UNE TIGRESSE peut-elle se transformer en minette ?
Impossible, répondrait un zoologiste. Mais la semaine dernière,
c’est ce à quoi nous avons assisté de nos propres yeux.
Condoleezza Rice est venue en Israël pour
apprendre à Ehoud Olmert, une bonne fois pour toutes, qui est
le patron. Le Président des Etats-Unis veut mettre de l’ordre
au Moyen-Orient, et le gouvernement d’Israël doit
s’incliner. Autrement...
Deux jours plus tard, il ne restait rien de
cette menace. Encore une fois, Olmert n’obtempéra pas. Et
qu’arriva-t-il ? Rien. L’effrayante tigresse rentra
chez elle, la queue entre les jambes.
Muammar al-Kadhafi, un mélange unique de
dictateur et de comédien, a fait des compliments à la « femme
africaine noire », et a révélé qu’il l’appréciait.
Elle n’a qu’à lever le petit doigt, a-t-il dit, et tous les
chefs des services de sécurité du monde arabe, qui sont les
vrais zdirigeants de leurs pays, accourent. Mais même Kadhafi
n’a pas dit qu’elle faisait peur à Israël.
JULES CÉSAR fit cette célèbre déclaration
devant le Sénat romain : « Je suis venu. J’ai vu.
J’ai vaincu. » Condoleezza Rice pourrait déclarer
devant le Sénat américain : « Je suis venue. J’ai
vu. J’ai capitulé. » Devant qui ? Devant un
Premier ministre israélien défaillant, dont le taux de
popularité est proche de zéro et dont pratiquement personne ne
s’attend qu’il tienne jusqu’à la fin de l’année.
Dans le débat en cours sur qui remue quoi - le
chien sa queue ou la queue son chien - les partisans de la queue
l’ont emporté. Dans le round qui vient de se terminer, Israël
a gagné contre les Etats-Unis.
Cette nouvelle phase commença quand le président
Bush décida, semble-t-il, de déblayer le terrain pour agir.
Les Etats-Unis se préparent à la guerre contre l’Iran. Pour
cela, ils doivent mettre fin à la pagaille en Irak, unir les régimes
arabes pro-américains et trouver une solution au problème
palestinien.
Au début, tout marchait très bien. Tous les
dirigeants des pays arabes (sauf Kadhafi, l’inévitable absentéiste)
se sont réunis pour une rencontre au sommet à Riyad. Le roi
d’Arabie saoudite s’était réconcilé avec Bachar al-Assad.
Mahmoud Abbas avait amené avec lui le dirigeant du Hamas Ismaïl
Haniyeh. Le président du Liban, Emile Lahoud, protégé de la
Syrie et du Hezbollah, était présent à la table des
discussions.
Le monde arabe uni insuffla une nouvelle vie au
plan de paix du roi Abdallah, qui offre à Israël la
reconnaissance, la paix et la normalisation avec l’ensemble du
monde arabe, en échange de son retrait sur les frontières du 4
juin 1967. Le plan donne peu de place à une « solution
juste » au problème des réfugiés (et comment l’éviter ?)
mais établit sans équivoque que toute solution dépend d’un
accord israélien.
Si le monde arabe nous avait fait cette offre le
4 juin 1967, nous aurions remercié le ciel, allumé des bougies
et clamé l’ancienne action de grâce juive : « Béni
sois-tu, Seigneur, notre Dieu, roi du monde, qui nous a gardés
en vie, soutenus et nous a permis de connaître ce jour. »
Mais cette semaine, personne n’a allumé de
bougies ni rendu grâce au « souverain de l’univers »
pour l’offre de paix arabe. Au contraire, Olmert & Co se
sont creusé la tête pour trouver le moyen de sortir de ce piège.
Comme ils ne pouvaient pas donner de meilleures raisons, ils ont
argué qu’il était impossible d’accepter une proposition
qui fasse état de la résolution de l’ONU sur les réfugiés.
La plupart des médias, sous la baguette des porte-parole d’Olmert,
n’ont rien dit sur le fait que la paix dépend d’un accord
explicite d’Israël.
En bref, niet !
C’ÉTAIT le moment pour le rouleau compresseur
américain de s’ébranler. Après tout, des intérêts vitaux
américains sont en jeu.
Tous les dirigeants arabes qui dépendent des
USA ont dit qu’ils ne pouvaient pas donner le soutien qu’on
leur demande, tant que le pus coule de la plaie de
l’occupation. Comment le roi d’Arabie saoudite et le président
d’Egypte peuvent-ils convaincre leurs masses du bien-fondé
d’une guerre contre l’Iran, quand eux-mêmes et leurs sujets
sont soumis, matin, midi et soir, sur la chaîne Al Jazira, à
l’horrible spectacle d’un chien d’attaque de l’armée
israélienne plantant ses crocs dans la chair d’une vieille
femme palestinienne sans lâcher prise ?
Condoleezza organisa une épreuve de force avec
Olmert et elle était prête à lui soumettre un ultimatum. Mais
il semble, qu’au dernier moment, de nouvelles instructions
vinrent de la Maison Blanche. Laisse tomber et rentre.
Le Président Bush apparaît encore plus faible
qu’Olmert. Dans les deux chambres du Congrès, il a subi une
cuisante défaite sur l’Irak. Les Américains n’ont pas
envie d’une nouvelle guerre, cette fois contre un pays
beaucoup plus uni et déterminé que l’Irak. Dans cette
situation politique, la dernière chose dont Bush ait besoin
c’est d’un affrontement avec le lobby pro-israélien dans
ses deux composantes, juive et chrétienne.
Les deux professeurs Stephen Walt et John
Mearsheimer ont gagné cette manche. Dans la confrontation entre
les intérêts nationaux des Etats-Unis d’une part, le
gouvernement israélien et ses fans américains d’autre part,
la partie israélienne a gagné.
Le rouleau compresseur n’a pas bougé.
Condoleezza est allé chez Olmert et a discuté avec lui pendant
trois heures. Sa déclaration finale ressemble plus au
ronronnement d’un chat qu’au rugissement d’un fauve.
ET L’OPINION ISRAÉLIENNE ? Cette opinion
qui a vu une nouvelle occasion historique se présenter et ne
pas être saisie ?
Aucun doute, l’énorme majorité aurait
soutenu Olmert si celui-ci avait annoncé son acceptation de
l’offre arabe. Mais seule une petite minorité est prête à
se rebeller contre Olmert quand il fait le contraire.
La majorité silencieuse comprend les victimes
des prochaines guerres, leurs parents et leurs enfants. Est-il
possible qu’elle n’en tienne pas compte ? que cela ne
la concerne pas ?
Les gens ne sont pas intéressés. Ils ne se
plaignent pas. Ils n’élèvent pas la voix. Ils ne manifestent
pas.
Cette semaine, le mouvement La Paix maintenant a
appelé à une manifestation pour demander qu’Olmert réponde
positivement à l’initiative du sommet arabe. L’événement
eut lieu près de la résidence du Premier ministre à Jérusalem.
Les organisateurs avaient apporté des drapeaux de tous les
Etats arabes, y compris de la Palestine. Ce fut un spectacle
rafraîchissant pour ceux qui se souviennent de la façon dont,
il y a vingt ans, un militant avait été expulsé d’une
manifestation de La Paix maintenant parce qu’il portait un
petit drapeau palestinien.
Combien sont venus ? Un mouvement qui, à
une époque, a réuni 400.000 manifestants après le massacre de
Sabra et Chatila, a attiré cette fois-ci (certes, un jour de
semaine) 250 personnes. Ni Haaretz ni aucun
autre journal n’a dit un mot de cette manifestation colorée,
aucune chaîne de télévision n’en a montré une seule image.
Sauf Al-Jaira. Quelle est la raison de cette
indifférence ? Fatalisme ? Fatigue ? Déceptions
accumulées ? Manque de confiance dans le gouvernement
et/ou dans les Arabes ?
Il n’y a pas de doute : il faut quelque
chose de spectaculaire pour faire bouger cette opinion. Un
commentateur a suggéré que le roi saoudien suive l’exemple
d’Anouar al-Sadate et vienne à Jérusalem parler à la
Knesset et s’adresser directement à l’opinion israélienne.
Mais Sadate n’a fait sa visite historique qu’après que
Moshe Dayan eut promis, dans des rencontres secrètes au Maroc,
que Menahem Begin serait prêt à rendre toute la Péninsule du
Sinaï. Olmert ne promet rien.
OLMERT a-t-il répondu ? Tu parles !
Il lui était impossible d’ignorer totalement la proposition
arabe.
Il déclara qu’il était prêt à rencontrer
le roi saoudien. Les naïfs pouvaient en être favorablement
impressionnés. Le Premier ministre d’Israël était prêt à
rencontrer les dirigeants des Etats arabes. Bien. Très bien
vraiment.
En fait, il s’agit d’un vieux procédé des
gouvernements israéliens depuis l’époque de David
Ben-Gourion. Une rencontre avec le chef d’un des plus
importants Etats arabes pourrait être interprétée comme une
normalisation, et la normalisation est la principale demande
israélienne. Autrement dit, Israël atteindrait ainsi son
objectif principal sans rien donner en échange. Aucun dirigeant
arabe ne peut, bien entendu, tomber dans ce piège.
Immédiatement après, Olmert déclara que pas
un seul avant-poste ne serait démantelé avant que les
Palestiniens « combattent le terrorisme ». Cela
aussi a un arrière-plan historique : quand le Président
Bush a accepté de reconnaître les « centres de
population » israéliens - grosses colonies installées
au-delà de la Ligne verte en totale violation du droit
international et des exigences américaines antérieures - Ariel
Sharon entreprit de démanteler toutes les colonies implantées
après son arrivée au pouvoir, début 2001. Même en droit israélien,
ces colonies (« avant-postes ») sont illégales.
Cette entreprise se trouve aussi dans la bonne
vieille Feuille de route. D’après celle-ci, Israël était
obligé de démanteler ces colonies dans la première phase, et
simultanément les Palestiniens devaient désarmer leurs
organisations.
Amir Peretz, qui, en tant que ministre de la Défense,
est responsable de cet aspect des choses, déclare sans cesse -
toutes les minutes actuellement - qu’il allait démanteler les
avant-postes. Pratiquement, pas un seul avant-poste n’a été
démantelé. Aujourd’hui, Olmert déclare que, en premier
lieu, les Palestiniens doivent « combattre le terrorisme »
et c’est seulement alors que le gouvernement décidera ce
qu’il a à faire au sujet des colonies.
Autrement dit, aucun avant-poste ne sera démantelé.
C’est ainsi que la « fenêtre
d’opportunité » se ferme. (Pour utiliser une expression
américaine plutôt stupide. Après tout, une fenêtre est une
ouverture à travers laquelle on voit ce qui se passe à l’extérieur,
pas une ouverture par laquelle on passe pour faire quelque
chose. Pour cela, il y a des portes.)
A LA VEILLE de Pâque, Olmert a déballé ses
pensées, telles qu’elles sont, dans tous les médias.
Le quotidien d’Israël le plus diffusé a mis
un titre à sensation sur sa première page : « Olmert :
En cinq ans, nous pouvons parvenir à la paix ! »
Quoi ? Cinq ans ? En 1993, nous avons
signé l’accord d’Oslo, qui prévoyait le règlement final
de la paix entre Israël et les Palestiniens dans les cinq ans.
Depuis lors, treize années se sont écoulées, et les négociations
n’ont même pas encore commencé.
Il semble que les « cinq ans »
appartiennent au même monde d’illusions que « l’horizon
politique » de Condoleezza : à mesure que vous
avancez, il recule.
Article publié en hébreu et en anglais le 31 mars sur le site
de Gush Shalom - Traduit de l’anglais « Pussycat » :
RM/SW