Une provocation détourne l’attention, occupe
les gros titres, crée l’illusion de la puissance, donne
l’impression que l’on mène le jeu.
Mais une provocation est un instrument
dangereux. Elle peut provoquer des dégâts irréversibles.
PROVOCATION N°1 : La frontière nord.
Le long de la frontière nord, il y a une clôture.
Mais celle-ci ne coïncide pas exactement avec la frontière
reconnue (appelée Ligne bleue). Pour des raisons
topographiques, des sections de la barrière passent à quelques
dizaines de mètres au sud.
Telle est la situation en théorie. Au cours des
années, les deux côtés ont pris l’habitude de considérer
la clôture comme la frontière. Côté libanais, les villageois
cultivent les champs jusqu’à la barrière, champs qui peuvent
bien leur appartenir.
Maintenant, Ehoud Olmert a décidé de tirer
profit de la situation et de s’affirmer comme un grand et
invincible guerrier. Des explosifs récemment trouvés à
quelques mètres de la Ligne bleue servent de prétexte. L’armée
israélienne affirme qu’ils ont été mis là il y a quelques
jours à peine par des combattants du Hezbollah déguisés en
chevriers. Selon le Hezbollah, ce sont de vieilles bombes qui se
trouvent là depuis avant la dernière guerre.
Olmert envoya des soldats au-delà de la clôture
pour ouvrir une « Hissuf » (« zone
d’exposition ») - un de ces nouveaux mots hébreu inventés
par le service de « blanchiment de la langue » de
l’armée pour embellir les choses laides. Cela signifie le déracinement
de tous les arbres, afin de dégager la vue et de faciliter les
tirs. L’armée a utilisé l’arme qui est la marque de
fabrique de l’Etat d’Israël : le bulldozer blindé.
L’armée libanaise a prévenu qu’elle
ouvrirait le feu. Quand il s’est avéré que cet avertissement
n’avait aucun effet, elle tira vraiment plusieurs salves
au-dessus de la tête des soldats israéliens. L’armée israélienne
riposta par plusieurs obus de chars sur la position libanaise.
Et voilà, nous avons notre « incident ».
Toute cette affaire rappelle beaucoup les méthodes
d’Ariel Sharon dans les années 60, quand il était chef des
opérations du commandement nord. Sharon est devenu expert en
provocations de l’armée syrienne dans les zones démilitarisées
qui existaient sur la frontière entre les deux pays à l’époque.
Israël revendiquait la souveraineté sur ces zones, alors que
les Syriens affirmaient qu’elles constituaient une zone neutre
n’appartenant à aucun des deux Etats et dans laquelle les
fermiers arabes, qui possédaient la terre, avaient le droit de
cultiver leurs champs.
Selon la légende, les Syriens ont mis à profit
leur contrôle sur les hauteurs surplombant les villages israéliens
dans la vallée. Sans arrêt, les méchants Syriens (les Syriens
étaient toujours « méchants ») terrorisaient par
des tirs d’obus les pauvres habitants des kibboutz sans défense.
Ce mythe, auquel croyaient pratiquement tous les Israéliens à
l’époque, a servi à justifier l’occupation des hauteurs du
Golan et leur annexion par Israël. Encore aujourd’hui, les
visiteurs étrangers sont conduits à un poste d’observation
sur les hauteurs du Golan et on leur montre les kibboutz sans défense
en contrebas.
La vérité, qui a été dévoilée depuis lors,
est quelque peu différente : Sharon avait l’habitude
d’ordonner aux habitants des kibboutz de descendre dans leurs
abris, et il envoyait un tracteur blindé dans la zone démilitarisée.
Comme prévu, les Syriens tiraient sur lui. L’artillerie israélienne,
qui n’attendait que ce signal, ouvrait azlors un bombardement
massif sur les positions syriennes. Il y a eu des dizaines de
tels « incidents ».
Maintenant, la même méthode est en train d’être
pratiquée par le successeur de Sharon. Des soldats et des
bulldozers entrent dans la zone, les Libanais tirent, les chars
israéliens les bombardent.
Cette provocation a-t-elle un sens politique ?
Car enfin, l’armée libanaise riposte au nom de Fouad Siniora,
le chouchou des Etats-Unis et l’adversaire du Hezbollah. Au
lendemain de la seconde guerre du Liban, cette armée fut déployée
le long de la frontière, à la demande expresse du gouvernement
israélien, et cela fut annoncé par Olmert comme un énorme résultat
israélien. (Jusqu’alors, les commandants de l’armée israélienne
étaient vigoureusement opposés à l’idée de faire
stationner des troupes libanaises ou internationales dans cette
zone, sur des terrains où cela pourrait contrarier leur liberté
d’action).
Alors, quel est le but de cette provocation ?
Le même que dans toutes les actions récentes d’Olmert :
gagner en popularité pour survivre au pouvoir, dans ce cas en
créant des tensions.
PROVOCATION N°2 : Le Mont du Temple.
L’Islam a trois villes saintes. La Mecque, Médine
et Jérusalem. A La Mecque cette semaine, les chefs du Fatah et
du Hamas se sont réunis pour mettre fin aux tueries et pour
mettre en place un gouvernement d’union. Pendant que
l’attention de l’opinion palestinienne concernée était
captivée par cet événement, Olmert frappait Jérusalem.
La « Porte des Maghrébins » servit
de prétexte. C’est une entrée pour le Haram al-Sharif (« le
Grand sanctueaire »), vaste place où se trouvent la mosquée
al-Aqsa et le Dôme du rocher. Comme cette porte est plus haute
que la zone du Mur occidental en-dessous, on ne peut
l’approcher qu’en passant sur un pont incliné ou une
passerelle.
Le vieux pont s’est écroulé il y a quelque
temps. Il a été remplacé par une structure provisoire.
Aujourd’hui l’« Autorité des Antiquités israéliennes »
est en train de détrruire le pont provisoire pour mettre à sa
place - c’est du moins ce qui est dit - un pont permanent.
Mais le travail semble beaucoup plus conséquent.
Comme on pouvait s’y attendre, des échauffourées
se sont immédiatement produites. En 1967, Israël a annexé
formellement ce lieu et revendiqué sa souveraineté sur
l’ensemble du Mont du Temple. Les Arabes (et le monde dans son
ensemble) n’ont jamais reconnu cette annexion. Dans la
pratique, le Mont du Temps est géré par le Waqf islamique
(fondation religieuse).
Le gouvernement israélien prétend que le pont
ne fait pas partie du Mont du Temple. Les Musulmans affirment
que le pont en fait partie. Derrière cette bataille, il y a un
vague soupçon arabe que l’installation du nouveau pont
n’est qu’une couverture et qu’il y a quelque chose en
dessous.
A la conférence de Camp David en 2000, les Israéliens
ont fait une proposition qui semblait bizarre : laisser la
zone elle-même aux Musulmans mais avec une souveraineté israélienne
sur le sous-sol. Cela a renforcé la croyance des musulmans que
les Israéliens avaient l’intention de creuser sous le Mont,
afin d’y retrouver des traces du temple juif détruit par les
Romains il y a 1.936 ans. Certains croient que la véritable
intention était de provoquer l’écroulement des Lieux Saints
islamiques afin d’ y construire à leur place un nouveau
temple.
Ces soupçons sont entretenus par le fait que la
plupart des archéologues israéliens ont toujours été les
serviteurs loyaux de la propagande officielle. Depuis l’émergence
du sionisme moderne, ils se sont engagés dans une entreprise désespérée
pour « trouver » la preuve archéologique de la vérité
historique des histoires de l’Ancien Testament. Jusqu’à
maintenant, ils sont bredouilles : il n’existe aucune
preuve archéologique de l’exode d’Egypte, de la conquête
de Canaan et des Royaume de Saul, David et Salomon. Mais dans
leur impérieux désir de prouver l’improuvable (parce que
dans l’opinion de la grande majorité des archéologues et du
historiens hors d’Israël - et aussi de quelques-uns en Israël
- les histoires de l’Ancien testament ne sont que des mythes
sacrés), les archéologues ont détruit de nombreuses strates
des autres périodes.
Mais cela n’est pas le plus important. On peut
discuter à l’infini sur la responsabilité sur le sentier des
Maghrébins ou sur ce que les archéologues cherchent. Mais il
n’y a pas de doute que ceci est une provocation. Elle a été
conduite comme une opération militaire surprise, sans
consultation avec l’autre partie.
Personne ne pouvait mieux qu’Olmert savoir à
quoi s’attendre. Celui-ci, en tant que maire de Jérusalem,
fut responsable de la mort de 85 êtres humains - 69
Palestiniens et 16 Israéliens - dans une provocation semblable
quand il a « ouvert » un tunnel près du Mont du
Temple. Et tout le monde se souvient, bien sûr, que la seconde
Intifada a commencé avec la « visite » provocatrice
au Mont du Temple d’Ariel Sharon.
C’est une provocation contre 1,3 milliard de
musulmans, et particulièrement contre le monde arabe. C’est
un coup de poignard dans le dos du « modéré »
Mahmoud Abbas, avec lequel Olmert prétend être prêt à avoir
un « dialogue » - et ceci au moment même où Abbas
est parvenu à un accord historique avec le Hamas pour la
formation d’un gouvernement d’union nationale. C’est aussi
un coup de poignard dans le dos du roi de Jordanie, allié d’Israël,
qui se considère comme le protecteur traditionnel du Mont du
Temple.
Dans quel but ? Pour prouver qu’Olmert
est un dirigeant fort, le héros du Mont du Temple, le défenseur
des valeurs nationales, qui n’a rien à faire de l’opinion
publique mondiale.
PROVOCATION N° 3 : Après la
condamnation d’Haïm Ramon pour conduite indécente, le poste
de ministre de la Justice est devenu vacant. Par surprise, après
avoir créé la confusion en dévoilant les noms des candidats
acceptables, Olmert a nommé à ce poste un professeur qui est
l’ennemi ouvert et déclaré de la Cour suprême et de
l’avocat général.
La Cour suprême est presque la seule
institution gouvernementale en Israël qui jouisse encore de la
confiance de la grande majorité de la population. Le dernier président
de la Cour, Aharon Barak, m’a dit un jour : « Nous
n’avons pas de troupes. Notre pouvoir n’est basé que sur la
confiance des gens. » Aujourd’hui, Olmert a nommé un
ministre de la Justice engagé depuis longtemps et très
visiblement, à détruire cette confiance. Il semble vraiment
que ce soit son seul intérêt dans la vie, surtout depuis
qu’il n’a pas réussi à faire nommer à la Cour Suprême
une professeure, amie proche.
On peut percevoir dans tout ceci la volonté
d’Olmert, politicien qui traîne derrière lui toute une série
d’affaires de corruption (dont plusieurs sont actuellement en
cours d’enquête de la police et des contrôleurs d’Etat) de
mettre les bâtons dans les roues aux enquêteurs, à l’avocat
général et aux tribunaux. Cette provocation sert également à
se venger du tribunal qui a osé condamner Ramon, son ami et
allié. Olmert n’a bien sûr pas consulté qui que ce soit
dans le système judiaire, ni l’avocat général (dont le
titre officiel est « conseiller juridique du gouvernement »)
ni le président de la Cour suprême, Dorit Beinish, qu’il ne
peut pas supporter.
Je ne suis pas un admirateur béat de la Cour
suprême. C’est un rouage dans la machinerie de
l’occupation. On ne peut pas compter sur elle pour les
questions comme les assassinats ciblés, le mur de séparation,
la démolition de maisons palestiniennes et les mille et un
autres cas sur lesquels flotte la fausse bannière de la
« sécurité ». Mais elle est le dernier bastion des
droits de l’homme à l’intérieur d’Israël même.
La nomination du nouveau ministre est un coup
porté à la démocratie israélienne, et donc pas moins
dangereuse que les deux autres provocations.
QU’EST-CE LES TROIS provocations ont en commun ?
Tout d’abord : leur caractère unilatéral. Quarante ans
d’occupation ont créé une mentalité d’occupation qui détruit
tout désir et toute possibilité de résoudre les problèmes
par compréhension mutuelle, dialogue et compromis.
Tant dans les affaires étrangères qu’à
l’intérieur, les méthodes de la mafia règnent :
violence, coups fourrés, éliminations.
Quand ces méthodes sont utilisées par un
politicien hanté par les affaires de corruption, un belliciste
invétéré qui se bat par tous les moyens possibles pour
survivre, c’est vraiment une situation très dangereuse.
publié en hébreu et en anglais le 11 février 2007 sur le site
de Gush Shalom - Traduit de l’anglais « The Method
in the Madness » : RM/SW