En 1961, j’ai écrit un livre intitulé “La swastika” [...], dans
lequel j’essayais de percer le code des racines du nazisme. Á la
fin du livre, je posais la question : peut-il arriver ici ? Ma
réponse catégorique était : oui, certainement.
EN ALLEMAND, le nom
Sternhell signifie brillant comme les étoiles. Le nom
convient : les positions du professeur Ze’ev Sternhell
résistent nettement à l’obscurité du ciel. Il met en garde
contre le fascisme israélien. Cette semaine, des fascistes
israéliens ont posé une bombe artisanale à l’entrée de son
appartement et il a été légèrement blessé.
Le choix de la victime paraît surprenant
au premier abord. Mais les auteurs savaient ce qu’ils
faisaient.
Ils ne se sont pas attaqué aux militants
qui manifestent chaque semaine contre le mur de séparation à
Bi’lin et Na’alin. Ils ne se sont pas non plus attaqué aux
gens de gauche qui se mobilisent chaque année – cette année
aussi – pour aider les Palestiniens à cueillir leurs olives
dans le voisinage des colonies les plus dangereuses.
Ils ne
se sont pas attaqué aux "femmes en noir" qui manifestent
chaque vendredi, ou aux femmes de "Machsom Watch" qui
observent ce qui se passe aux points de contrôle de l’armée.
Ils se sont attaqué à une personne dont toute l’activité se
déroule dans le domaine universitaire.
Les luttes sur le terrain sont
essentielles. Mais leur objectif principal est de toucher
l’opinion publique. C’est le principal champ de bataille, et
l’homme de lettres y a un rôle important à jouer.
Sur ce champ de
bataille, deux visions s’affrontent, deux visions aussi
éloignées que l’est de l’ouest. D’un côté : un Israël
lumineux, moderne, laïque, libéral [1]
et démocratique, vivant en paix et en partenariat avec la
Palestine comme un élément à part entière de la région. De
l’autre côté : un Israël fanatique, religieux, fasciste,
séparé de la région et de l’humanité civilisée, un peuple
"qui a sa demeure à part et qui n’est pas compté parmi les
nations" (Nombres 23, 9), où "l’épée dévorera toujours" (2
Samuel 2, 26)
Ze’ev Sternhell est
l’un des esprits éminents de la vision lumineuse. Ses
positions sont brillantes comme les étoiles, déterminées et
fortes. Ce n’est pas une cible surprenante de la part de
poseurs de bombes néo-nazis qui se nourrissent de chimères.
LE CHAMP d’expertise universitaire de
Sternhell est l’origine du fascisme, une question qui m’a
occupé toute ma vie. Les raisons de notre intérêt sont
semblables : le nazisme a laissé une impression indélébile
sur notre enfance et notre destinée. Enfant, j’ai été témoin
de la montée du nazisme en Allemagne. Enfant, Sternhell en a
été le témoin en Pologne lorsque, après la mort de son père,
il perdit sa mère et sa sœur dans l’Holocauste.
"Chat échaudé craint l’eau froide" dit le
proverbe. Ceux qui ont éprouvé l’explosion du nazisme dans
leur vie d’enfant sont sensibles au plus léger symptôme de
manifestation de cette maladie. En 1961, j’ai écrit un livre
intitulé “La swastika” (il n’existe qu’en hébreu), dans
lequel j’essayais de percer le code des racines du nazisme.
Á la fin du livre, je posais la question : peut-il arriver
ici ? Ma réponse catégorique était : oui, certainement.
Á cause de cela, je suis sensible à
chaque signal d’alarme dans notre société. En tant que
journaliste et directeur de magazine, j’ai dirigé les
projecteurs sur tous les signaux de ce genre. Comme militant
politique, je les ai combattu à la Knesset et dans la rue.
Sternhell, en ce qui le concerne, à la
suite d’une carrière militaire, est un pur universitaire. Il
fait appel aux outils universitaires : recherche,
enseignement et publications. Il s’efforce de produire des
définitions exactes, sans rechercher la popularité et sans
éviter la provocation. Dans l’un de ses articles il y
quelques années, il affirmait que la réaction violente des
Palestiniens aux colonies était tout à fait normale. Cela
lui attira la colère durable des colons et de l’extrême
droite, qui s’efforça de l’empêcher de recevoir le Prix
d’Israël, la plus haute distinction en Israël.
Maintenant, ce sont les bombes
artisanales qui ont la parole.
QUI A POSÉ la bombe ? Un individu isolé ?
Un groupe ? Un nouveau mouvement clandestin ? Les
terroristes de colonies ? Il revient à la police et au Shin-Bet
de le découvrir.
Pour l’opinion publique, la question est
beaucoup plus simple : on voit clairement dans quelles
plates-bandes croissent ces mauvaises herbes vénéneuses,
quelle idéologie leur sert d’engrais et qui la répand.
Le fascisme israélien est vivant et il
frappe. Il croit dans les plates-bandes qui ont produit les
divers groupes clandestins nationalistes-religieux dans le
passé : le groupe qui a tenté de faire sauter les
sanctuaires musulmans sur le Mont du Temple, le groupe
clandestin qui a tenté d’assassiner les maires palestiniens,
le gang "Kach", l’exécuteur du massacre d’Hébron, Baruch
Goldstein, l’assassin du militant de la paix Émile
Gruenzweig, l’assassin de Yitzhak Rabin et tous les groupes
clandestins qui ont été découverts avant que leurs actes ne
les fassent connaître du public.
Ces actes ne peuvent être simplement
attribués à des individus ou à des "groupes de dévoyés". Il
y a une frange fasciste bien claire à la marge de la société
politique d’Israël. Son idéologie est
nationaliste-religieuse et ses leaders spirituels sont des
"Rabbis" qui formulent sa vision du monde et sa mise en
pratique. Ces idolâtres juifs ne travaillent pas dans le
secret. Au contraire, ils proposent leurs marchandises sur
le marché public.
Ce secteur est concentré dans les
colonies "idéologiques". Cela ne veut pas dire que tous les
colons sont des fascistes. Ils sont concentrés dans
certaines colonies bien connues. Par hasard ou non, toutes
ces colonies sont situées au cœur de la Cisjordanie, au delà
du mur de séparation. Les premières d’entre elles ont été
installées, dans le secteur d’Hébron, avec l’aide du leader
"de gauche" Ygal Allon, et dans le secteur de Naplouse par
le leader "de gauche" Shimon Peres.
AU COURS DES derniers mois, il y a eu une
augmentation sensible du nombre des incidents où des colons
ont attaqué des Palestiniens, des soldats, des policiers et
des "gens de gauche".
Ces actions sont commises ouvertement,
pour terroriser et décourager. Des colons se livrent à des
violences dans des villages palestiniens dont ils convoitent
les terres ou pour se venger. Ce sont là des "pogroms" au
sens classique du terme : des violences exercées par une
foule armée intoxiquée par sa haine à l’égard de gens sans
défense pendant que l’armée et la police se contentent de
regarder. Les "Pogromchiks" détruisent, blessent et tuent.
Ces temps-ci, cela se produit de plus en plus souvent.
Dans le petit nombre de cas où l’armée ou
la police interviennent, elles ne s’en prennent pas aux
colons, mais aux militants de la paix israéliens qui
viennent aider les fermiers palestiniens attaqués. Les
porte-paroles des services de sécurité et les commentateurs
essaient de se montrer objectifs et parlent d’"émeutiers de
droite et de gauche". C’est un traitement faussement
équilibré qui appartient lui-même à l’arsenal des manœuvres
fascistes.
Les pogroms des colons sont violents par
nature, tant au plan des idées que des actes, alors que les
militants de la paix sont non-violents par principe. S’il y
a violence,elle est le fait de l’armée et de la police des
frontières, prenant prétexte du fait que les jeunes du
secteur ont lancé des pierres. Ce qui n’est pas dit, c’est
que les soldats et les membres de la police des frontières
poursuivent les manifestants palestiniens dans les rues de
leurs villages.
L’"effronterie" des voyous d’extrême
droite – ou "militants de droite" comme les medias tiennent
à les appeler courtoisement – s’accroît de jour en jour. Ils
font ce qu’ils veulent, sachant parfaitement qu’aucun mal ne
peut leur arriver. La police n’intervient pas puisque de
toute façon la justice ne prendra aucune sanction
significative.
QUICONQUE connaît l’histoire du nazisme
est familier du rôle honteux joué par les tribunaux et les
autres institutions chargées d’appliquer la loi dans la
république allemande vis à vis de ceux qui enfreignaient les
lois en déclarant que leur objectif était de mettre fin au
système démocratique. Les juges imposaient des sanctions
ridiculement faibles aux émeutiers nazis qu’ils
considéraient comme des "patriotes dévoyés", alors qu’ils
traitaient les émeutiers communistes d’agents de l’étranger
et de traîtres.
Maintenant nous voyons le phénomène se
dérouler ici. Les colons qui enfreignent la loi se voient
infliger des peines symboliques alors que les Palestiniens
accusés de fautes moindres subissent des peines sévères.
Aujourd’hui, même un colon qui lance son chien sur un
commandant de compagnie reste en liberté tout comme un colon
qui rompt les os d’un chef de bataillon.
Le système de justice interne de l’armée
est tout simplement monstrueux : l’officier qui a retenu une
femme en travail à un point de contrôle, entraînant la mort
de l’enfant, a été puni de deux semaines de détention.
L’officier qui a ordonné à un soldat de tirer dans la jambe
d’un Palestinien menotté a été "muté", ce qui signifie que
ce criminel de guerre peut servir dans une autre unité.
EST-CE-QUE l’augmentation du nombre et de
la gravité de tels incidents témoigne d’une puissance
croissante du fascisme israélien ? Á première vue, on
pourrait en avoir l’impression.
Cependant, à y regarder de plus près, je
pense que c’est l’inverse qui est vrai.
Les colons fanatiques savent qu’ils ont
perdu le soutien de l’opinion publique en Israël et que
l’Israélien moyen les considère comme de dangereux voyous.
Leurs actions telles qu’on les voit à la télévision
suscitent le dégoût et même l’horreur. La vision de "la
totalité de l’Éretz Israël" n’a pas seulement perdu de
l’altitude – elle s’est écrasée sur le terrain de la
réalité. Les zélotes agissent à partir de sentiments de
faiblesse et de frustration.
Autant les nazis haïssaient la République
allemande, autant ces fanatiques commencent à haïr l’Etat
d’Israël. Et avec de bonnes raisons. Ils voient qu’ils n’ont
aucune place dans le consensus qui prend corps autour du
concept de "Deux états pour deux peuples", qu’il soit
accepté pour des raisons négatives telles que la crainte
démographique ou le fardeau de l’occupation, ou pour des
raisons positives telles que l’espoir de paix et de
prospérité après le retrait des territoires occupés.
La discussion sur la question des
frontières se poursuit, mais la majorité voit dans le mur de
séparation la future frontière. ( Comme nous l’avons montré
clairement depuis le début, le mur n’a pas été construit en
réalité pour se protéger des attentats suicides, comme on le
prétendait, mais comme future frontière entre les deux
Etats.)
Les milieux dirigeants d’Israël
souhaitent annexer les terres situées entre le mur et la
ligne verte et sont disposés à donner en contrepartie aux
Palestiniens des terres israéliennes. Comment les colons
voient-ils cela ?
La plupart des colons vivent dans des
colonies proches de la ligne verte, qui, dans cette
perspective seront rattachées à Israël. Ce sont , et ce
n’est pas un hasard, des colons au "style de vie" non
idéologique, qui étaient à la recherche d’appartements à bon
marché et d’une "qualité de vie" à proximité de Tel-Aviv ou
de Jérusalem. Ces colons seront vraisemblablement d’accord à
la fin pour toute paix qui leur permettra de rester en
Israël.
La grande majorité des colons
extrémistes, ceux qui se réclament d’un idéologie
religieuse-fasciste, vivent dans de petites colonies à l’est
du mur qui devront être démantelées quand on aboutira à la
paix. Il s’agit d’une petite minorité, même parmi les
colons, soutenue par une minorité radicale à l’extrême
droite. C’est là que le fascisme israélien violent se
développe.
IL FUT UNE ÉPOQUE où il semblait qu’une
Ligne Rouge courait parallèlement à la Ligne Verte – que le
terrorisme nationaliste-religieux frapperait "seulement" les
Palestiniens, pas les Israéliens. Même le rabin Meir Kahane,
un fasciste né, disait cela.
L’illusion s’est brisée avec le meurtre
de Yitzhak Rabin. Le fascisme israélien est apparu semblable
à tout autre fascisme classique qui hurle contre "l’ennemi
étranger" mais dirige son terrorisme contre "l’ennemi de
l’intérieur". La bombe artisanale à l’entrée de la maison de
Sternhell doit activer tous les voyants rouges, au moment où
elle fait suite à l’assassinat d’Émile Gruenzweig et aux
menaces contre la vie d’autres militants de la paix en vue.
La bataille
décisive, la bataille pour Israël, entre dans une nouvelle
phase - beaucoup plus violente, beaucoup plus dangereuse.
Mais, plus que tout danger pour les personnes, c’est le
danger pour la société israélienne dans son ensemble qui est
le plus sérieux. Particulièrement si elle ne mobilise pas
toutes ses ressources – gouvernement, police, services de
sécurité, la loi, les tribunaux, les medias et le système
éducatif – pour une bataille totale contre ce danger.
Je ne pense pas que le fascisme
l’emportera dans notre société. Je crois à la force de la
démocratie israélienne. Mais, si l’on me pousse dans mes
retranchements et si on me demande : "Est-ce que cela peut
arriver ici ?" Je suis obligé de répondre "Oui, c’est
possible."
[1]
NDT : libéral est à prendre ici dans son sens politique
anglo-saxon : à gauche.
Article écrit le 27 septembre 2008,
publié en hébreu et en anglais le 28 septembre sur le site
de Gush Shalom.
Traduit de l’anglais "It Can Happen Here !" pour l’AFPS : FL