constitution par le général. Douze jours plus tard, Bhutto
revint de son exil, mais fut, seulement quelques heures après son
arrivée à Karachi, la cible d’une tentative d’assassinat
lors de laquelle 139 personnes furent tuées. Bhutto accusa
certains éléments du régime militaire, mais pas Musharraf lui-même,
d’être les auteurs de cette tentative d’assassinat.
Imitant ses promoteurs de Londres et de
Washington, la réponse de Bhutto au coup de force de Musharraf a
été pour le moins silencieuse. Pendant que l’armée démontre
son mépris pour les droits démocratiques du peuple pakistanais,
Bhutto a dit qu’elle ne veut pas la confrontation. Dimanche, en
s’adressant à CNN, elle a refusé d’écarter la possibilité
de tenir de nouveaux pourparlers sur le partage du pouvoir avec le
général président.
Opposition
populaire grandissante
Depuis des mois, Musharraf et ses complices ont
menacé d’imposer les mesures d’urgence face à l’opposition
grandissante parmi toutes les couches de la société, une
opposition qui a été alimentée par le manque de démocratie, la
hausse des prix pour la nourriture, la croissance des inégalités
sociales, la corruption régnante et les pratiques
pro-capitalistes du régime militaire et, dernier facteur mais non
le moindre, l’appui de Musharraf pour les guerres de Washington.
L’évènement qui a déclenché le coup de
force de samedi fut l’échec apparent des menaces de Musharraf
envers la Cour suprême afin qu’elle donne une légitimité
judiciaire et constitutionnelle aux élections frauduleuses du
mois dernier.
Le système de justice pakistanais a une longue
histoire d’approbation d’actes illégaux commis par les
dictateurs militaires. Mais, reflétant les craintes de l’élite
que le régime militaire exacerbe la colère populaire et ses
plaintes que l’armée a monopolisé les bénéfices de la
croissance capitaliste, la Cour suprême, sous le juge Chaudhry, a
émis plusieurs jugements qui entravent les plans de l’armée et
de ses complices politiques. En mars dernier, lorsque Musharraf a
congédié Chaudhry parce qu’il craignait ne pouvoir compter sur
le juge en chef de la Cour suprême pour truquer les prochaines élections
à son avantage, des manifestations populaires se déclenchèrent
et Musharraf subit en fin de compte une défaite humiliante
lorsque la Cour suprême ordonna que Chaudhry soit remis à son
poste.
Cet automne, pendant plusieurs semaines, un
jury de la Cour suprême a reçu des pétitions remettant en cause
la légalité de l’élection présidentielle et de la
candidature de Musharraf. D’un point de vue légal, c’était
une question déjà réglée : la constitution pakistanaise
empêche un membre de l’armée, y compris le chef des forces armées,
de se présenter comme candidat lors d’élections. Elle interdit
aussi clairement le stratagème de Musharraf visant à laisser un
parlement national et des assemblées provinciales élus en 2002,
dans un scrutin manipulé par l’armée, choisir un président
pour un mandat de cinq ans à partir de novembre 2007.
Mais, Musharraf espérait encore qu’en
combinant les menaces d’un recours aux mesures d’urgence si
son élection présidentielle était jugée anticonstitutionnelle
avec une participation dans le rapprochement avec Benazir Bhutto
commandité par les Etats-Unis, il pourrait forcer la cour à
endosser son élection.
Cependant, Musharraf en est venu à la
conclusion ultime que la cour légiférerait contre lui. Dans le
milieu de la semaine dernière, la cour a annoncé qu’elle
suspendait ses délibérations sur la question jusqu’au 13
novembre, ce qui est seulement deux jours avant que le mandat présidentiel
actuel n’expire. Après, la cour est revenue sur sa décision et
a indiqué qu’elle pourrait émettre un jugement aussi tôt
qu’hier. Conséquemment, Musharraf a pris la décision
d’imposer la loi martiale.
Musharraf a commencé sa proclamation des
mesures d’urgence en faisant référence à la montée des
attaques terroristes et des autres contestations de l’autorité
du gouvernement par les groupes islamiques armés — des groupes
qui, historiquement, ont été alimentés par l’armée et les
services secrets en tant que rempart contre la classe ouvrière et
comme instrument dans les manœuvres géopolitiques du Pakistan
contre l’Inde.
Mais, ce qui constitue la majeure partie de la
proclamation et de la justification de Musharraf pour la loi
martiale est l’affirmation selon laquelle « certains
membres du système judiciaire travaillent à d’autres fins que
la branche exécutive et la branche législative ». La
proclamation accuse le pouvoir judiciaire de miner la lutte contre
le terrorisme en ordonnant le relâchement de personnes détenues
sans accusation et de déstabiliser l’État pakistanais en exerçant
un modeste contrôle sur le gouvernement et l’armée.
La proclamation se plaint de « constante
interférence » de la cour « dans les fonctions exécutives
incluant, entre autres, le contrôle des activités terroristes,
la politique économique, le contrôle des prix, les coupures dans
les entreprises et la planification urbaine [qui] ont affaibli la
portée du gouvernement » et que, suite à l’abus par la
cour de son autorité constitutionnelle « la police est
devenue complètement démoralisée et a perdu rapidement son
efficacité à combattre le terrorisme et les agences du
renseignement ont été contrecarrées dans leurs activités et
n’ont pu pourchasser les terroristes. »
Ces plaintes ne servent pas seulement à
justifier des mesures dictatoriales. Elles constituent un
avertissement que le régime de Musharraf a l’intention
d’utiliser ses pouvoirs autoritaires pour intensifier
l’implantation de politiques économiques néolibérales et
d’utiliser la répression étatique pour supprimer
l’opposition grandissante au manque de droits démocratiques et
aux inégalités sociales.
L’administration Bush et l’élite politique
américaine ont, depuis des années, soutenu la dictature de
Musharraf. Elles sont, pas moins que le général lui-même,
responsables du viol systématique des droits démocratiques du
peuple Pakistanais et de la menace de terreur étatique qui plane
maintenant sur le Pakistan.
(Article original anglais
paru le 5 novembre 2007)
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Publié le 6 novembre 2007 avec l'aimable autorisation du WSWS
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