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Sakineh, les Roms, le Pakistan...
Tariq Ramadan
Tariq Ramadan
Mardi 31 août 2010
Sakineh...
Cela fait plus de
quinze ans que je demande que l’on cesse l’application des
peines dites "islamiques" dans les pays majoritairement
musulmans ; que ce soit les châtiments corporels, la peine
de mort ou la lapidation. J’ai appelé à ouvrir un débat
interne sur les textes, les conditions de leur application
et les réalités du contexte social qu’il fallait
nécessairement prendre en compte. J’ai appelé à un moratoire
général permettant un débat de fond dans le monde
majoritairement musulman. Certains à travers le monde (et
dans de nombreux pays musulmans, notamment des ulamâ,
des intellectuels et des croyants ordinaires) l’ont compris
et ont soutenu cette démarche ; d’autres s’en sont moqué et
sont allés jusqu’à exprimer leur rejet, "horrifiés et
scandalisés" par une telle proposition. Le Président
Sarkozy, Bernard-Henri Levy et consorts étaient parmi les
plus médiatiquement indignés.
Je m’oppose et je condamne l’application de ces peines dans
les sociétés contemporaines que ce soit dans les
pétromonarchies, en Iran ou dans les pays plus pauvres du
Moyen-Orient, d’Afrique ou d’Asie. Ces applications
contreviennent, au nom même de l’islam, à la justice, à la
dignité et aux droits des personnes dans des sociétés où, au
demeurant, le système judiciaire n’est pas transparent, pour
ne pas dire clairement corrompu, et où les peines sont
souvent le fruit d’instrumentalisation de la religion soit à
des fins internes, soit pour se démarquer de l’Occident. Je
m’oppose donc, et je condamne naturellement, l’application
de la lapidation contre Sakineh Mohammadi Ashtiani. Ce ne
peut pas être, ce ne doit pas être.
Je ne signerai pourtant pas la pétition lancée à
l’initiative de quelques intellectuels français. Je ne doute
pas de la sincérité de la majorité des signataires mais il
est question de ne pas être dupe des intentions et du jeu
des principaux initiateurs, à l’instar de Bernard Henri
Lévy, de Marek Halter, voire même l’inénarrable pantin Sihem
Habchi de Ni Putes ni Soumises, et de quelques
autres encore... Maîtresses et maîtres des dénonciations
sélectives et autres mises en scène médiatiques afin de se
mettre du bon côté des sentiments et de faire oublier leurs
silences complices en d’autres circonstances : c’est l’Iran
qu’il faut attaquer (le grand ennemi, et notamment
d’Israël...) et non les richissimes pétromonarchies amies
(où l’on tue et lapide dans un silence complice). Point non
plus de pétition pour les innocents de Gaza, point de
pétition pour les pacifistes de la flottille de la paix. Ces
mises en scène et ces condamnations sélectives et
instrumentalisées sont simplement écoeurantes !
...Les Roms...
Ecoeurante
également cette décision "légale" de renvoyer les Roms...
avec, apparemment, l’assentiment d’une majorité de Français.
Autre manoeuvre politicienne d’un Président de la République
qui perdant du crédit à droite, au centre et à gauche va
clairement glaner des voix à l’extrême de la droite avec des
discours et des politiques populistes et dangereuses.
Hier, le Président français nous apprenait qu’il fallait
désormais différencier entre "citoyens" et "citoyens", entre
les citoyens "de souche" et les autres à qui l’on pourra
retirer la nationalité. Avec l’assentiment d’une majorité de
Français encore ! Voici revenir le temps de la distinction
de l’appartenance et de la citoyenneté "au faciès"... des
Français plus français que d’autres, des Français à
examiner, potentiellement "en examen"...des Français pas
tout à fait français. Jean-Marie le Pen a beau jeu de
rappeler une vérité implacable : le Président annonce une
politique que l’extrême droite appelle de ses voeux depuis
quarante ans.
La France va mal.
La France fait peur. Il est heureux, et si encourageant, de
voir des politiciens et des intellectuels crier à la honte
et aux déshonneurs. Il est heureux, et encourageant encore,
de voir la hiérarchie de l’Eglise catholique, et certains de
l’Eglise réformée, protester contre ces politiques
d’exclusion et de renvoi massif et très fermement condamner
les dérives de l’action gouvernementale vis-à-vis des Roms.
A ces évêques, à ces prêtres, à ces femmes et à ces hommes,
connus ou anonymes, nous disons : Vous êtes la fierté et la
dignité de votre pays et les gardiens de sa conscience,
contemporaine et historique.
Mais où sont donc
passées les leaders et les représentants des associations
musulmanes, et ceux des associations promouvant la diversité
culturelle ? Pourquoi n’entend-on pas leurs condamnations,
leurs critiques et pourquoi ne les voit-on pas soutenir les
roms dans le respect et la reconnaissance ? Comment se
peut-il que des citoyens français, avec une conscience et
une origine, et/ou avec une religion, et/ou avec une
éthique, se taisent devant des politiques inhumaines et
indignes ? Quelle peur les habite qu’ils n’osent ainsi
dénoncer l’inacceptable ? Quelle réduction de l’intelligence
les fait-elle réagir en tant que arabes, noirs ou musulmans
uniquement lorsqu’il s’agit d’un problème concernant les
Arabes, les Noirs ou l’islam ? Ce silence n’est pas
honorable, ce silence est déshonorant !
... Le Pakistan
Des inondations,
des glissements de terrain... la mort, l’exil, les refuges.
Des images de désolation, d’horreurs, de tristesse... Des
dizaines de milliers de morts, des millions de sans-abris,
des dizaines de millions de déplacés. Et pourtant le soutien
international a mis du temps à réagir comme s’il y a avait
"un blocage". Les Nations Unies et les ONG internationales
ont dû intervenir à plusieurs reprises pour rappeler
l’ampleur de la catastrophe et mobiliser un soutien
approprié. Nous sommes encore loin du compte.
L’image du
Pakistan n’est point bonne sur la scène internationale.
Associé aux Talibans, à l’extrémisme islamique et à la
violence, le pays peine - au coeur de la catastrophe
naturelle - à émouvoir les consciences occidentales et
internationales. Six ans après le tsunami - qui avait touché
l’Indonésie principalement mais également beaucoup de
touristes occidentaux - et dont les conséquences à long
terme semblent moins graves que ce qui va advenir au
Pakistan, il faut bien constater que la solidarité et
l’engagement humanitaire sont à géométrie variable,
influencés par l’air du temps et la politique émotionnelle
bien plus que par la conscience lucide et universaliste.
Tout se passe comme si certains êtres humains "stéréotypés"
avaient perdu de leur humanité, étaient moins dignes que
d’autres d’être secourus. C’est proprement effrayant et
pourtant si palpable, si vrai, si réel. On pourra critiquer
tous les pouvoirs du monde, tous les médias et la terre
entière, mais au bout du compte la question comme la réponse
résident dans la conscience de chacun. Qu’est-ce qui motive
mes indignations comme mes solidarités ? Mon engagement
comme mes soutiens ? Est-ce mon appartenance sociale,
communautaire, politique ou religieuse ou est-ce la commune
dignité des femmes et des hommes de la planète ? Suis-je
capable de voir, au-delà des couleurs de peau, des origines,
des vêtements et des barbes, l’essence, la valeur comme la
détresse des êtres humains ou suis-je le jouet de ces
solidarités émotionnelles qui catégorisent et valorisent les
victimes à l’aune de leur ressemblance à mon égard ?
Sans catégories ni sélection, avec humanité et
détermination.
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© Tariq Ramadan 2008
Publié le 31 août 2010
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