Le débat indirect
Ahmadinejad-Obama Thierry Meyssan
Pour Mahmoud Ahmadinejad, les
Etats-Uniens et les Iraniens devraient s’unir contre
le système de domination mondiale incarné par Washington,
Londres et Tel-Aviv.
Beyrouth, le lundi 26 septembre 2010
Le discours de M. Ahmadinejad à l’ONU a donné lieu à une
vaste campagne de désinformation en Occident et à une prompte
réponse de M. Obama en direction du peuple iranien. Au-delà des
dépêches d’agence biaisées et en s’appuyant sur les textes
originaux, Thierry Meyssan expose les vrais enjeux du débat
indirect qui oppose les deux chefs d’Etat.
Les présidents iranien et états-unien viennent de se livrer à
une inhabituelle joute verbale qui a été relatée de manière
fragmentaire et déformée par les médias occidentaux. Mahmoud
Ahmadinejad s’est exprimé le 23 septembre 2010 dans l’après-midi
à la tribune de l’Assemblée générale des Nations Unies [1].
Barack Obama lui a répondu le lendemain matin au micro de la
télévision BBC en persan [2].
Ces deux interventions forment un ensemble qui illustre le
changement de stratégie de part et d’autre. Il ne s’agit plus de
se poser en champions de deux camps opposés, de deux visions du
monde, en s’invectivant, mais d’appeler les populations
respectives à la révolution..
Il y a un an, Washington espérait pouvoir renverser
l’administration Ahmadinejad en manipulant des foules dans une
énième édition des prétendues révolutions colorées [3].
L’opération, conduite à l’occasion de l’élection présidentielle
de 2009, a échoué. Elle a cependant permis de fixer dans
l’imaginaire occidental une représentation fantasmagorique de
l’Iran qui serait une dictature. Dans le pays, elle a eu l’effet
inverse de celui escompté. Les électeurs de l’opposition ont été
massivement surpris et indignés par la mauvaise foi de leur
candidat et sa volonté de prendre le pouvoir par la rue à défaut
d’y arriver par les urnes. Quant au vainqueur de l’élection, il
a perdu son goût du compromis et décidé de raviver la Révolution
islamique dans sa radicalité. Le fossé entre les classes
populaires et la haute bourgeoisie commerçante s’est creusé. La
CIA et la NED planifient de nouvelles actions, mais il ne s’agit
plus dans l’immédiat de renverser le régime, juste de le
déstabiliser pour l’affaiblir au plan international.
De son côté, Téhéran n’avait jamais envisagé de porter le fer
aux Etats-Unis. Pendant longtemps, ils ont été considérés comme
un bloc, une puissance coloniale alliée et successeur de
l’Empire britannique, un Grand Satan protégeant les crimes
israéliens. Aujourd’hui, l’administration Ahmadinejad a noué des
liens avec des intellectuels et des artistes dissidents. A ses
yeux, les Etats-Uniens sont des gens de bonne volonté qui
prennent lentement conscience d’être gouvernés par des tyrans. A
terme, des révoltes sont prévisibles qu’elles prennent une forme
révolutionnaire ou sécessionniste. La Révolution islamique doit
s’allier avec les dissidents actuels pour combattre avec eux le
système dominant.
C’est là qu’intervient le discours de Mahmoud Ahmadinejad. Il
y a d’abord récusé la théorie du choc des civilisations, énoncée
par Bernard Lewis et popularisée par Samuel Huntington [4].
Pour ces penseurs, ce choc est inévitable. Les Occidentaux n’ont
d’autre choix que de s’y préparer militairement afin de tuer
plutôt que d’être tués. Pour le président iranien, ceci est
absurde. A l’heure de la globalisation, le développement des
échanges commerciaux et culturels permet aux gens de se
découvrir et de s’apprécier mutuellement. Quant aux juifs, aux
chrétiens et aux musulmans, leur foi commune dans le Dieu unique
doit les conduire à établir des relations harmonieuses.
Cependant, pour M. Ahmadinejad, si le choc des civilisations est
une idéologie artificiellement promue par le mouvement sioniste
afin de diviser le monde et de le dominer, il existe bien un
conflit qui traverse l’humanité : celui qui oppose les valeurs
matérielles du capitalisme et de la société de consommation aux
valeurs spirituelles de la Révolution que sont la justice et
l’héroïsme. Ceci étant posé, l’ennemi n’est pas l’Occident, mais
le matérialisme dont les Occidentaux sont atteints et qui
contamine le reste du monde.
Le système de domination actuel s’inscrit dans le
prolongement de l’esclavagisme, du colonialisme et de
l’impérialisme. Il est mis en œuvre par un groupe transnational
qui s’appuie principalement sur le Royaume-Uni, les Etats-Unis
et Israël pour parvenir à ses fins. Compte tenu de la
supériorité militaire de ces Etats par rapport à tous les autres
Etats du monde réunis, il serait illusoire d’espérer le vaincre
par les armes. Mais sachant qu’il utilise les Britanniques, les
Etats-Uniens et les Israéliens souvent à leur détriment, il est
possible de s’allier avec ces peuples contre ce système de
domination. De même que Marx imaginait unir les prolétaires de
tous les pays contre l’exploitation capitaliste, Ahmadinejad
pense possible d’unir les opprimés contre le sionisme. Dans
cette perspective, des efforts doivent être entrepris pour
montrer aux Etats-uniens qu’ils sont eux aussi les victimes d’un
système dont ils croient à tort profiter.
S’adressant à l’Assemblée générale, le président Ahmadinejad
à demandé la création d’une commission d’enquête internationale
sur les attentats du 11-Septembre.
Pour les Etats membres de l’ONU, il a développé l’argument de la
compétence. La réponse qui a été apportée unilatéralement par
les Etats-Unis à ces attentats a mis le Proche-Orient élargi à
feu et à sang sans résoudre le problème du terrorisme. Pour être
efficace, il aurait fallu, il y a neuf ans, créer cette
commission d’enquête, analyser ses résultats au sein de l’ONU et
convenir à l’échelle internationale d’une stratégie
antiterroriste. Il n’est jamais trop tard pour bien faire, les
Nations unies doivent reprendre leur prérogative pour vaincre le
terrorisme et parvenir à la paix.
Pour le public états-unien, M. Ahmadinejad, s’appuyant sur un
sondage récent, a évoqué les trois hypothèses les plus
fréquemment citées. Primo, les attentats sont le fait d’un
puissant groupe étranger ; secundo, ils ont été ourdis par des
éléments internes ; tertio, ils ont été réalisé par un groupe
étranger, mais ont bénéficié de la passive complicité d’éléments
internes.
Contrairement au discours ambiant, il n’a pas évoqué le fait
qu’Oussama Ben Laden se soit présenté comme islamiste, mais le
fait que lui et sa famille ont des affaires communes avec les
Bush. Des informations que j’avais révélé en octobre 2001 dans
le principal hebdomadaire politique hispanophone d’Amérique du
Nord, Proceso et qui avaient été reprises au Congrès par
la représentante Cynthia McKiney.
Cette présentation vise à recadrer le débat : le problème n’est
pas le choc entre l’islam et l’Occident, mais la domination du
monde par une clique incluant les Bush et Oussama Ben Laden.
Au cours de cet exposé, l’ambassadeur des Etats-Unis s’est
levé et a quitté l’Assemblée générale. A sa demande ou sur son
ordre, les ambassadeurs de plusieurs Etats alliés ont fait de
même.
L’habituelle machine de propagande s’est attachée à déformer
et à minimiser les propos de Mahmoud Ahmadinejad. Les médias
atlantistes se sont efforcés de faire accroire que le président
iranien aurait insulté les victimes du 11-Septembre, à New York
même, en prétendant que les Etats-uniens ne sont pas des
victimes, mais des coupables. Il suffit de se reporter au texte
du discours pour vérifier la manipulation. Or, dans ce document,
M. Ahmadinejad exprime sa désolation pour les victimes. Il place
immédiatement au même niveau les centaines de milliers de morts,
de blessés et de déplacés de la guerre au terrorisme. Il
s’applique à considérer que les souffrances des uns sont égales
aux souffrances des autres. Ce qui revient une nouvelle fois à
affirmer que le choc des civilisations est un leurre et que nous
sommes tous victimes du même système.
Le Conseil de sécurité nationale des Etats-Unis s’étant
réunis d’urgence, il a été décidé que Barack Obama s’adresserait
au plus vite aux Iraniens et les appelleraient à l’insurrection
pour dissuader Téhéran de poursuivre son offensive.
Une interview a été organisée sur la chaîne de télévision de
la BBC en persan, qui dispose d’une plus grande audience en Iran
que les chaînes états-uniennes en persan. Techniquement, cette
tache revient au Conseiller de sécurité nationale adjoint chargé
des communications stratégiques, Ben Rhodes. Il se trouve que
M. Rhodes est la personne qui a rédigé le rapport de la
Commission présidentielle Kean-Hamilton sur le 11-Septembre. A
ce titre, c’est lui qui a gravé dans le marbre la théorie du
complot islamiste avec ses 19 kamikazes et son Ben Laden
sardonique caché dans une grotte afghane.
Le président Obama a été interrogé par Bahman Kalbasi, un
journaliste iranien qui prétend avoir fuit son pays en 2001 pour
échapper à la dictature et qui a néanmoins pu librement
retourner sur place pour y réaliser des documentaires.
D’entrée de jeu M. Kabalsi a demandé au président Obama de
commenter les propos de son homologue iranien sur le
11-Septembre. Il répondit : « C’était choquant. C’était haineux.
Et qu’il ait fait ces déclarations ici à Manhattan, juste au
nord de Ground Zero, où des familles ont perdu leurs proches...
des gens de toutes les religions, de toutes les origines voient
ces attentats comme la tragédie essentielle de cette génération.
Pour lui, qu’il ait fait de telles déclarations était
inexcusable ».
Les Iraniens auront beau relire le discours de
M. Ahmadinejad, ils ne trouveront rien de choquant, ni de
haineux. Aucune provocation, que des questions légitimes. Peu
importe, M. Obama poursuit en établissant une distinction entre
la réaction émotionnelle des Iraniens au lendemain du
11-Septembre, faite comme partout de compassion pour les
victimes, et celle du « régime ».
Dans le reste de l’entretien, il explique que la politique de
l’administration Ahmadinejad est une impasse. Selon lui, elle ne
peut pas porter de fruit et suscite des sanctions dont les
Iraniens subissent et subiront les dures conséquences dans leur
vie quotidienne. Il développe cette logique dans plusieurs
domaines et conclut sur la question palestinienne. Il assure là
encore, que le radicalisme ne mène nulle part, et que la paix
là-bas passe par un compromis avec Israël.
Cette interview est une mise en garde non voilée à
l’intention de Téhéran : ne vous avisez pas de semer le trouble
dans la population états-unienne ou nous le ferons chez vous
aussi. Elle s’appuie sur l’idée que les Iraniens désavoueront
une politique pour laquelle ils payent un prix fort sans rien
recevoir pour le moment en retour. Elle annonce une nouvelle
opération de déstabilisation à l’occasion des réformes
économiques. Pour éviter l’asphyxie, l’Iran soumis à un embargo
onusien et à des embargos unilatéraux doit renoncer à ses prix
subventionnés et libéraliser son marché intérieur. Cette
adaptation brutale ne manquera pas de faire des mécontents.
Washington entend les coaliser contre le gouvernement autour de
Mir Hossein Moussavi.
Toutefois ce projet doit s’affranchir de plusieurs obstacles.
En premier lieu, les mécontents de la réforme économique peuvent
douter de la capacité de M. Moussavi à les représenter. Il avait
en effet défendu le principe d’une économie libérale à
l’américaine durant sa campagne électorale. Il paraît donc mal
placé pour s’opposer de manière crédible à une libéralisation du
marché intérieur. Deuxièmement, l’argument du prix trop lourd
d’une politique radicale a peu de chances de porter en Iran, un
Etat révolutionnaire où, depuis 32 ans, on cultive l’héroïsme.
Il peut même paraître insultant à beaucoup.
Enfin le choix de donner cet entretien à la BBC en persan est
maladroit. Invité de M. Talebzadeh dans Secrets, la
principale émission politique du pays, à l’occasion des
commémorations du 11-Septembre, j’avais exposé la nécessité
d’une commission d’enquête des Nations Unies et j’avais abordé
l’implication de la BBC dans le complot du 11-Septembre. On se
souvient que ce jour-là la Tour 7 du World Trade Center, dite
Tour des Salomon Brothers, s’est effondrée dans l’après-midi
sans avoir été heurtée par un avion. Pour éviter que cette
événement ne conduise les gens à se poser des questions plus
larges sur l’effondrement des Tours jumelles, les comploteurs
avaient imposé une explication immédiate. En s’effondrant les
Tours jumelles auraient fait trembler le sol et fragilisé les
fondations de la 7. Pour s’assurer que cette version soit
reprise, les comploteurs la diffusèrent via la BBC avant même la
chute de la Tour 7.
Sur cette vidéo, on voit la reporter de la BBC témoigner
avoir assisté à l’effondrement, alors que l’on aperçoit dans son
dos le bâtiment intact qui ne tombera que 12 minutes plus tard.
La télévision publique britannique est donc partie intégrante du
complot et a mené une opération de désinformation caractérisée.
Notons au passage que ceci implique une responsabilité du
Royaume-Uni en tant qu’Etat dans les attentats perpétrés aux
Etats-Unis.
En résumé, le président de la République islamique d’Iran a
déclaré au monde en général et aux Etats-uniens en particulier
que les morts du 11-Septembre ne sont pas des victimes de
l’islam. Il a souhaité une commission d’enquête internationale
dont les résultats sont susceptibles de montrer que les morts US
comme les morts du Proche-Orient sont également victimes du
système de domination mondiale.
De son côté, le président des Etats-Unis s’est adressé aux
Iraniens sur une chaine dont les dirigeants ont participé à
l’organisation du 11-Septembre pour leur suggérer de ne pas
poser de questions sur ces attentats, faute de quoi ils auraient
de nouvelles sanctions à endurer.
En définitive, la vivacité de la réaction de Washington
révèle sa faiblesse. Si l’on a choisi de faire monter d’urgence
au créneau le président Obama, c’est qu’il y a péril en la
demeure. 74 % des Etats-uniens pensent que des éléments de
l’administration ont perpétré le 11-Septembre ou l’ont laissé
perpétrer. Pourtant ils ne se révoltent pas contre des autorités
qu’ils rendent responsables de la mort de prés de 3 000 de leurs
concitoyens. C’est que, jusqu’à présent, ils sont persuadés que
des fanatiques de la sécurité nationale peuvent entreprendre des
crimes contre la population lorsqu’ils les imaginent utiles à la
grandeur du pays. Or, ce que le président Mahmoud Ahmadinejad
suggère, c’est au contraire que les comploteurs ont agi dans
l’intérêt d’un groupe transnational au détriment des intérêts
des Etats-uniens, lesquels sont juste considérés comme de la
chair à canon destinée à agoniser sur les champs de bataille du
Proche-Orient élargi. Cette idée met en danger le système de
domination mondiale car elle est susceptible de réveiller la
conscience du peuple états-unien et de le pousser à la révolte.
Thierry Meyssan, Analyste politique
français, président-fondateur du
Réseau Voltaire et de la conférence
Axis for
Peace. Il publie chaque semaine des chroniques de politique
étrangère dans la presse arabe et russe. Dernier ouvrage
publié :
L’Effroyable imposture 2, éd. JP Bertand (2007).
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