|
Affaires Stratégiques
La future politique américaine au
Moyen-Orient : plus ça change, ...
Thierry Coville
Thierry Coville - Photo IRIS
Jeudi 18 décembre 2008
Dennis Ross, qui fut l’envoyé spécial de Bill Clinton au Moyen
Orient entre 1998 et 2000 et qui fait partie du premier cercle
des collaborateurs du président élu Barack Obama, est intervenu
à Paris le 15 décembre à l’invitation de Foreign
Policy Edition Française à Paris. Il est d’ailleurs probable
que Dennis Ross intègre l’équipe des conseillers du nouveau
président américain et qu’il soit en charge de mettre en œuvre
des éléments décisifs de cette nouvelle politique. Il a
toutefois déclaré que rien n’avait été encore décidé à ce sujet.
Son intervention a porté sur les grandes lignes de la future
politique américaine au Moyen-Orient. Denis Ross a tout d’abord
insisté sur la nécessité de mener une politique basée sur les
réalités du terrain. Sur l’Irak, il a insisté sur la nécessité
de discuter avec les voisins de ce pays pour les impliquer.
Toutefois, l’essentiel de son intervention a porté sur l’Iran.
L’idée, a-t-il souligné, est de changer la dynamique en cours en
discutant directement avec l’Iran. Toutefois, il a aussi signalé
que contrairement à la politique de George W. Bush, qui avait
utilisé, selon ses dires, « a weak carrot and a
weak stick », la nouvelle administration américaine
parlerait avec l’Iran avec « a big carrot and a
big stick ». Denis Ross a d’ailleurs particulièrement
insisté sur les difficultés économiques actuelles de l’Iran
(émeutes suites au rationnement de l’essence, grève du bazar
suite à la décision gouvernementale d’imposer une TVA, pannes
d’électricité ces derniers mois, inflation réelle plus élevée
que les 30 % annoncés, etc.). Denis Ross a donc surtout insisté
sur les possibilités qu’il voyait d’imposer des sanctions
économiques plus sévères sur l’Iran.
Par la suite, lui fut posée la question à
savoir ce qu’il pensait de la possible volonté des Iraniens
d’atteindre juste un « seuil » technologique en matière de
nucléaire, comme le Japon, qui leur permette de fabriquer
rapidement une bombe. Denis Ross a alors répondu que cette
éventualité était également inacceptable car elle changerait
également l’ensemble des rapports de force dans le proche et le
Moyen-Orient. Aux questions : est-ce que cette politique de
sanctions n’est pas d’avance vouée à l’échec car
l’enrichissement de l’uranium en Iran est devenu une cause
nationale et une large partie de la population est prête à faire
les sacrifices nécessaires ? pourquoi ne pas prendre en
considération qu’il est rationnel pour l’Iran, comme pour tout
pays pétrolier ou gazier, de développer une industrie nucléaire
civile qui lui permette d’économiser ses réserves de pétrole et
de gaz ?, Denis Ross a répondu qu’il trouvait tout à fait
rationnel qu’un pays comme l’Iran veuille développer une
industrie nucléaire en rappelant que les Etats-Unis viennent de
conclure un accord de partenariat dans ce domaine avec les
Emirats Arabes Unis. Cependant, il a également déclaré que les
Etats-Unis n’arriveraient à aucun résultat avec l’Iran s’ils
discutaient avec ces derniers sans moyen de pression. Il a
également évoqué l’attitude de l’Iran vis-à-vis d’Israël pour
justifier cette position.
En conclusion, cette intervention de Denis
Ross laisse perplexe. On ne peut que saluer l’intention de la
nouvelle administration américaine de vouloir négocier
directement avec l’Iran. Toutefois, la volonté également
réaffirmée des Etats-Unis que l’Iran arrête d’enrichir l’uranium
ne semble pas en phase avec une réalité iranienne où le régime,
soutenu par une large majorité de la population, ne veut pas
revenir sur ce qu’il considère comme un droit absolu. Par
ailleurs, il est aussi assez irréaliste de considérer que des
pressions économiques plus élevées feront plier le régime. En
outre, les spécialistes de la négociation savent que l’on ne
négocie pas en montrant la carotte et le bâton. Une explication
de cette absence de rupture avec la politique de
l’administration précédente peut être liée à la volonté de
l’équipe d’Obama de ne pas opérer un virage à 180 ° par rapport
à la politique antérieure. Or, ces considérations, liées sans
doute à des questions de politique intérieure américaine,
pourraient conduire à un échec de cette stratégie de « big
carrot and big stick ». Et là, les options seront vraiment
limitées …
Thierry Coville, chercheur
associé à l'IRIS.
Tous les droits des auteurs des Œuvres
protégées reproduites et communiquées sur ce site, sont
réservés.
Publié le 19 décembre avec l'aimable autorisation de l'IRIS.
|