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Israël, le sens d'un boycott : il s'agit de ne pas nous taire
Tariq Ramadan


Tariq Ramadan

Jeudi 28 février 2008

Depuis des semaines, les médias italiens se sont mobilisés autour de la question du boycott de la Foire du Livre de Turin qui célèbre Israël à l’occasion de son soixantième anniversaire. Nous avons tout entendu, des contre-vérités et des déclarations qui ont semé la confusion sur les termes du débat et les positions respectives.

Je ne suis pas l’initiateur de cet Appel au Boycott et quand j’ai été appelé par un journaliste de l ’Agence ATIC, j’ai effectivement soutenu cette action en affirmant que cette célébration était une provocation, que le silence de la communauté internationale vis-à-vis de la souffrance des Palestiniens était inacceptable et que l’on ne pouvait pas tout accepter de l ’Etat d’Israël (je n’ai jamais dit : qu’ « on ne pouvait rien accepter de l ’Etat d’Israël » : cette mauvaise traduction de la langue arabe est due à l’agence ATIC et qui l’a reconnue). Le boycott ne signifie absolument pas nier l’existence d’Israël : je ne nie pas son existence mais je m’oppose à la politique d’occupation et aux campagnes répressives et inhumaines des gouvernements israéliens successifs. J’ai combattu et je continuerai à combattre l’antisémitisme et toutes formes de racisme : je n’ai de cesse de participer à ces cercles de réflexions et de débats judéo-musulmans mais je n’accepte pas le chantage auquel des politiciens, des intellectuels et certains médias nous soumettent. Confondre la critique de l ’Etat d’Israël et de sa politique avec l’antisémitisme est une imposture. Une injure à la conscience humaine et à la dignité des Palestiniens qui consiste à se mettre aveuglement du côté des plus forts en considérant que la vie des plus faibles n’a pas de valeur et peut être sacrifiée à l’aune de calculs politiciens. La célébration d’un Etat et de son soixantième anniversaire, sauf à nous prendre pour des imbéciles, est éminemment politique. Il ne s’agit pas de nier la liberté d’expression ou la culture des écrivains et des artistes. Leur invitation est bienvenue et j’ai toujours participé à ces débats (il reste néanmoins intéressant de se questionner sur cet étrange oubli quant à l’absence d’invitation aux auteurs israéliens arabes, chrétiens ou musulmans : quelle idée les organisateurs de la Foire se font-ils de la composition citoyenne de la société israélienne ?)

Enfin, on a affirmé que mon soutien s’apparentait à une fatwâ ! Non contents d’avoir déformé ma position et mes propos, voilà que l’on veut y ajouter la frayeur en utilisant le mot «  FATWA ! » qui rappelle la triste histoire de Salman Rushdie dont on a essayé de museler la liberté d’expression. Outre le fait que j’ai condamné dès le début la fatwâ contre Salman Rushdie, il faut dire avec force que ce soutien au boycott n’a rien d’un avis religieux ou d’une opinion islamique légale. Quelle ignorance, quelle manipulation ! En panne d’arguments, mes adversaires veulent me diaboliser : « Tariq Ramadan est un antisémite qui a lancé une fatwâ ! » Un tel propos est mensonger et indigne de gens qui disent respecter la culture et le dialogue.

Le boycott est simplement le moyen que les défenseurs des droits des Palestiniens ont choisi, en Italie, pour faire entendre une voix de protestation dans l’hymne d’une célébration d’Israël qui cache les sombres réalités des territoires occupés. J’ai appris récemment que les organisations de défense des droits des Palestiniens avaient, en France, fait le choix d’un autre moyen, d’une autre attitude : elles ont décidé de s’installer fermement au prochain Salon du Livre (14 au 19 mars ), d’y commémorer les soixante années de l ’autre réalité, de la Nakba (« catastrophe ») des Palestiniens, et d’inviter des intellectuels et des auteurs arabes, palestiniens et israéliens à en parler et à en débattre. J’ai pris connaissance de cette initiative et je la soutiens sans aucune réserve : il s’agit, ici aussi, de défendre la dignité des Palestiniens et de ne pas permettre que la célébration des soixante ans d’Israël puisse faire l’impasse sur le sort des Palestiniens et la politique inhumaine auxquels ils font face.

Boycott à Turin, présence contestatrice à Paris ! Il n’y a rien là de contradictoire. Ce qui compte aujourd’hui, au-delà des moyens et des stratégies employées, est de rompre le silence, de faire entendre des voix qui refusent les manipulations politiques et exigent que la politique des gouvernements israéliens successifs soit jugée comme toutes les autres quand elle est indigne et répressive et qu’elle ne respecte pas les résolutions de l ’ONU et le droit international. Il s’agit de rappeler les soixante années de colonisation, de déplacement de populations, d’exil et de morts palestiniens qui sont le miroir négatif de la célébration d’Israël. Contrairement à ce qu’affirme Marek Halter (Le Monde du 15 février 2008), je n’ai jamais appelé à la destruction de l ’Etat d’Israël et je ne suis l’idéologue d’aucun Etat ni d’aucune organisation dont ce serait le programme. Ces propos sont consternants et surtout tout à fait malhonnêtes.

Je continue de penser que le choix d’Israël comme invité d’honneur, au moment où le peuple palestinien se meurt à Gaza, est au minimum une maladresse et dans les faits une faute. Ce geste soi-disant culturel est exactement à l’image du positionnement politique de l ’Europe et de l ’Occident aujourd’hui : on célèbre Israël, on maintient constamment la confusion entre critique politique et antisémitisme et surtout on fait silence sur la souffrance des Palestiniens. Ce choix « culturel » fait écho au « silence politique » en contribuant à déplacer le problème comme les partisans aveugles de la politique de l’Etat d’Israël savent si bien le faire. Mais il ne s’agit de ne pas se taire ! Au moyen du boycott ou en organisant une autre célébration, un « autre Salon » au cœur du Salon du Livre, l’objectif est le même : rompre le silence ! Qui donc pourrait aujourd’hui nous reprocher d’utiliser tous les moyens pacifiques que nous avons à notre disposition !? Les excès des réactions verbales auxquelles nous avons eu affaire montrent que la violence n’est pas du côté que l’on croit.

Notre silence dans les pays majoritairement musulmans comme en Occident est l’une des causes de la violence au Moyen-Orient ! Nous sommes nombreux, et parmi nous des Israéliens et des juifs, à avoir décidé de ne pas nous taire à l’heure où l’on célèbre l’anniversaire d’un Etat qui pratique les assassinats politiques ciblés et affame tout un peuple. Je participerais sans aucune hésitation à des panels de discussion et de débats avec des auteurs israéliens sur des questions littéraires ou philosophiques ou encore, par exemple, sur le sens et le doit à critiquer Israël. Je serais le premier à répondre à une telle invitation et à encourager les auteurs arabes, palestiniens, chrétiens et musulmans à y répondre positivement. Néanmoins, de toute la force de mon intelligence et de ma conscience je m’opposerais aux manipulations et aux silences politiques quand certains célèbrent de façon festive et que d’autres se meurent en silence et sans dignité

Une version courte de cet article a été publiée dans le Monde du 29 février 2008



Source : Tariq Ramadan  
http://www.tariqramadan.com/...


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