Opinion
A propos de la peine de mort
Tariq Ramadan
Tariq
Ramadan
Dimanche 25 septembre
2011
Tournant son visage en direction de
la famille de la victime, il répéta avec
une calme détermination : “Que Dieu vous
pardonne, je ne l’ai pas tué. ” Troy
Davis patientait dans le couloir de la
mort depuis plus de vingt ans et il n’a
cessé de proclamer son innocence.
C’étaient ses derniers mots à l’adresse
des responsables du système judiciaire
américain et de la société en général :
“Que Dieu vous pardonne, vous tuez
légalement un homme innocent.” Les
nombreuses requêtes pour suspendre
l’exécution et réévaluer le verdict
furent sans effet. Troy Davis, un
Afro-Américain, a été exécuté par
injection létale. Un jour de honte.
Il semblait être le “parfait”
meurtrier du policier blanc de Savannah,
en Géorgie, en 1989. La famille du
policier, aussi bien que le système
judiciaire dans son ensemble, restèrent
aveugle aux évidences de l’innocence de
Davis. Au cours des années, de nombreux
témoins se rétractèrent (expliquant
comment ils avaient subi des pressions
de la police) : aucune vraie preuve
contre l’accusé n’a jamais été ensuite
présentée. Des campagnes internationales
ont été lancées, mais rien ne pouvait
changer la décision du tribunal.
Innocent ou pas, il était trop tard :
Davis devait mourir. Le moment de
l’exécution ne devait rien au hasard :
avant des élections, les politiciens et
le système aiment à montrer qu’ils sont
durs avec la criminalité. Les
préoccupations électorales dictent
l’orientation des affaires liées à la
peine de mort. Un autre condamné a été
tué la même nuit, et trois autres vont
bientôt être exécutés. Quelle farce
cynique, indigne et honteuse. Et ils
appellent cela un système démocratique ?
Troy Davis était noir et pauvre. Dans
l’actuel système légal américain, s’il
se trouve que vous êtes arrêtés, ces
deux caractéristiques suffisent presque
à déterminer votre culpabilité. Le
“doute raisonnable” est surtout au
service des femmes et des hommes blancs,
comme Casey Anthony, et de celui de
citoyens riches et célèbres, comme O.J.
Simpson ou Dominique Strauss-Kahn. Dans
l’Amérique de Barack Obama, l’injustice
envers les pauvres citoyens
afro-américains semble être enracinée
dans le système.
Cependant, au delà de ces faits bien
connus, et de l’insupportable manque de
justice et d’équité, l’application de la
peine de mort est en soi choquante. Nos
actuels systèmes judiciaires, tant en
Orient qu’en Occident, sont si
imparfaits, et manquent tellement
d’équité et de transparence, que l’on se
demande comment des citoyens et des
peuples civilisés peuvent accepter que
des êtres humains soient exécutés en
leur nom, qu’ils soient innocents ou
coupables d’ailleurs. Nous avons
tellement à reformer, tellement à
améliorer nos procédures que nos lacunes
devraient toujours bénéficier à
l’accusé. Il vaut bien mieux se tromper
en sa faveur que de tuer par erreur.
L’été dernier, nous avons été témoin
d’un tel cas. Dix jours après le 11
Septembre, 2001, Mark Stroman a attaqué
trois personnes qu’il pensait être
musulmanes (l’une d’elles ne l’était
pas), tuant deux d’entre elles. La
troisième, un musulman américain
originaire du Bangladesh, Rais Bhuiyan,
fit semblant d’être mort et il survécut
à l’agression. Stroman fut arrêté puis
condamné à la mort. Il passa près de dix
ans dans le couloir de la mort. Pendant
ces dix ans, celui qui aurait dû être sa
victime, Rais, tenta de préserver sa
vie, en lui offrant son pardon et en
demandant au pouvoir judiciaire
d’arrêter sa machine infernale afin de
le sauver. En dépit de l’engagement
personnel de Rais, Stroman fut exécuté
le 21 Juillet 2011 au Texas. Durant
toutes ces années, Mark Stroman s’était
profondément excusé et, par la force des
choses, était devenu un autre homme
lorsqu’il quitta ce monde. Rais Bhuiyan
a été le vrai visage de la dignité et de
la compassion, et, de fait, la
personnification de la manière dont les
valeurs islamiques et spirituelles
peuvent transformer un cœur généreux.
Cela est un bel exemple, bien plus
profond et plus authentique de ce que
l’islam représente, que les récentes
exécutions en Arabie saoudite, par
décapitation d’un soi-disant exorciste,
ou en Iran, par pendaison d’un homme du
haut d’une grue (comme c’est arrivé il y
a quelques semaines). Le fait que ces
deux sentences ont été produites par des
systèmes judiciaires opaques, dans des
pays où ni l’accusé ni son avocat (en
assumant que l’accusé aie même droit à
un avocat indépendant) ne peuvent se
défendre correctement, ne fait
qu’ajouter à la honte.
Aux Etats Unis, en Arabie Saoudite,
en Iran ou n’importe où ailleurs, la
peine capitale devrait être stoppée. Nos
systèmes judiciaires sont trop
imparfaits, trop influencés par la
politique et l’argent, et beaucoup trop
exposés à des erreurs de procédure. Le
doute doit bénéficier à l’accusé ; nos
sociétés doivent rester dignes. En 2005,
j’avais lancé un appel pour un moratoire
sur la peine de mort, les châtiments
corporels et la lapidation. J’avais
souligné qu’au nom même de l’islam, les
sociétés majoritairement musulmanes
devraient cesser de traiter les gens
ainsi, prenant si souvent pour cible les
femmes et les pauvres. C’est également
au nom de nos valeurs communes que nous
devons prendre position aujourd’hui
contre la peine capitale. Troy Davis est
mort, ainsi que Mark Stroman, le premier
était sans doute innocent et il espérait
que nous serions pardonnés ; le second
était coupable, et il espéra pour que
nous lui accorderions notre pardon. Au
moment de nous regarder dans un miroir,
espérons que - avec ou sans compassion -
nous puissions au moins faire preuve de
dignité. Honte à nous, si nous restons
silencieux.
Traduction : Moussa Ramadan
© Tariq Ramadan
2008
Publié le 27 septembre 2011
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